Le juteux business chinois de l’usurpation de marques

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Avec ses 1,36 milliard d’habitants, la Chine est une formidable manne de consommateurs qui attire chaque année de nouvelles marques internationales, mais celles-ci ont parfois de bien mauvaises surprises en arrivant…

En Chine, la législation régissant la propriété intellectuelle pourrait se résumer à un seul adage: “premier arrivé, premier servi“. Il est interdit dans ce pays de déposer une marque qui existe déjà ou de breveter un produit dont les plans ont déjà été dévoilés. Ces règles, en apparence des plus classiques, sont au coeur d’un juteux trafic, celui de l’usurpation de marques.

Tesla contre Tesla

En 2013, le constructeur de voitures électriques Tesla décide de s’implanter en Chine. Mais à son arrivée, surprise: une marque du même nom a déjà été déposée par Zhan Baosheng, un homme d’affaires alors inconnu au bataillon. C’est en 2009 que ce dernier a fondé Tesla. Il en a profité pour déposer son équivalent phonétique en chinois, “Te Si La”, un slogan et acheter plusieurs noms de domaines, dont teslamotors.com.cn et tesla.cn. Cela est tout à fait légal puisqu’il a été le premier à le faire, en Chine. Sur son site internet, l’homme d’affaires utilise même sans complexe le logo du ‘vrai’ Tesla. Une erreur qui lui a cependant coûté sa page web. En effet, il en avait fait la demande en 2009, mais le bureau régissant les brevets en Chine avait refusé l’utilisation du fameux “T”.

En 2013, le constructeur entame une procédure judiciaire contre Zhan Baosheng pour “violation de la propriété intellectuelle” et “concurrence illicite”. Le Chinois réplique et poursuit Tesla pour la commercialisation d’une marque qu’il a déposée en premier dans son pays. Finalement, cette bataille sera écourtée grâce à un accord à l’amiable entre les deux parties. Tesla maintient que cela ne lui a rien coûté.

Michael Jordan, Apple et Hermès dans la tourmente

Tesla n’est qu’une marque parmi tant d’autres qui ont tenté de faire entendre leur voix devant les tribunaux chinois. Jolpress révélait en mars 2012 les batailles menées par des géants du business. Parmi eux, le sportif Michael Jordan, Hermès ou encore Apple. C’est une véritable croisade qu’ils ont menée devant les tribunaux pour défendre leur nom.

Du côté d’Hermès, la bataille s’était soldée par un échec, la Cour ayant jugé que la marque n’était pas assez connue en Chine pour qu’une autre entreprise ait intentionnellement utilisé le même patronyme. Pour Apple, la guerre des noms a coûté bien cher. En cause, la société Preview, à laquelle la marque à la pomme avait racheté le nom “iPad”. Preview a assigné Apple en justice, assurant que la transaction n’avait pas été faite dans les règles de l’art. Jusqu’au jugement, les iPad ont été interdits à la vente dans plusieurs villes.

Des lois suffisamment strictes

Mais alors, qu’est-ce qui cloche dans la législation chinoise ? Si ces lois sur la propriété intellectuelle sont conformes aux normes de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), c’est qu’elles ne sont pas si différentes de celles en vigueur dans les autres pays. La seule différence tient peut-être de la “preuve d’utilisation ou d’intention d’utiliser la marque“. Aux Etats-Unis, par exemple, cette condition est indispensable au dépôt d’une marque. En Belgique, il faut impérativement utiliser sa marque dans les cinq années qui suivent son enregistrement, sous peine de perdre son nom.

48 milliards de manques à gagner, par an, rien que pour les firmes américaines…

Le système de protection chinois de la propriété intellectuelle a aussi un défaut majeur, celui de sa jeunesse. En pleine “phase d’apprentissage”, il compte une large majorité de brevets nationaux. Quand bien même les autorités compétentes feraient des recherches d’antériorités, il serait difficile de détecter des marques étrangères qui portent le même nom. À moins que celles-ci ne se soient inscrites. Cette pratique est encore très peu répandue, alors qu’elle coûterait moins de 200 euros pour un enregistrement ‘basique’. A Jolpress, Horace Lam, un avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle qui réside à Pékin, confie : “J’ai vu le même problème se répéter maintes et maintes fois, j’ai vu les multinationales les plus importantes faire cette erreur en Chine. Le problème n’est pas tant le coût… Le problème est que les gens ne connaissent pas le système et qu’ils n’avaient probablement pas la Chine sur leurs radars jusqu’à maintenant.

C’est un véritable business de l’usurpation de marques qui s’est développé en Chine. Certains n’hésiteraient plus à créer des marques par milliers. Pour récupérer leur nom, les entreprises étrangères n’ont parfois d’autre choix que d’offrir des pots-de-vin, pouvant aller selon La Tribune jusqu’à 20.000, ou 30.000 dollars. En mai 2011, la Commission américaine sur le Commerce International a rendu un rapport édifiant. Entre la contrefaçon et les usurpations en Chine, le manque à gagner pour l’économie des Etats-Unis a été chiffré à 48 milliards de dollars, en l’espace d’un an seulement.

Perrine Signoret

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