Lernout & Hauspie : qui, des 21 inculpés, est coupable ?

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La cour d’appel de Gand lit en ce moment même son arrêt dans le dossier Lernout & Hauspie. Pour Jo Lernout, “ce n’est pas la fraude qui a causé la faillite : ce sont les décisions de Philippe Bodson qui ont signé l’arrêt de mort de l’entreprise !”

Robert Pieters, président de la première chambre de la cour d’appel de Gand, a commencé lundi matin, peu après 9 h, la lecture de l’arrêt dans l’affaire Lernout & Hauspie, qui fait au total 2.100 pages. Seuls les quatre principaux accusés et Philippe Vermeulen sont présents, les autres étant représentés par leurs avocats.

L’arrêt concerne 21 inculpés : l’ancienne direction, les membres du comité d’audit au sein du conseil d’administration, un certain nombre de collaborateurs de l’entreprise, des conseils de celle-ci, le bureau de réviseurs KPMG et la direction d’Artesia (intégré aujourd’hui dans Dexia).

[UPDATE 1] : les poursuites pénales à l’encontre de trois prévenus sont irrecevables

La cour d’appel de Gand a déclaré irrecevables les poursuites pénales à l’encontre de Patrick De Schrijver, Philip Beernaert et Christophe Lammar. Leur droit à la défense a été bafoué, a-t-elle estimé.

Selon la cour d’appel de Gand, Patrick De Schrijver et Philip Beernaert, poursuivis au pénal dans l’affaire Lernout & Hauspie, ont été inculpés manifestement tardivement : “Le droit à un procès équitable a été violé de manière irrévocable et par conséquent, les poursuites pénales sont irrecevables.” Pour la même raison, les poursuites à l’encontre de Christophe Lammar ont également été déclarées irrecevables.

De Schrijver et Beernaert étaient poursuivis comme auteurs ou coauteurs pour faux en écriture dans les comptes annuels, faux dans des contrats de licence, pour manipulations boursières, pour délit d’émission et pour irrégularités techniques dans les comptes annuels. La période infractionnelle s’étend de 1997-2000.

“L’enquête pénale a commencé à la fin de 2000, lorsque deux prévenus ont été entendus à plusieurs reprises comme témoins, a déclaré le tribunal. Ces deux personnes n’ont été inculpées que le 28 mars 2006 alors qu’environ trois mois plus tard, soit le 26 juin 2006, l’instruction était transférée au ministère public. C’était alors pour eux impossible, pour le temps restant, de réclamer une enquête supplémentaire à décharge.”

Dans ce bref laps de temps, ils devaient passer en revue 300 fardes. “En outre, il était impossible, avant le début de la procédure, d’examiner le fond du dossier pénal. Dix ans après les faits, une enquête ne peut plus être menée légalement.”

Pour Christophe Lammar, son inculpation fut également tardive, selon la cour. Le tribunal a également déclaré irrecevables les poursuites pénales à son encontre.

[UPDATE 2] : les poursuites à l’encontre de Philippe Vermeulen également irrecevables

La cour d’appel de Gand a également déclaré lundi irrecevables les poursuites à l’encontre de Philippe Vermeulen, pour les mêmes raisons que les trois responsables précités.

[UPDATE 3] : les droits de la défense de Dexia n’ont pas été violés

L’inculpation de Dexia dans l’affaire Lernout & Hauspie n’est “aucunement” intervenue de manière tardive, comme la banque l’a suggéré, a estimé la cour d’appel de Gand, qui souligne qu’aucun élément à sa disposition n’indique que la fusion avec Artesia n’aurait pas été réalisée si l’inculpation était intervenue plus tôt. La cour estime aussi que les droits de la défense de Dexia n’ont pas été violés.

Dexia, poursuivi dans le dossier Lernout & Hauspie, avait avancé, sur base de trois annotations du juge d’instruction sur des éléments du dossier datant du printemps 2003, qu’il était question de partialité. La cour d’appel de Gand estime de son côté que l’enquête a été impartiale. La cour a reconnu que les annotations constituaient des “déclarations malheureuses” de la part du magistrat mais considère que l’enquête a été menée de manière objective et sans préjugés.

Dexia avait en outre accès au dossier depuis le 8 septembre 2003 et n’a fait aucune remarque durant l’enquête, précise la cour.

[UPDATE 4] : la cour refuse une partie du rapport d’experts sur KPMG

Les experts-professeurs sollicités par le ministère public en vue de livrer leur avis technique et un rapport d’expertise dans le cadre de l’affaire LHSP ont outrepassé leur mandat, mais la cour n’a pas donné raison au réviseur KPMG qui critiquait le manque d’impartialité au niveau de la procédure.

Ces experts devaient donner leur avis au ministère public dans l’analyse des procédés techniques comptables, pour contrôler si les comptes annuels de LHSP avaient été rédigés conformément à la loi et si le chiffre d’affaires correspondait à la réalité. Un des professeurs travaille pour Ernst & Young, un concurrent de KPMG. Ce dernier pense que le professeur a essayé, dans ce rapport, de maintenir E&Y hors d’atteinte mais le tribunal n’a pas suivi ce raisonnement.

