Le troc des pros

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Face aux difficultés liées à la crise, un nouveau rapport entre les entreprises est en plein essor: le troc et l’échange solidaire. Une tendance qui pourrait bien révolutionner le business !

La crise aidant, les dirigeants d’entreprises se doivent d’être de plus en plus créatifs. Les initiatives qui vont dans le sens de la collaboration solidaire foisonnent, surtout pour stimuler le secteur des PME, même si elles restent encore trop peu connues des intéressées. Les solutions solidaires et égalitaires peuvent pourtant, a fortiori dans le contexte économique actuel, s’avérer stratégiques et gagnantes, créant un modèle économique alternatif où la collaboration devient un facteur de croissance. Selon l’Organisation mondiale du commerce, le troc représenterait près de 15 % des échanges internationaux, soit 8,43 milliards de dollars.

Dans un reportage réalisé lors d’une bourse d’échanges interentreprises à Namur (disponible sur le site win-win.be), Marc Asselbourg, directeur d’un service d’accueil de jour et de résidence pour adultes polyhandicapés explique le pourquoi de son contentement : “J’ai trouvé ici le partenariat que je convoitais : donner une photocopieuse et une armoire à verrou que nous n’utilisions plus contre un film de 10 minutes sur les besoins des personnes adultes polyhandicapées.” Sans sortir le moindre sou de sa trésorerie, et en valorisant des actifs dont elle ne faisait plus rien, l’entreprise de Marc a acquis un outil qui va lui permettre de développer son pôle communication. De l’autre côté, la société qui réalise le film a dégoté le matériel dont elle avait besoin. C’est donnant-donnant, et tout le monde est content.

De quoi parle-t-on exactement ? Selon l’étude française du Pipame (Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques) sur le sujet, “l’échange interentreprises (le troc ou le barter en anglais) est l’opération économique par laquelle une entreprise cède la propriété d’un bien ou délivre un service à une autre entreprise et reçoit en retour un autre bien ou service de valeur égale, sans passer par une transaction en monnaie légale. (…) Parfois, la transaction passe par l’utilisation d’unités spécifiques au réseau d’échange.” De gré à gré, ou au sein d’un réseau ou d’une plateforme servant d’interface pour les échanges, les entreprises peuvent valoriser leurs actifs inutilisés et tisser des liens avec des partenaires qui peuvent, à terme, devenir des clients, des fournisseurs ou des associés.

On peut globalement distinguer deux types de troc : les échanges entre grandes firmes (corporate barter) qui concernent principalement les opérations médias. Par exemple, un annonceur négocie l’obtention d’espaces publicitaires contre ses produits ou services (chambres d’hôtel, billets d’avion, électroménager…), que le média utilise pour ses collaborateurs, pour améliorer ses relations publiques ou constituer des lots de concours qu’il organise. Ces partenariats existent depuis des décennies et représentent 80 % des échanges interentreprises. De l’autre côté, il y a les retail barter pour les biens et services qui concernent majoritairement les PME : les échanges sont de moins grande envergure, mais beaucoup plus fréquents. Et c’est ce pôle-là qu’il est opportun de développer un maximum.

Pourquoi ça marche ? Historiquement, c’est dans le contexte de la crise de 1929 que l’on trouve le premier précurseur avec la banque suisse coopérative WIR, fondée en 1934 pour faire face à la pénurie d’argent liquide en circulation. Cette banque existe toujours, composée essentiellement de PME qui ont créé entre elles un marché privilégié leur permettant d’être plus compétitives face aux grands groupes internationaux. Le réseau utilise le WIR comme monnaie pour valoriser les échanges. A la même époque aux Etats-Unis naissaient les soap opera, feuilletons créés par des marques de lessive en échange d’espace publicitaire (les prémices des échanges médias actuels). L’après-guerre a également vu de nombreux trocs internationaux émerger, pour faciliter les transactions malgré le rideau de fer.

