Les bonnes affaires des industriels du pneu

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La ruée sur les pneus d’hiver, les années précédentes, ont bien fait tourner le secteur en Belgique. A présent le marché marque le pas. Provisoirement. Ces accessoires vitaux représentent un secteur fort intéressant. Plus rentable que la fabrication d’automobiles.

Les fabricants de pneus n’étaient pas fâchés de voir le Luxembourg rendre obligatoire, depuis le 1er octobre, les pneus hiver, du moins en cas de verglas, de neige compacte ou fondante et de gel. C’est un pays de plus qui légifère sur le sujet, après l’Allemagne (2010) et l’Autriche (2008). La Belgique pourrait suivre à distance : le ministre de la Mobilité, Melchior Wathelet, envisage une mesure obligatoire. Un rapport établi par la Sécurité Routière (IBSR) est attendu à la fin 2013. La Commission européenne envisage d’harmoniser les obligations entre les pays, fort disparates.

Cette tendance est favorable pour les fabricants de pneumatiquescomme Michelin et Continental. Ils ont vu leur cours en Bourse grimper depuis le début de l’année, alors que le secteur automobile, lui, souffre en Europe. Les pneus hiver étant un peu plus chers que les pneus été, le chiffre d’affaires de l’industrie du pneu devrait connaître une hausse structurelle de l’ordre de 2 milliards d’euros, selon l’agence Bloomberg.

Le contrecoup des ruées des hivers derniers

Les automobilistes belges n’ont pas attendu la perspective d’une obligation pour commencer à s’équiper. “Environ 30 % du parc automobile dispose de pneus hiver”, indique Frédérique Daublain, secrétaire générale de Federtyre, la fédération réunissant les professionnels du secteur.

La ruée s’est produite les deux derniers hivers, lorsque la neige a bloqué les routes dans le pays. Le résultat est qu’aujourd’hui le marché belge… recule. Les chiffres de 2012 à la fin août accusent une baisse de plus de 15 % par rapport à la même période en 2011. Explication : les automobilistes qui ont acheté des pneus hiver les années précédentes, lors des deux hivers de boom, ont moins usé leurs pneus été, qui ont été remisés pendant les mois froids. Et n’ont pas encore besoin de nouveaux pneus hiver, qui ne doivent être renouvelés qu’ après trois ou quatre ans. Il faudra donc attendre un ou deux ans pour que ces cahots se stabilisent.

“Je ne parlerais pas de marché en recul, attendons la fin de l’année”, précise prudemment Patricia Esparza Alonso, product manager chez Continental Benelux, un des principaux fabricants du marché. Les chiffres pourraient s’améliorer si une nouvelle ruée se produit d’ici la fin décembre. Pour l’heure, le marché est calme. “Nous n’avons pas observé de démarrage des ventes pour les pneus hiver”, annonce Olivier Renard, directeur marketing chez Auto 5 (Mobivia Groupe). “Il n’a pas fait très froid, et cette année les gens hésitent à investir”. Un train de pneus hiver coûte tout de même 400 euros et davantage.

Un marché structurellement en hausse

Le marché européen du pneu devrait accuser cette année un recul général, de l’ordre de 7,5 % (prévisions de Morgan Stanley), mais les grands manufacturiers du secteur (Bridgestone, Michelin, Goodyear, Continental), présents sur tous les continents, devraient continuer à prospérer grâce à une croissance persistante outre-Atlantique et en Asie.

Le recul européen doit beaucoup à celui des ventes de voitures neuves, qui ont perdu 7,1 % durant les huit premiers mois de 2012. Mais les industriels du pneu ne sont que partiellement dépendants de ce marché dit de “première monte”. La plus grande partie des ventes (environ 75 %) se fait dans les pneus de remplacement, qui représentent environ 5,3 millions de pneus par an en Belgique pour les automobiles et les utilitaires légers.

Ce recul européen est provisoire, la croissance devrait reprendre l’an prochain, grimpant à 8,6 % en 2013, notamment grâce aux pneus de remplacement et à l’effet “pneus hiver”. Le repli de 2012 reste bénin face au recul constant des ventes automobiles qui dure depuis 2007 en Europe.

Une belle rentabilité

Cette moindre sensibilité conjoncturelle rend les fabricants de pneus bien plus rentables que les fabricants de voitures. Michelin affichait en 2011 une marge opérationnelle de 9,4 %, triple par rapport à celle de Renault. Même le très performant groupe Volkswagen n’arrive pas à la rentabilité des fabricants de pneus qui équipent ses véhicules.

