Le périple d’un producteur de moules de Zélande

© Thomas De Boever

La réputation des moules de Zélande n’est plus à faire. Mais qu’en est-il exactement de leur qualité ? Leur élevage respecte-t-il l’environnement ? “Trends-Tendances” vous propose de suivre le périple d’un mytiliculteur zélandais.

Nous sommes à bord du Yerseke 24, le navire de Prins & Dingemanse. Sous un soleil éclatant, nous nous dirigeons vers les parcelles de rinçage au large d’Yerseke, sur l’Escaut oriental. Cette partie fluviale relativement protégée est entourée de terres. Chaque affineur de moules exploite ses propres parcelles de rinçage qu’il loue à l’Etat. ” Ces parcelles sont donc la propriété des Pays-Bas, et les affineurs de moules n’en sont que locataires “, explique Martijn van der Sluijs, responsable marketing et communication chez Prins & Dingemanse. Elles sont délimitées par des pieux en bois et figurent sur le localisateur GPS de l’Yerseke 24. ” Nous arrivons à proximité d’une parcelle “, annonce le capitaine, alors qu’il nous montre sur l’écran une zone subdivisée en rectangles. Dans ces ” entrepôts sous-marins “, les moules adultes peuvent reposer et dégorger afin d’être débarrassées de tout sable lorsqu’elles sont proposées aux consommateurs. Quelques instants plus tard, des filets montés sur des châssis d’acier sont lancés. Un câble y est accroché pour les hisser à bord, une fois qu’ils sont remplis de moules. ” Tu veux en goûter une ? “, me demande Adri, pêcheur de moules depuis 1972. Je goûte la mer.

Sur le navire, la montagne de moules est nettoyée. Le processus sera répété à plusieurs reprises une demi-heure plus tard lorsque nous serons à nouveau à quai, dans les entrepôts de Prins & Dingemanse – avec vue directe sur l’Escaut oriental. Les moules seront cette fois nettoyées à l’eau filtrée, lavée de toute bactérie. Des grues font passer les moules d’un convoyeur à bande à l’autre : ébarbage, extraction des intrus comme les petits crabes et autres étoiles de mer, puis tri mécanique selon leur taille. Elles sont enfin placées sous conditionnement étanche ou dans des sacs de jute encore cousus à la main. La tare (coquilles vides, étoiles de mer, etc.) retourne à l’Escaut oriental.

Le périple d'un producteur de moules de Zélande
© Thomas De Boever

Pêche au sol ou ICN

Avant que les moules adultes soient traitées et emballées pour la consommation, elles ont déjà parcouru un long chemin. Les moules sont cultivées dans l’Escaut oriental depuis 1870. Depuis que les parcelles zélandaises ont été dévastées par un parasite dans les années 1950, la culture se fait également dans la mer des Wadden. Cette mer nourricière recense le plus grand nombre de parcelles de moules. En raison de la forte influence des marées, ses eaux sont très riches en nutriments. La mer des Wadden est ainsi très propice à la mytiliculture. La reproduction des moules, la libération naturelle des larves, a lieu au printemps et à l’été. Après un mois, ces larves forment une petite coquille. Le poids croissant de la moule et de la coquille la fait couler sur les fonds marins, où elle se fixe. Ces petites moules de 1 à 2 cm sont appelées naissains.

Cultivateurs et négociants négocient de plus en plus fréquemment les prix à l’avance, pas à la criée ” – Paula Huissen (Organisation des producteurs de la mytiliculture néerlandaise)

En octobre et en mai, les cultivateurs de moules peuvent pêcher une quantité limitée de naissains sur les bancs sauvages pendant quelques semaines. Chaque fois, la quantité de nouveaux naissains est inventoriée et le nombre de bébés moules qui peuvent être pêchés est fixé.

