Trends Tendances

“Le travail disparaît, et les travailleurs n’y sont strictement pour rien”

On aurait pu imaginer que dans le processus historique de mécanisation qu’a connu le genre humain, le bénéfice global de cette mécanisation aurait été partagé entre tous. Or il n’en a rien été…

Si le travail de la machine – aujourd’hui essentiellement robots, logiciels ou algorithmes – bénéficie quoi qu’il arrive à son propriétaire, les salariés ayant perdu leur emploi du fait de leur remplacement par une machine sont livrés à eux-mêmes : à eux de retrouver un autre emploi là où le travail humain n’a pas encore disparu.

Dans son livre intitulé No More Work, l’économiste américain James Livingston souligne que pour le salarié, la machine n’a donc jamais été un allié mais un rival. Et un rival aujourd’hui de mieux en mieux armé car elle s’avère meilleure que nous dans un nombre croissant de tâches : extrêmement plus rapide, plus fiable et bien moins chère.

James Livingston rappelle également qu’il y eut une époque où une injection supplémentaire de capital permettait à un industriel d’acheter davantage de machines, lui offrant l’occasion de se débarrasser d’une partie de ses salariés, mais qu’il fallait alors en parallèle, ailleurs dans l’économie, recruter de la main-d’oeuvre pour fabriquer les machines en question. Cela a largement cessé d’être le cas en raison du peu de main-d’oeuvre mobilisée maintenant dans ce but, du fait précisément de la mécanisation croissante. De plus, si une hausse des salaires permettrait d’absorber une demande encore plus importante, elle constituerait une nouvelle incitation pour les industriels à mécaniser encore davantage puisque la comparaison entre salaires en hausse et coût de remplacement de l’humain par les robots, logiciels ou algorithmes, serait défavorable à l’humain.

Et ces problèmes sont déjà bien présents : James Livingston signale qu’aux Etats-Unis, un quart des adultes ” réellement actifs ” selon ses termes se trouvent sous le seuil de pauvreté. S’ils sont payés au taux horaire minimum fédéral de 7,25 dollars, ils demeurent sous ce seuil même s’ils travaillent 40 heures par semaine : il faudrait que ce taux horaire atteigne 10 dollars pour que ce seuil soit dépassé. Et s’il était doublé pour atteindre le montant irréaliste de 15 dollars, il faudrait encore que les Américains travaillent 29 heures par semaine pour dépasser le seuil de pauvreté. A l’heure actuelle, 20 % du revenu des ménages américains, dit-il encore, leur vient d’allocations versées par le système de sécurité sociale. Sans ce complément, c’est la moitié de la population qui se situerait en dessous du seuil de pauvreté. Son verdict est que le salarié actuel (il n’est même pas question du chômeur) est d’ores et déjà un assisté, et la tendance observée aujourd’hui signale que les choses ne feront qu’empirer.

L’alternative qui se profilerait un jour à l’horizon serait celle de salariés condamnés à un chômage structurel devenu définitif.

Qu’en conclure ? Que le travail disparaît et qu’il est impératif que nous en prenions pleinement la mesure. Si nous pratiquons la politique de l’autruche, nous blâmerons de la situation les salariés ne parvenant pas à retrouver du travail dans un marché de l’emploi qui se rétrécit comme peau de chagrin, alors qu’ils n’y sont strictement pour rien, le problème étant structurel.

L’homme pourrait-il s’accommoder d’obtenir ses revenus autrement que par le travail, demandera-t-on ? La question est oiseuse car le choix ne nous est plus véritablement offert, cette disparition ayant lieu quoi qu’il arrive. Elle doit être posée dans les termes qui sont les siens, sans quoi l’alternative qui se profilera un jour à l’horizon sera celle de salariés condamnés à un chômage structurel devenu définitif, réduits à une masse encombrante aux yeux de la minorité dont les revenus proviennent du travail des machines, masse désoeuvrée dont certains n’hésiteront pas à prôner l’élimination pure et simple.

Affirmer que rien n’a changé, que tout est comme avant sur le marché du travail, et que l’on peut toujours viser le plein emploi comme un objectif envisageable trahirait chez celui qui tiendrait de tels propos qu’à ses yeux la question de l’emploi ne mérite plus d’être mise à plat, s’assimilant désormais à un simple problème de maintien de l’ordre : que faire de tous ceux qui ont déjà perdu leur emploi ou qui le perdront bientôt, comme l’annonce chez nous la situation existant déjà aux Etats-Unis, et qui n’en trouveront plus jamais d’autre ? Plus jamais.

James Livingston, ” No More Work. Why full employment is a bad idea “, The University of California Press, 2016.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content