L’un des secrets de cette rentabilité est une meilleure tenue des prix à la sortie des usines. Le marché semble fort concurrentiel, mais est plutôt concentré. Les trois premiers, Bridgestone, Michelin et Goodyear, totalisent environ la moitié des ventes. Ils contrôlent des marques dans tous les segments. Le marché se subdivise, pour les voitures de tourisme, en trois segments : le “premium”, où l’on retrouve Michelin, Bridgestone, Continental, Pirelli, Goodyear. Au deuxième étage, il y a les “quality”. Michelin couvre ce marché avec les marques Kleber ou Goodrich. Enfin, les produits d’entrée de gamme ou “premiers prix”, avec, chez Michelin, Uniroyal, ou des marques de distributeurs aux fournisseurs chinois. “Il y a un écart d’environ 15 % de prix entre chacune de ces trois catégories”, observe Philippe Renier, président de Federtyre, et qui dirige le Comptoir Européen du Pneu. L’autre secret est la tendance des constructeurs à utiliser des pneus plus larges, donc plus chers.

De la concentration à la maîtrise du marché, il n’y a qu’un pas… Confrontés à l’affluence de commandes de pneus hiver et à des soucis de prix de matières premières, les manufacturiers sont parvenus l’an dernier à obtenir des installateurs qu’ils commandent leurs pneus six mois à l’avance. “Avant, nous pouvions commander au fur et à mesure, puis on nous a indiqué qu’il valait mieux précommander pour être certain de fournir les clients”, continue Philippe Renier.

Le poids des grands traders

La crainte de la pénurie a poussé les distributeurs à commander et à stocker. “Etait-ce une pénurie organisée ? En tout cas les usines ont pu tourner”, observe Olivier Renard, marketing manager d’Auto 5. “Du coup il y a eu du stock partout, les gens ont bradé et des traders ont repris des stocks. Le résultat est qu’il y a une dégradation des prix de l’ordre de 10 % pour les pneus hiver.” Auto 5 réalise le quart de ses ventes en pneus. “La marge est faible, mais le ticket élevé, puis le pneu nous procure une clientèle fidèle.”

Les traders sont la soupape du marché. Ce sont de très gros acteurs qui stockent et commercialisent des millions de pneus tous les ans. Le Benelux compte quelques géants. A Anvers, il y a Deldo, qui couvre 43 pays et annonce avoir vendu 7,3 millions de pneus l’an dernier (plus de la totalité du marché belge !) et réalisé un chiffre d’affaires de 320 millions d’euros. La Belgique est aussi bien couverte par des traders néerlandais comme Inter-Sprint (Moerdijk) ou Van Den Ban (Hellevoetsluis, près de Rotterdam).

“Ces fournisseurs nous offrent une alternative aux achats directs auprès de manufacturiers”, explique Philippe Renier, du Comptoir Européen du Pneu. “Ils acceptent maintenant de livrer deux pneus pour le lendemain, sans frais de livraison, grâce à une logistique très pointue.” Voilà qui assouplit indirectement la rigidité des précommandes des manufacturiers.

Les cathédrales de pneus allemandes C’est aussi un marché très vivant, où de nouveaux canaux se créent. Il y a l’Internet, qui pèserait, selon Philippe Renier, 5 à 6 % du marché, et qui pourrait progresser. Puis les manufacturiers eux-mêmes, qui s’intéressent à la vente aux automobilistes. Le Japonais Bridgestone dispose de son réseau d’installateurs de pneus, First Stop, qui est actif en Belgique, sous la forme d’un partenariat avec des indépendants. Michelin dispose aussi de sa propre chaîne, Euromaster, présente dans tous les pays autour de la Belgique, mais pas (encore ?) chez nous. Ces chaînes sont multi-marques.

Dans ce contexte, les professionnels du pneu espèrent voir arriver l’obligation des pneus hiver chez nous. Encore que ce serait un défi. La cohue des hivers derniers n’était pas agréable pour les automobilistes. Il faudrait une organisation différente. Les Allemands disposent de véritables “cathédrales”, comprenant une série de stands pour changer les pneus et un stock immense. “Il y a moyen là-bas de moduler les heures de travail d’une semaine à l’autre, selon les besoins”, précise Olivier Renard. Une formule difficile à imaginer en Belgique, où les coups de feu sont gérés par le recours à l’intérim.

Si bien que, contre l’avis de nombreux confrères, Olivier Renard prône quelques années d’attente avant de rendre le pneu hiver obligatoire. “Maintenant, ce serait ingérable. Il vaut mieux attendre que la part des véhicules équipés augmente. Au Luxembourg, le passage peut se faire sans à-coups car 80 % des automobiles sont déjà équipées.”

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