Les mytiliculteurs et des organisations de défense de la nature se sont durement opposés en 2008. La pêche au sol des naissains détruirait les fonds marins, selon ces dernières. L’avenir de la mytiliculture zélandaise ne tenait qu’à un fil. Finalement, les cultivateurs de moules ont conclu un accord avec les organisations écologistes et le gouvernement. Plus question de pêcher les naissains, la matière première de la mytiliculture, n’importe où. Le secteur a réduit progressivement la pêche aux naissains. On a ainsi testé l’hypothèse d’un développement conjoint des bancs de moules naturelles et des herbiers marins.

LES MOULES DE ZéLANDE proviennent de plus en plus souvent d'autres régions.
LES MOULES DE ZéLANDE proviennent de plus en plus souvent d’autres régions. © Thomas De Boever

Une solution alternative et durable consiste à disposer des installations de captage de naissains (ICN). Ce sont des cordes ou des filets attachés à des bouées ou à des tubes auxquels les naissains peuvent s’accrocher et se développer pour devenir de minuscules moules. Les ICN sont immergées du 1er mars au 1er novembre, et les épais paquets de naissains sont récoltés à l’été et l’automne. Les ICN sont actuellement la meilleure alternative à la pêche au sol pour la récolte des naissains. La réduction de la pêche au sol ira donc de pair avec l’augmentation du nombre d’ICN. Celles-ci n’ont cessé de s’étendre depuis 2009 : on en compte 260 hectares dans les eaux du delta et 500 ha dans la mer de Wadden. Selon Tilly Sintnicolaas, manager du Nederlandse Mosselbureau, une organisation qui fait la promotion de la moule de Zélande, cette méthode de captage des naissains donne de bons résultats, moyennant des coûts plus élevés qu’avec pêche aux naissains sauvages. ” C’est aussi une méthode à forte intensité de main-d’oeuvre, l’installation demande beaucoup d’entretien, explique-t-elle. Les mytiliculteurs ont davantage de frais, ce qui en fait une méthode moins rentable. Mais de plus en plus de cultivateurs de moules ont désormais recours aux ICN. Ils n’ont pas le choix. ”

Le périple d'un producteur de moules de Zélande
© Thomas De Boever

Du naissain à la moule adulte

Une fois pêchés, les naissains sont transférés vers les parcelles de culture et dispersés dans les eaux peu profondes des moulières. Ces parcelles sont également louées à l’Etat : l’Escaut oriental et la mer des Wadden sont des Rijkswateren. Les mytiliculteurs sont des agriculteurs des fonds marins. Après un an, les minuscules mollusques atteignent environ 2 à 3 cm. Les pêcheurs transfèrent alors ces ” demi-moules ” vers des eaux plus profondes et plus riches. Les moules seront déplacées à plusieurs reprises au cours des deux années suivantes, afin qu’elles disposent de l’espace nécessaire pour grandir. Les mytiliculteurs nettoient régulièrement les parcelles, car l’étoile de mer, le principal prédateur naturel de la moule, est capable d’ouvrir la coquille et d’en dévorer la chair. Le plancton naturel présent dans l’eau permet aux moules de continuer à grandir jusqu’à atteindre 5 à 6 cm après deux ans. C’est alors un produit digne d’être commercialisé.

Outre cette culture au sol, on pratique également la culture suspendue dans l’Escaut oriental. Dans ce cas, le naissain est placé dans des espèces de bas attachés à des structures flottantes. Lorsqu’elles sont suffisamment grandes, les moules sont pêchées et apportées à la Nederlandse Mosselveiling d’Yerseke, la seule criée aux moules d’Europe.

