Les 12 astuces pour négocier comme Mark Zuckerberg

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Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

Attirer un investisseur n’a pas à être un pacte avec le diable pour une start-up. À condition que l’entrepreneur débutant ne fasse pas les mauvaises concessions au cours de ses tentatives d’obtenir de l’argent.

Tout entrepreneur débutant a un rêve, mais certains rêvent en grand. Ils considèrent leur petite entreprise comme un nouvel Uber ou un nouveau Facebook. Pour transformer un secteur ou même l’ensemble de l’économie, ils ont besoin d’argent, d’un paquet d’argent. Ils doivent en outre croître le plus possible et conquérir le marché. Il y a toujours pas mal de concurrence et au final, souvent, the winner takes it all (le gagnant l’emporte sur toute la ligne, NDLR). C’est la raison pour laquelle, dans l’économie numérique, les entrepreneurs doivent bien souvent partager leurs rêves avec des investisseurs. Ceux-ci financent les pertes de démarrage, dans l’espoir d’encaisser pleinement plus tard, lors d’une vente, d’une entrée en bourse ou même lors d’une faillite si nécessaire.

Les investisseurs demandent toutes sortes de garanties et de préférences pour protéger leurs intérêts entre l’entrée et la sortie. Ce cadre de conditions semble subordonné à la valorisation, mais ce n’est pas du tout le cas. Bien plus que les pourcentages des actionnaires, ces conditions déterminent les rapports de force. Mark Zuckerberg a par exemple le contrôle total sur Facebook, bien qu’il ne détienne qu’une minorité des actions. Pour WhatsApp, sans chiffre d’affaires notable, il a conclu à lui seul un deal monstre de 19 milliards de dollars. Il peut imposer des acquisitions d’une telle envergure. Ses premiers investisseurs, alors qu’il n’avait encore qu’une vingtaine d’années, ont laissé à Zuckerberg le contrôle sur le conseil d’administration, contrôle qu’il n’a jamais cédé par la suite. De ce fait, il a également progressivement pu bétonner son emprise, notamment via des actions à droit de vote multiple.

Zuckerberg est bien sûr une exception. La plupart des entrepreneurs, en Belgique également, se trouvent dans une position de sortie plus mauvaise. Au lieu de demander, ils doivent mettre de l’eau de leur vin. Mais des négociations prévoyantes sur le long terme peuvent, même dans des cas pareils, faire un monde de différence. Trends-Tendances a récolté les témoignages des entrepreneurs technologiques chevronnés Jurgen Ingels (notamment connu pour Clear2Pay) et Toon Coppens, ainsi que de l’avocat d’affaires David Dessers. Voici leurs douze conseils.

1. Réfléchissez avant de commencer

“Les entrepreneurs ont tout intérêt à réfléchir à deux fois à leur besoin réel en capital à risque”, conseille David Dessers du bureau d’avocats Cresco. “Un investisseur va presque toujours exiger une partie du contrôle et de la surveillance. Les entrepreneurs doivent être à même de gérer cela. Le capital externe crée également une pression supplémentaire. Cela semble plaisant, mais ça reste du travail très dur et ils doivent être prêts, si nécessaire, à faire l’impossible.

2. La valorisation n’est une pas une science exacte

La valorisation et la somme à récolter définissent la marge de négociation lors d’une levée de capital. Valoriser une société n’est pas une science exacte, mais le cadre de conditions donne souvent une indication dans le cas où l’on vise trop haut. “Modérez-vous vous-même”, poursuit Dessers. “Les investisseurs compenseront une évaluation trop élevée dans d’autres aspects du deal, comme une stratégie de protection. Ils exigeront par exemple un multiple de leur investissement, absolument pas en proportion avec leur participation dans la société. En fait, les investisseurs ne croient alors pas dans la valorisation. C’est parfois difficile à digérer, pour les entrepreneurs, car leur société est leur bébé.”

