Les calculs d’Amazon derrière sa livraison en une heure

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Dans la capitale française, Amazon vient de lancer un service de livraison en moins d’une heure. Une nouveauté qui séduit le client mais déplaît à la mairie de Paris qui craint l’impact sur les commerces locaux. Pour Amazon, il ne s’agirait pas simplement de plaire au consommateur. Ses calculs vont bien plus loin.

Penser aux légumes dont on aura besoin le soir. Les commander online et les recevoir une heure après. C’est le service qu’Amazon propose depuis peu à ses clients parisiens. Ce service, baptisé Amazon Prime Now, vient de démarrer dans la capitale française et s’adresse à tous les abonnés premium du géant de l’e-commerce, qui s’acquittent mensuellement de 49 euros pour bénéficier de certains avantages notamment en matière de livraison. Le concept ? Une livraison ultra-rapide : soit dans l’heure pour 5,9 euros de plus, soit dans les deux heures gratuitement. Et cela sur 18.000 références (des produits du quotidien, dont environ 5.000 produits frais ou surgelés) parmi les 200 millions de produits que propose le géant mondial de l’e-commerce sur son site français.

Pour y parvenir, Amazon dispose d’un entrepôt de 4.000 m2 au centre de Paris et s’appuie sur des coursiers en scooter ou en véhicule qui travaillent pour des sous-traitants (Top Chrono ou Star’s service, d’après le site d’information Rue89).

Argument de vente

Ce service Amazon Prime Now, la firme de Jeff Bezos le propose déjà dans plusieurs villes comme New York, Londres ou Rome. Et il entre totalement dans le contexte de la bataille que se livrent les géants du Web entre eux et face aux e-commerçants et à certains commerçants traditionnels. Pour séduire le consommateur connecté, les acteurs de l’e-commerce multiplient les initiatives et la livraison apparaît comme l’un des éléments différenciateurs. Cela fait déjà quelque temps maintenant que les délais de livraison sont devenus un enjeu majeur.

” De plus en plus, on est dans l’ère de l’immédiateté, constate Jean-Pol Boone, cofondateur de la start-up belge Inoopa qui propose un outil de diagnostic e-commerce. La vente en ligne n’y fait pas exception et on voit de plus en plus de vendeurs sur le Web jouer sur les délais courts pour la livraison des commandes. ” La firme néerlandaise Coolblue (également active en Belgique) spécialisée dans les produits électroniques, en a d’ailleurs fait l’un de ses chevaux de bataille avec la possibilité de se faire livrer une commande passée avant 23h59… dès le lendemain matin. Ou même en quelques heures moyennant le paiement de 18 euros. Tous les sites d’e-commerce essaient, en effet, de ” diminuer au maximum les freins de l’achat en ligne pour le consommateur “, analyse Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola et spécialise du retail. Dans le même esprit de flexibilité, bpost ne vient-elle pas de lancer un test de ” livraison collaborative ” baptisé Bringr ? Un moyen de faire livrer des colis par des particuliers, à toute heure et n’importe quel jour. Un service impossible à lancer avec ses structures actuelles.

Mais la firme de Jeff Bezos aurait peut-être d’autres raisons de pousser un service aussi express. ” Par exemple, pousser le client à intervenir dans les coûts – assez immenses – de logistique, note le CEO de Gondola. Aujourd’hui, les coûts logistiques sont souvent offerts par les e-commerçants et la question consiste à savoir comment récupérer ces coûts. Des services d’abonnements comme Prime ou la livraison ultra-rapide comme Prime Now d’Amazon comptent parmi les pistes de solution. ”

Acculer les concurrents ?

Mais Amazon mène sans doute une autre réflexion, plus stratégique… et plus machiavélique. ” Vu les volumes, quand un géant comme Amazon propose une offre pareille, cela peut devenir la norme, soutient Jean-Pol Boone. Cela a été le cas en Europe avec les frais de port gratuits lorsqu’un géant comme Zalando a lancé le pavé dans la mare. ” Pas facile pour les concurrents qui n’ont pas forcément autant de volume pour négocier d’aussi bons deals avec les firmes de livraison, ou doivent accepter de laisser la livraison grignoter leurs marges. Mais tout n’est pas si théorique : selon le site Lineaires, Carrefour aurait un projet pilote de livraison de courses en une heure pour trois de ses Market parisiens… en réponse au lancement d’Amazon Prime Now.