Mer d’Irlande

Nous jetons un coup d’oeil sur la criée de Yerseke. Tout est calme. Un ancien cultivateur de moules de 86 ans boit une tasse de café gratuite. ” Vous faites un reportage sur les moules de Zélande ? Savez-vous qu’elles viennent de moins en moins d’ici ? ”

Si les moules étrangères sont rincées, transformées et conditionnées en Zélande, elles porteront le label Moules de Zélande.” – Martijn van der Sluijs (Prins & Dingemanse)

Il titille notre curiosité. Plusieurs sources confirment que la moule de Zélande provient de plus en plus souvent d’autres régions. A l’époque de l’âge d’or des moules – lorsqu’il n’y avait pas encore de mesures de restriction – , seules des moules de Zélande étaient mises sur le marché. A présent, il en arrive également de la mer d’Irlande, d’Ecosse, d’Allemagne et du Danemark. Les négociants en moules sont partis à la recherche de nouvelles régions où il était possible de cultiver les mêmes moules. Négociants et mytiliculteurs ont conclu des partenariats à l’étranger. Les importations représentent 40 à 50 % des moules de Zélande. Martijn van der Sluijs confirme également que Prins & Dingemanse importe des moules étrangères. ” Ces moules sont cultivées de la même manière qu’en Zélande, assure- t-il. Si elles sont rincées, affinées et conditionnées en Zélande, elles reçoivent le label Moules de Zélande. ”

Le profil du mytiliculteur a également évolué. Il cultive de moins en moins seul. Presque toutes les entreprises d’affinage ont à présent leur propre filiale de culture. ” Il reste des cultivateurs indépendants, mais la plupart des marchands sont aujourd’hui propriétaires de l’entreprise mytilicole ou ont conclu un partenariat avec un cultivateur indépendant, indique Paula Huissen, reponsable au sein de l’organisation des producteurs de la myticulture néerlandaise. On trouve donc de moins en moins de petits cultivateurs indépendants, notamment en raison de la croissance des ICN. ”

Martijn Van Der Sluijs:
Martijn Van Der Sluijs: ” La logistique est cruciale dans notre activité : nous travaillons avec un produit vivant. “© Thomas De Boever

Criée et prévente

Même la criée Nederlandse Mosselveiling, un havre de confiance et de contrôle de la qualité, n’échappe pas au progrès. Les moules de Zélande y sont échantillonnées depuis des décennies. Le maître de criée Nico van Zantvoort organise l’échantillonnage et dirige la vente. Avec un petit saut, il prélève un échantillon représentatif du chargement. Il permettra de déterminer la quantité de moules proposées par le cultivateur, la taille des moules (taille de la coquille et poids de la chair) et le pourcentage de matières résiduelles (coquilles vides et pustules) dans le chargement. Le résultat de l’échantillonnage est connu avant la criée. Ensuite, les négociants peuvent lancer des offres sur les différents lots, sur place ou en ligne. Mais les chargements sont de plus en plus vendus de gré à gré, dans le cadre d’une prévente. ” L’échantillonnage et le traitement administratif se font toujours à la criée, mais cultivateurs et marchands se mettent de plus en plus souvent d’accord sur le prix à l’avance, précise Paula Huissen. Les grands détaillants veulent davantage de certitudes concernant les livraisons et les prix. ”

Il y aura encore des moules dans 100 ans. De nouvelles méthodes de culture, comme les ICN, garantissent la continuité.” – Piet Devriendt (Oesterput)

La criée sera-t-elle bientôt mise hors jeu ? Pas dans l’immédiat. Les mytiliculteurs sont toujours obligés de présenter leurs moules à la criée. Idem pour les affineurs qui pratiquent également la culture. ” Notre propre culture est aussi cotée et échantillonnée à la criée, indique Martijn van der Sluijs. Elle ne part vers les parcelles de rinçage qu’ensuite. Mais les préventes sont effectivement de plus en plus fréquentes. Cette tendance se dessine également dans d’autres secteurs, comme la culture de pommes de terre. A la criée, on achète ce dont on a besoin. Nous n’avons pas assez de nos propres moules. Chaque client a besoin d’un type de moules différent. Nous achetons selon nos besoins. Les différences nationales sont énormes : en Belgique, on aime les grosses moules ; en Allemagne et en France, on préfère les petites. Nous devons savoir aujourd’hui ce que nous allons produire demain. Sauf que nous restons également tributaires des caprices de la nature. ”