“S’accrocher obstinément à une valorisation est en effet une mauvaise idée”, ajoute Toon Coppens. “Votre ego ne doit jamais prendre le dessus. Un entrepreneur ne peut faire plus grande erreur. Seul doit compter l’intérêt de la société.”

3. Faites vos devoirs

Souvent, les start-up obtiennent leurs premiers fonds au sein du cercle privé ou auprès d’angel investors, souvent d’anciens entrepreneurs fortunés. Pour les plus grandes levées de capital, à partir d’un million d’euros, la balle est en général dans le camp des fonds de capitaux à risques classiques. “Les start-up perdent parfois de vue que ces fonds ont une durée de vie limitée”, explique Dessers. “La plupart du temps, les capital-risqueurs s’octroient environ cinq ans pour investir, ils doivent par conséquent pouvoir récolter dans un laps de temps relativement court. C’est la raison pour laquelle un fonds d’investissement qui se trouve à la fin de son cycle d’investissement sortira peut-être plus rapidement. Même si, lors des négociations, ils croient entrer pour le long terme.”

Pour une bonne préparation, une start-up a également intérêt à s’informer sur les pratiques courantes, observent les experts. “Les sites spécialisés fournissant des statistiques sur l’évolution des valorisations dans le secteur en sont la base. “Il y a aussi des sites web qui examinent les deals dans le détail”, précise Jurgen Ingels. “Le focus se situe en général sur des starters aux États-Unis, mais cela donne tout de même une image réaliste de la manière dont les rapports entre des sociétés similaires et des investisseurs évoluent. Si vous pouvez démontrer noir sur blanc que les conditions demandées ne sont pas conformes au marché, vous avez une position forte.

4. N’attendez pas de cadeaux

“Les investisseurs, à l’évidence les fonds, sont en général dans une position confortable”, relate Coppens. “Ils n’ont pas besoin d’entrer dans ce dossier-là en particulier, suffisamment de possibilités s’offrent à eux. Ils peuvent de ce fait parfois imposer des choses qui mettent le risque entièrement du côté des fondateurs. Le capital à risque s’avère alors du capital calculé. J’investis personnellement en tant qu’angel investor et je tiens à le faire de manière founder friendly. À long terme, c’est mieux pour tout le monde. Une société ne peut que s’épanouir si les fondateurs se sentent soutenus et valorisés.”

“Écraser un entrepreneur n’est pas dans l’avantage de l’investisseur”, confirme Ingels. “Mais n’attendez pas de cadeaux. Les capital-risqueurs ne sont pas des enfants de choeur. Ils gagnent de l’argent en ayant du succès avec des sociétés, mais leur bénéfice est parfois au détriment de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas fan des négociations exclusives. Dans ce cas, un investisseur peut faire traîner la procédure jusqu’à ce qu’il trouve encore quelque chose dans les comptes qui comprime la valorisation convenue. Entre-temps, la société est encouragée à continuer à investir. L’argent arrive alors, ce qui affaiblit la position de négociation. C’est pourquoi il vaut toujours mieux négocier avec au moins deux candidats investisseurs à la fois. La concurrence leur complique les manoeuvres pour durcir les négociations. Lorsque, avec Clear2Pay, nous voulions lever 50 millions d’euros, j’ai négocié avec deux parties en même temps, à chaque fois jusqu’au finish. Le conseil d’administration a ensuite finalement pris la décision de faire affaire avec Aquiline (un grand fonds américain, NDLR).”

5. Ne levez que ce dont vous avez besoin

“Ne levez que l’argent dont vous avez vraiment besoin, même si les investisseurs sortent an offer you can’t refuse de leur chapeau, conseille Dessers. “Il est compréhensible que vous désiriez être à l’abri pour longtemps. Lever de l’argent réclame énormément de temps et tout entrepreneur préfère consacrer celui-ci à sa société. Mais en même temps, il est souvent plus judicieux de travailler par étapes. Avec un montant plus petit à des conditions raisonnables, la société peut d’abord atteindre un niveau plus élevé, afin d’être ensuite plus fort pour la levée de fonds suivante.”