Aujourd’hui, tout semble réuni pour faire du bartering une modalité courante de gestion pour les entreprises. Depuis les années 2000, le contexte a évolué, et trois éléments expliquent le succès de la tendance : la crise économique (baisse de la croissance, difficultés d’accès au crédit, renchérissement des matières premières et de l’énergie), la maturité des outils technologiques Internet et mobiles et l’existence d’une philosophie de réseau, d’une culture de la collaboration qui créent un climat de confiance dynamique.

Les bourses Winwin “Il faut remarquer que les gens raisonnent de plus en plus de façon collective, ce qui rend la tendance prometteuse, explique Anne-France Paligot, coordinatrice des bourses Winwin en Wallonie et à Bruxelles. Notre boulot, c’est d’informer, parce que beaucoup d’entreprises sont méfiantes, croyant qu’il s’agit de sponsoring ou d’investissement. Mais une fois que les dirigeants comprennent les tenants et aboutissants des bourses organisées, ils prennent la mesure de l’avantage qu’elle impliquent pour tous les partenaires”.

Et les avantages sont nombreux : le fait d’obtenir des biens et services sans toucher à sa trésorerie on l’a dit, mais également, soigner son réseau et son image, démarcher, dynamiser ses activités dans sa propre localité. Souvent d’ailleurs, les initiateurs d’une bourse sont des pouvoirs publics locaux, une agence de développement local, voire encore une coopérative d’activités qui veulent créer des ponts entre l’associatif et le privé. Comment ça marche ? Les entreprises s’inscrivent au préalable sur le site winwin.be, en mentionnant ce qu’elles cherchent et ce qu’elles ont à donner. Le jour de la bourse, les négociations se concrétisent et les échangent s’officialisent. “On a commencé en 2008 à Liège et à Anvers. Ça a tellement bien fonctionné que Bruxelles, Namur, Braine-l’Alleud, La Louvière, Courtrai et Gand ont suivi. Nous organisons la première bourse dans chaque ville pour montrer l’exemple, et les acteurs locaux organisent les suivantes”, explique encore Anne-France Paligot.

Le réseau RES Soutenir et développer le secteur des PME grâce au réseau, c’est ce que réussit à faire la coopérative RES depuis plus de 15 ans maintenant. Créé en 1995 par Walter Smets, ce réseau d’échanges compte aujourd’hui plus de 4.000 entreprises et 100.000 particuliers qui disposent d’une carte de crédit en unités de compte RES pour effectuer des achats chez les entreprises membres. “Dès qu’une petite société ouvre un compte chez nous, explique Gérard Nys, courtier du réseau RES, elle devient le fournisseur privilégié des autres entreprises du groupe. Grâce à cela, elle peut trouver des clients qu’elle n’aurait pas forcément eus autrement, et compléter son chiffre d’affaires.” Ce chiffre d’affaires supplémentaire est estimé pour les entreprises de 3 à 5 %.

Depuis peu, le réseau s’est donc ouvert aux particuliers (en B to C), offrant des privilèges sous forme de ristourne de 50 %. Un avantage non négligeable qui a déjà conquis son public : “J’ai de plus en plus de contacts avec des particuliers qui cherchent une autre façon de consommer, plus locale, raisonnée et économique, témoigne le courtier. Ils veulent par exemple acheter du bio moins cher que dans les grandes surfaces, et ils trouvent cela chez nous.” Car en plus d’y voir l’aspect pratique (le paiement se fait au moyen d’une carte électronique RES), ils y voient un avantage financier significatif… Le compte est bon !

STÉPHANIE GROSJEAN

Le troc inter-entreprises est-il légal ? Oui ! Il n’y a rien d’illégal, que ce soit sur le plan juridique, fiscal ou comptable. Le troc s’assimile à une transaction commerciale courante, mais faite par “compensation”. Celle-ci peut donc être décrite dans un contrat, entrée en comptabilité et déclarée à l’administration fiscale. Pour s’informer — Pour connaître le calendrier des prochaines bourses d’échanges entre entreprises, pour s’inscrire ou obtenir plus d’informations : www.winwin.be

— Pour en savoir plus sur le réseau RES : www.res.be

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