Le périple d'un producteur de moules de Zélande
© Het Nederland Mosselbureau/TT

Brevet

Plusieurs chargements sont prêts à quitter l’entrepôt de Prins & Dingemanse. Auparavant, les moules n’étaient disponibles que durant les mois en ” bre “. Mais depuis l’arrivée du transport frigorifique, la saison des moules dure de la mi-juillet à avril. ” A partir de la mi-juillet, nous produisons dès l’aube, explique Martijn van der Sluijs. Le camion part pour la côte belge à 9 heures, pour arriver chez le grossiste à 11 heures. Les moules fraîches sont livrées au restaurant à midi, et à 13 heures, vous les dégustez. En 1997, nous avons pris un brevet sur un système de conditionnement étanche qui permet de conserver des moules au moins une semaine. Depuis, nous livrons également à la grande distribution. La logistique est cruciale dans notre activité : nous travaillons finalement avec un produit vivant. ”

Le producteur Prins & Dingemanse – cinq générations depuis les pêcheurs de homards d’origine – propose un large assortiment de produits, de la culture à la vente. La plupart des moules sont destinées au marché frais, mais l’entreprise produit également des moules en conserve (brièvement cuites à l’eau), de la chair de moules (pour des pâtes et des soupes) et du jus de cuisson (condiment pour l’industrie). L’entreprise possède quatre bateaux, ses parcelles de culture et ses ICN. ” Pour anticiper l’avenir fermé, affirme Martijn van an der Sluijs. L’accord prévoit de limiter totalement la pêche des naissains sur fond de mer à partir de 2020. ”

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© Thomas De Boever

Fraîches dans votre assiette

Les Belges sont très friands de moules de Zélande. C’est un des classiques de la gastronomie belge. Des plus petites aux plus grosses : extra, super, imperial, jumbo et label d’or. A l’Oesterput de Blankenberge, on sert des moules et d’autres crustacés, comme des huîtres et du homard. A sa création en 1885, il s’agissait d’un grossiste en crustacés. Au décès inopiné de son père Pierre Devriendt en 1974, l’actuel directeur et chef-coq Piet Devriendt a repris la barre avec l’aide de son personnel fidèle, à 14 ans. ” Depuis, je m’occupe de moules chaque jour “, dit-il. Il a successivement approvisionné l’horeca local à vélo, à vélomoteur et en camionnette. En 1986, Piet Devriendt crée le Restaurant Oesterput avec Caroline Pattyn. Il vend l’activité de vente de crustacés en gros en 1996 – la concurrence est de plus en plus rude. Depuis, il ne gère que le restaurant, qui accueille jusqu’à 600 personnes les jours d’affluence.

” Nos moules de Zélande viennent de chez Prins & Dingemanse et de chez Delta Mossel, les deux plus grandes entreprises d’affinage de moules, via un grossiste local “, indique le patron de restaurant. Chaque année, il se rend à Yerseke et Bruinisse pour contempler de ses propres yeux d’où proviennent ses moules et ses huîtres plates. ” Les moules sont chères, mais la culture et l’élevage demandent beaucoup de temps et d’argent, reconnaît-il. Elles ne poussent pas sur les arbres, hein ! ” Il est optimiste concernant la mytiliculture. ” Il y aura encore des moules dans 100 ans. De nouvelles méthodes de culture, comme les ICN, garantissent la continuité. ”

La devise de la Zélande, qui figure sur le blason de la province, correspond parfaitement au secteur mytilicole zélandais. Luctor et emergo. Je lutte et j’émerge. Car ce secteur de niche, en partie réglementé par l’Etat néerlandais, évolue constamment sous l’impact de la législation, de l’automatisation et de la globalisation.

Par Sam De Kegel.

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