Il existe encore une alternative. “Vous pouvez donner aux investisseurs le choix d’entrer à nouveau plus tard”, explique Ingels. “J’ai déjà fait cela à plusieurs reprises, notamment pour NGData. La méthode est très appropriée pour les sociétés où le commercial commence déjà à fonctionner. Un investisseur entre par exemple maintenant à une valorisation de 5 millions d’euros. Mais vous lui donnez également des warrants qu’il pourra convertir en actions à une date convenue. La valeur de ceux-ci est calculée sur base du business plan, dans lequel est par exemple précisé que la société vaudra 10 millions au bout de trois ans. Mais si l’entrepreneur bat ses objectifs, la valorisation réelle ira peut-être jusqu’à 12 millions. L’investisseur est content, car il obtient une réduction et enregistre directement une plus-value. L’entrepreneur a l’avantage qu’il ne doit plus à nouveau aller frapper à la porte des investisseurs. Il peut simplement continuer à travailler avec les partenaires familiers et le pacte d’actionnaires existant.

6. Tenez-vous à une structure simple

“Je recommande à chaque entrepreneur d’éviter le plus possible les structures avec plusieurs sortes d’actions”, explique Ingels. “Essayez d’éviter cela. Si un investisseur antérieur a déjà des actions avec des préférences, un nouvel investisseur le voudra également. L’entrepreneur est à chaque fois poussé un rang plus loin. Un investisseur peut parfaitement avoir l’argent, l’entrepreneur, lui, a les cerveaux. Pourquoi ces derniers auraient moins de valeur ? En tant que créateur d’entreprise, battez-vous pour une structure la plus simple possible, de telle sorte qu’aucune distorsion n’apparaisse.

7. Montrez les faiblesses

“Il y a beaucoup de similitudes entre la recherche d’investisseurs et la quête d’un amoureux”, continue Ingels. “Tous deux doivent tomber amoureux. Beaucoup de start-up font l’erreur de trop édulcorer les choses. Cela se paie dès qu’un investisseur se sent trompé. Les plus grands investisseurs exigent de toute façon que les risques soient inclus dans la convention d’investissement. La valorisation s’affaiblit parfois de ce fait, mais sur le long terme, c’est aussi dans l’avantage de la société. Les problèmes qui se présentent après le deal, mais qui ont cependant déjà été signalés, les investisseurs ne peuvent pas s’en servir pour renégocier l’entièreté de l’affaire à leur avantage.”

8. Clean up your sh*t

“Les start-up ne se préoccupent souvent pas suffisamment de leur comptabilité et de leur administration”, poursuit Ingels. “D’un point de vue opérationnel, ce n’est pas une bonne chose que la situation liée à la quantité d’argent rentrée ne soit claire qu’après quelques semaines après la fin du trimestre. Un défaut d’informations sur la société peut aussi ralentir la conclusion des négociations. Les investisseurs professionnels vont toujours faire un examen comptable approfondi. Ils demandent parfois la comptabilité et d’autres données sur la société sur les sept dernières années. Chez Clear2Pay, j’ai visité chaque année toutes les divisions locales, du Chili jusqu’en Chine. J’ai collecté et contrôlé les informations les plus diverses, de la pyramide des âges du personnel jusqu’aux infractions environnementales. C’est aussi une bonne base pour détecter la fraude et rédiger une liste actualisée des risques. J’appelle ce processus ‘Clean up your sh*t’. Cela prend du temps, mais ça rapporte. Notamment parce que si l’on peut répondre rapidement et de manière détaillée aux questions, on fait une bonne impression auprès des candidats investisseurs, ou des futurs candidats repreneurs.”