Les experts ont tout de même outrepassé leur mandat, nuance la cour. Le juge d’instruction Heimans a tenté en 2003 de reformuler leur mandat conformément à la loi. “On ne peut procéder à un ajustement rétrospectif post-factum du mandat signé depuis 2001, a déclaré la cour. Les experts ont clairement été à la recherche d’infractions pénales.”

Le tribunal a conclu à une délégation illicite de compétence judiciaire : “Leurs conclusions techniques et leurs constatations factuelles peuvent être exploitées au niveau de l’enquête mais pas leurs conseils juridiques.”

L&H : le président se limite à la partie de l’arrêt disponible, à la question de la culpabilité et de la peine

Contrairement aux débats, qui ont eu lieu dans l’International Convention Center (ICC), l’arrêt est lu dans la salle historique des assises, au palais de justice, situé Koophandelsplein. La presse y est présente en masse.

Avant le début de l’audience, Jo Lernout et Pol Hauspie se sont assis côte à côte sur le banc des accusés et se sont parlé. Nico Willaert, ex-directeur financier, et Gaston Bastiaens, ex-CEO, sont également présents. Tous les autres accusés, à l’exception de Philippe Vermeulen, l’ancien directeur général du fonds de capital-risque FLV Fund, sont représentés par leurs avocats.

A la demande des avocats, le président se limite à la partie de l’arrêt disponible, à la question de la culpabilité et de la peine. La motivation de l’arrêt sera rendue plus tard.

Les milliers de clients lésés pourront ensuite tenter de récupérer leur argent au civil, la cour d’appel ayant décidé de scinder les volets civil et pénal. Depuis 8 h du matin, quelques personnes lésées ont pris place dans la salle d’audience. Deminor et Test-Achats, qui défendent les intérêts de leurs membres, ont demandé à ceux-ci de rester chez eux.

Pour Jo Lernout, “ce sont les décisions de Philippe Bodson qui ont signé l’arrêt de mort” de L&H

“Pour moi, il n’y aura pas de conséquences privées, même si l’arrêt est lourd”, a affirmé Jo Lernout avant la lecture de l’arrêt lundi devant la cour d’appel de Gand. L’homme espère que le juge apportera de la clarté sur la cause de la faillite : “Je crois toujours que ce n’est pas la fraude qui a causé la faillite. Elle a provoqué des dégâts au sein de l’entreprise mais, finalement, ce sont les décisions de Philippe Bodson (Ndlr, le dernier patron de la société) qui ont signé l’arrêt de mort.”

Jo Lernout évoque le fait que Philippe Bodson n’ait pas accédé à une offre de reprise ou à l’appel qu’il a signé contre la prolongation du concordat.

Jo Lernout n’était pas encore en mesure de dire s’il allait se pourvoir en cassation. Pol Hauspie, lui, n’a pas voulu faire de commentaire avant le début de l’audience. Quant à Nico Willaert, il a déclaré que la justice a aujourd’hui l’occasion de prouver qu’elle ne fait pas de la justice de classe, tout en craignant qu’il soit difficile de trouver un lien de cause entre le préjudice des actionnaires et des accusés, et principalement KMPG et Dexia : “Le contexte de cette banque a changé. Espérons que cela n’ait pas d’influence sur l’arrêt.”

Lernout & Hauspie : 400.000 pages d’instruction, 61 journées d’audience

L’entreprise de technologie vocale a été créée par Jo Lernout, Pol Hauspie et Nico Willaert à la fin des années 1980. Elle a fourni, dans les années 1990, des produits de haute technologie dans le secteur notamment de la reconnaissance vocale. Des milliers de particuliers ont investi dans cette société promise à un brillant avenir mais qui finit en faillite retentissante le 25 octobre 2001.

L’enquête aura duré six ans. Les inculpations portent notamment sur des irrégularités dans la comptabilité, des faux en écriture dans les bilans et les comptes annuels, des faux dans les contrats de licence et des manipulations boursières.

Un des prévenus était juge suppléant auprès du tribunal de commerce d’Ypres, ce qui a entraîné l’application de la règle du “privilège de juridiction”, impliquant l’envoi de l’affaire directement devant une cour d’appel.

Le dossier, fort de 400.000 pages d’instruction auxquelles se sont ajoutées des milliers de pages de conclusions, a nécessité la tenue de 61 journées d’audiences qui se sont déroulées entre le 21 mai 2007 et fin janvier 2009. La lecture de l’arrêt aura lieu dans la salle de la cour d’assises de Gand. Pour autant que les inculpés et leurs avocats soient d’accord, elle pourrait se limiter aux dispositions principales. Faute de quoi, elle prendrait plusieurs jours.

Trends.be, avec Belga

L’action Dexia suspendue lundi à cause du jugement L&H

La cotation de l’action Dexia sera suspendue aujourd’hui lundi à la Bourse de Bruxelles, a annoncé vendredi la Commission bancaire, financière et des assurances. La raison de cette suspension est liée au jugement qui sera rendu dans le cadre de l’affaire Lernout & Hauspie.

Cette suspension a été demandée par Dexia, qui est prévenue dans ce dossier. La suspension de la cotation intervient “dans le cadre de l’attente du jugement de la cour d’appel de Gand dans l’affaire L&H et jusqu’à la publication d’un communiqué de presse de Dexia sur les conclusions du jugement”.

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