“Les belles réussites sont trop rares à Liège”

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Quatrième étape de notre Top provincial, la province de Liège concentre une diversité d’activités parmi lesquelles le secteur public occupe une position importante et où les secteurs traditionnels voient leur influence diminuer.

Retrouvez le classement complet des 100 premières entreprises de la province de Liège dans le magazine Trends-Tendances daté du 12 avril 2012. Un palmarès établi sur base des données du Trends Top.

Bastion historique de l’industrie wallonne, la province de Liège conserve quelques fleurons comme Techspace Aero, la Câblerie d’Eupen, Corman, CMI ou encore la FN Herstal. Autant d’entreprises qui se placent bien dans nos différents classements mais qui sont devancées par des acteurs publics comme le CHU, le CHR, la SWDE ou la Sofico qui trustent les premières places. Comme si ces derniers avaient quelque part remplacé les grandes industries de naguère qui fournissaient de nombreux emplois et qui ont petit à petit vu leur influence se réduire, à l’image de la sidérurgie.

Bénéficiant d’une université, Liège jouit de compétences et d’atouts pour affronter les défis qui se présentent à elle et le récent titre de Manager de l’Année décerné par notre magazine à François Fornieri, administrateur délégué de Mithra Pharmaceuticals, spin-off de l’ULg, témoigne d’un esprit d’entreprise local dont on peut juste regretter qu’il soit trop rare et pas assez encouragé. Petit tour d’horizon de la province, et plus largement de la région, avec Bernard Surlemont, professeur d’entrepreneuriat à HEC, école de gestion de l’Université de Liège et ancien directeur de la Fondation pour la recherche et l’enseignement de l’esprit d’entreprendre (FREE) où il continue de siéger en tant que conseiller au comité scientifique.

A la lecture de nos tableaux, un constat s’impose : le poids du secteur public est important. Quelle est votre analyse ?

Non seulement les entreprises qui s’affichent en première place sont soit des acteurs publics, soit des entreprises où la part de l’actionnariat public est importante comme Prayon avec la SRIW, que l’on retrouve également au capital de la FN Herstal, mais on en retrouve un grand nombre dans l’ensemble des classements. Même si les entreprises privées constituent la majorité des sociétés présentes dans les tableaux. Une des raisons qui explique ce phénomène est le fait qu’il n’y a plus à Liège de grands centres de décisions de sociétés privées, à l’exception de quelques entreprises comme CMI ou Magotteaux. La plupart des autres grandes entreprises privées ont vu ces dernières décennies leur centre de décision se déplacer à l’étranger comme ArcelorMittal, par exemple. Ce qui me frappe également, c’est la faible représentation dans ces classements des secteurs traditionnels.

Vous avez été directeur de la Fondation FREE. Qu’en est-il de l’esprit d’entreprise ?

De plus en plus de personnes envisagent d’entreprendre mais ce n’est plus en Europe que cela se passe. Le climat ambiant n’est guère favorable. La crise que nous traversons ainsi que les programmes d’austérité qui ont été mis sur pied entretiennent cette morosité. L’avenir de l’Europe semble derrière elle.

Dans cette morosité ambiante, il y a quand même quelques notes positives ?

Il y a, en effet, de belles réussites et quelques pépites tant en province de Liège que dans le reste de la Région wallonne, mais ce n’est pas avec cela que l’on va réussir notre reconversion. Je n’ai pas l’impression qu’il y a un changement de fond. Le plan Marshall et le plan Marshall 2.vert ont réalisé, en toute objectivité, des choses ambitieuses et correctes mais on n’assiste pas à une lame de fond. Ici et là, il y a de belles entreprises, mais elles restent trop rares.

Comme Mithra Pharmaceuticals, par exemple ?

C’est un bon exemple de réussite d’une spin-off. On en connaît d’autres et certaines semblent prometteuses comme Nanocyl. Mais il me semble que ce soit un peu l’arbre qui cache la forêt. En d’autres termes, c’est bien mais insuffisant.

Vous êtes professeur d’entrepreneuriat à HEC. Comment les étudiants abordent-ils l’entreprise ?

Je constate qu’ils ont davantage une optique entrepreneuriale qu’il y a 10 ans. Beaucoup parmi eux nourrissent le projet d’entreprendre un jour. C’est probablement lié au fait que l’on en parle plus aujourd’hui. Ils se rendent également compte que les carrières en entreprise sont moins sécurisantes que par le passé. On évoque souvent une génération Y qui manque de stabilité mais doit-on s’en étonner lorsque l’on constate qu’il n’y a plus de stabilité chez les employeurs non plus ? Je note également un certain manque d’ambition ; la plupart de ceux qui envisagent de créer leur entreprise se contentent d’une entreprise de petite taille et ont rarement une ambition internationale.

Pour les entreprises, la présence de l’université à Liège est-elle un atout ?

Clairement. De la même manière que le Brabant wallon ne bénéficie pas seulement de sa proximité avec Bruxelles mais aussi de la présence de l’UCL. L’ULg joue un rôle important en termes de recrutement. Les entreprises locales peuvent ainsi plus facilement attirer des jeunes diplômés qui souhaitent demeurer à Liège plutôt que d’aller travailler à Bruxelles où les salaires sont plus attractifs.

Peut-on acquérir l’esprit d’entreprise ou est-il en quelque sorte inné ?

Certains sont tombés dans l’entreprise comme Obélix dans la potion magique ; d’autres se découvrent une vocation en cours de route. Une étude réalisée par un chercheur norvégien a indiqué que la meilleure manière d’encourager l’entrepreneuriat était de rendre le travail salarié plus flexible et, dans ce cas, l’opportunité de créer son entreprise est plus intéressante. Cela ne suffit pas évidemment, il faut qu’il y ait une envie, une passion. En cette période de crise, qui est la plus importante que j’ai connue et qui est une vraie crise de système, il y a quelque chose à réinventer. Et dans cette situation, les entrepreneurs peuvent s’exprimer et exploiter les opportunités qui se présentent. Comme disait Georges Doriot qui est à la base de la fondation de l’INSEAD : “Sans entrepreneurs, le monde ne serait toujours qu’une idée”. Il y a un monde à réinventer et on observe des initiatives et de nouveaux modèles sociaux qui se dessinent.

Vous évoquez le fait que nombre d’entrepreneurs manquent d’ambition et refusent en quelque sorte la croissance. Mais certains ne sont-ils pas freinés dans leur progression ?

Le recrutement est clairement un frein à la croissance que rencontrent, en effet, des entreprises. Ce sont essentiellement les métiers techniques où l’on constate une pénurie et certains secteurs en souffrent. Cela étant, pour croître, il faut le vouloir et le pouvoir. Cela dépend du niveau de compétence et au-delà d’un certain nombre de personnes, vous devez changer votre structure. On ne peut pas diriger une entreprise de 25 personnes de la même manière qu’une entreprise de 100 personnes. Plus globalement, on peut également se poser la question de savoir s’il est plus intéressant de favoriser la croissance d’entreprises existantes ou en créer de nouvelles.

N’y a-t-il pas quand même un manque d’ambition au sein de nos entreprises ?

C’est vrai que l’on note, par exemple, peu de sociétés qui en rachètent d’autre pour se développer. On voit davantage de sociétés étrangères qui acquièrent des entreprises belges que le contraire. Beaucoup de nos entreprises se contentent de leur marché et ne vont pas assez prospecter à l’étranger.

Propos recueillis par Guy Van den Noortgate

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