9. Ne sacrifiez pas votre plus-value

“Lors des grandes levées de capitaux, les investisseurs demanderont toujours une downside protection” affirme Dessers. “Des garanties qu’ils récupéreront au minimum leur mise. Mais parfois, ils mettent la barre trop haute. Ils demandent dans ce cas par exemple de récupérer en premier leur investissement et d’ensuite partager le reste, la fameuse clause de liquidation préférentielle. Celle-ci ne s’applique certes pas, en général, si la valorisation lors d’un exit est à un niveau deux à trois fois plus élevé que lors de l’entrée des investisseurs. Mais il se peut toujours que les entrepreneurs se surévaluent et qu’ils n’obtiennent pas la vente de la société à ces conditions, ou même pas du tout. L’impact sur le partage des revenus entre fondateurs et investisseurs est alors énorme, et peut avoir comme conséquence que les entrepreneurs ne gagnent absolument rien de leur participation.”

“Les investisseurs imposent aussi parfois d’autres garanties qui désavantagent les fondateurs”, poursuit Dessers. “Parfois, c’est un rendement fictif sur leur participation, par lequel leur part à la vente de la société augmente chaque année. Nous essayons de bloquer ou de limiter cela au cours d’une négociation. Mais là encore, c’est symptomatique lorsque des investisseurs jouent la partie aussi durement. Ils ne croient en fait pas dans la valorisation proposée par l’entrepreneur.”

10. Faites attention au droit de veto

Bien qu’en règle générale les investisseurs prennent une participation minoritaire, ils préfèrent avoir un contrôle ferme. L’instrument privilégié est un droit de veto. “En tant qu’entrepreneur, je préfère bien sûr conserver les rênes après une levée de capital”, témoigne Coppens. “J’y suis parvenu avec Netlog. Les investisseurs nous ont approchés, nous n’étions pas à la recherche de capital extérieur. Mais la plupart des start-up ne se trouvent pas dans une position de négociation aussi forte. Elles ont tout de même tout intérêt à faire preuve de fermeté concernant le contrôle de la société, plutôt que sur sa valorisation.”

Selon Dessers, les entrepreneurs doivent considérer les droits de veto dans le contexte approprié. Ils protègent les investisseurs contre les scénarios les plus pessimistes. “Selon le droit des sociétés belge, les investisseurs avec une participation minoritaire ont de manière standard peu à dire”, explique Dessers. “Sans droit de veto, une nouvelle levée de capital peut par exemple leur être imposée, par laquelle leur participation se dilue fortement. Ou il se peut que la société soit vendue contre leur gré. Ou que le management se paie un salaire exorbitant. Un droit de veto n’est rien de plus que ‘the right to say no‘ (le droit de dire non, NDLR). L’escalade des conflits de direction n’est ni dans l’intérêt des investisseurs ni dans celui des fondateurs, mais un risque pour la société et pour sa valorisation.”

11. Prenez soin de vos options

“Les start-up oublient souvent d’inclure des dispositions sur les options dans la convention d’investissement”, remarque Ingels. “Au début, 10% des actions sont en général réservées comme options pour le personnel. Mais après quelques années, le pool d’options est entièrement racrapoté par les levées de capitaux ou alors toutes les options sont données. C’est un problème, car la société perd alors un puissant instrument pour attirer des talents. Si vous désirez tout de même émettre de nouvelles options, c’est souvent au détriment de votre propre intérêt. Cela peut être évité en précisant que, lors de chaque nouvelle levée de capital, le pool d’options restera au pourcentage convenu.”

12. Ne signez rien sans avis juridique

Le dernier conseil peut sembler tarte à la crème. Mais Dessers insiste sur le fait qu’il reçoit encore trop souvent des start-up qui ont déjà signé leur term sheet, comparable au compromis lors d’une transaction immobilière. “Mes collègues et moi avons alors souvent des moments ‘oh my God’, à propos des lourdes concessions que les fondateurs ont faites sans s’en douter.”

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