Plus subtil encore : l’efficacité de la livraison en une heure pourrait forcer les commerçants à passer par les services logistiques d’Amazon. Aujourd’hui, un commerçant peut utiliser la plateforme du géant américain pour vendre ses produits mais continuer à gérer la logistique : il conserve son stock chez lui, il emballe et assure les envois. Il doit simplement s’acquitter d’un abonnement et d’une commission sur les ventes. Mais il lui sera le plus souvent impossible, seul dans son coin, de rivaliser face aux délais d’Amazon. Il sera donc poussé dans le dos à faire appel à Fulfillment by Amazon (FBA), un service où tout est pris en charge par la platefome américaine. ” Les services sont hyper rentables pour Amazon, décrypte Jean-Pol Boone. L’activité de vente B to C n’est pas rentable, par contre les services B to B comme FBA ou le cloud d’Amazon le sont largement. ” Dès lors, il n’est pas totalement impensable que Jeff Bezos imagine ainsi pousser les commerçants et les producteurs à travailler avec Amazon pour la logistique. Et si aujourd’hui, le last mile est géré par des entreprises extérieures de livraison (c’est le cas pour la livraison en une heure Amazon Now). Rien n’empêche Amazon de prendre cela en charge. Un coup de plus dans les marges de ceux qui pratiquent l’e-commerce de cette manière.

” Ça flingue les commerçants de proximité ”

Mais un autre dégât collatéral est à craindre : Amazon pourrait bien porter un coup fatal aux commerçants situés dans la ville. C’est d’ailleurs l’argument de la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui s’est rapidement manifestée contre Amazon Prime Now. La maire craint une déstabilisation des équilibres commerciaux, en particulier du commerce de proximité. Elle souligne les dangers de dérive en matière de pollution et de qualité de vie des riverains et veut instaurer des garde-fous pour éviter la concurrence déloyale. Bref : elle aimerait s’opposer à Amazon Prime Now. Jean-Pol Boone ne se montre pas étonné : ” Ce genre de service flingue les commerçants de proximité sous leur forme actuelle, c’est clair ! L’avenir du commerçant est en danger. ” Selon Inoopa, l’une des solutions pour un petit commerçant consiste à jouer au maximum sur l’expérience client et le service. ” L’acte de vente pur n’a plus beaucoup de sens à l’heure de l’e-commerce, note le cofondateur d’Inoopa. Un vendeur de vin par exemple devrait largement s’intéresser aux dégustations, à la formation, à l’oenologie, bien plus qu’à la simple vente qui n’apporte plus autant de valeur ajoutée. Aller vers le haut de gamme est également une piste. ”

ET EN BELGIQUE ?

Pour l’instant, notre pays n’est pas concerné par le service de livraison en une heure d’Amazon. Il faut dire que la majorité des colis qui arrivent chez nous proviennent du centre de distribution de Lauwin-Planque près de Lille. Le géant n’a pas d’implantation (ni entrepôt, ni bureau) chez nous. Dans cette configuration, il ne lui serait donc pas possible de livrer à Bruxelles dans l’heure puisqu’il lui faut du stock directement disponible sous la main. Reste que dans une précédente édition de Trends-Tendances, Ronan Bolé, le directeur du centre de Lauwin-Planque, admettait qu’à l’avenir, “il va falloir qu’on s’étende et toutes les régions d’Europe sont considérées dans le cadre de ce développement”. La Belgique ne figure certes pas – jusqu’ici – parmi les priorités d’Amazon. Mais son service d’abonnement Premium permettant la livraison dans les 24 heures a été lancé chez nous en février. Un premier pas en attendant la suite ?

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