Le Festival d’Ostende, un parc de châteaux de sable à un million d’euros

Ce n'est pas demain que la côte belge accueillera un festival centré autour d'oeuvres critiques. © EMY ELLEBOOG

Qui, parmi les badauds qui admirent cette année les 150 sculptures inspirées du monde de Disney, pourrait se douter qu’une seule d’entre elles coûte aussi cher que ses propres vacances en famille ? Alexander Deman, de la SPRL Deman, a dépensé plus d’un million d’euros pour organiser le festival.

Contrôle des billets, ramassage des ordures, accueil des visiteurs, comptage de la recette du jour ou surveillance du personnel : Alexander Deman (43 ans) travaille, pendant la période du festival, de la levée du jour à la tombée de la nuit. Au cours des mois qui ont précédé, il a négocié avec Disney la licence et les sculptures, conçu les illustrations en 3D destinées à servir de modèle aux artistes, organisé les vols et les 1.200 nuitées de 30 sculpteurs en provenance de 12 pays, fait venir 240 camions de sable de rivière anguleux du Brabant wallon et conclu pour 600.000 euros de couverture médiatique et pour 500.000 euros de contrats de sponsoring.

Derrière les festivals de sculptures de sable et sur glace organisés chaque année en France et en Belgique (un par thème et par pays) se cache la SPRL Deman, très rentable et dont le capital a désormais atteint un bon 440.000 euros. L’unique actionnaire en est Alexander Deman, qui porte également les casquettes de gérant, de concepteur, de vendeur, de responsable de production, de chef d’équipe et de marketing manager.

One man show

“Il ne faut pas conférer à l’exposition de signification trop profonde. Le public préfère les thèmes populaires.”© EMY ELLEBOOG

” Je ferais bien d’apprendre à déléguer “, rit Alexander Deman. L’homme a commencé sa carrière en 1997 comme étudiant jobiste à l’occasion du premier festival de sculptures de sable organisé à la côte belge. Devenu co-organisateur indépendant en 2010, il a définitivement repris le flambeau en 2014 (lire l’encadré ” L’ancien boss sur la touche ” plus bas). Depuis, il assume risques et pertes et engrange les bénéfices. ” Je suis 180 jours par an sur la plage et 120 dans un véritable frigo, explique-t-il. C’est un travail intense, qui me confronte chaque jour à mon public. J’ai depuis deux ans la garde partagée de mes deux enfants de 9 et 13 ans. Ils me forcent de temps en temps à lever le pied. Auparavant, je n’étais jamais à la maison. “

” Initialement, c’est une agence de pub qui concevait affiches et annonces, poursuit-il. Un créatif imaginait le concept et un dessinateur spécialisé en architecture élaborait les plans en 3D. Un indépendant s’occupait des contacts avec la presse. Mais petit à petit, je me suis mis à tout gérer. Cela me permettait de diminuer les frais et d’accélérer la cadence. Mais, surtout, j’aime ça. Si l’on peut me reprocher quelque chose, c’est d’être l’homme du one man show. Ce qui, évidemment, poserait problème s’il m’arrivait quoi que ce soit. ”

Perfectionnisme

Cela dit, la vraie star du festival n’est pas Alexander Deman, mais le monde de Disney : les visiteurs sont ravis de pouvoir multiplier les selfies en compagnie de Spiderman, de Cars, des adorables monstres Mike et James, ou encore de poser devant le château de la Belle au bois dormant. Le thème attire, aussi bien le public que les autres villes et les sponsors.

Ce n’est pas demain que la côte belge accueillera des expos conceptuelles consacrées à la vie aquatique ou aux animaux d’Afrique, comme le Søndervig Sand Sculpture Festival, au Danemark, ou un festival centré autour d’oeuvres critiques, comme au Royaume-Uni. ” Il ne faut pas conférer à l’exposition de signification trop profonde, estime Alexander Deman. Je connais mon public depuis 20 ans : il préfère les thèmes populaires. C’est la raison pour laquelle notre reconstitution de la Bruges médiévale, en compagnie de Bob et Bobette et de Fanny et Cie (De Kiekeboes, jusqu’en 2010), il y a quelques années, n’a pas eu le succès escompté. Les éditions Standaard ne nous avaient autorisés à représenter les personnages qu’à un seul exemplaire. ”

A l’occasion du festival de sculptures de glace de Liège, Alexander Deman a déboursé 100.000 euros pour obtenir les droits sur Star Wars, au moment précis où Le Réveil de la Force était projeté en salles. Ce qu’il a dû payer cette année pour le thème de Disneyland Paris est un secret. ” Disney exige la perfection, précise Alexander Deman. La Belle au bois dormant a un nombre précis de boucles, pas plus, pas moins. Tout cela est minutieusement contrôlé. ”

La Belle au bois dormant a un nombre précis de boucles, pas plus, pas moins. Tout cela est minutieusement contrôlé.

Les sponsors sont autorisés à utiliser le thème de Disney dans leur communication. Volkswagen, BNP Paribas Fortis, Fun, Radio 2, Coca-Cola et d’autres grands noms contribuent pour un total de plus de 500.000 euros à l’événement. ” Delhaize fête ainsi son 150e anniversaire en passant par moi, se réjouit Alexander Deman. Comme il est sponsor, il est autorisé à utiliser toutes les illustrations, de sorte qu’il dispose d’un sujet estival très porteur. Les clients de BNP Paribas Fortis et les détenteurs d’une carte Delhaize bénéficient d’une réduction de deux euros. Ce geste me coûte entre 50.000 à 100.000 euros, mais me donne une visibilité dans tout le réseau Delhaize et dans la communication de BNP. ”

Croissance

La vente des billets finance le reste. Un festival attire facilement 150.000 visiteurs, même si la crainte du terrorisme gâche désormais quelque peu la fête. Tempêtes de grêle, tornades ou pannes du système de réfrigération : Alexander Deman connaît les risques susceptibles de rayer un festival de la carte. Le terrorisme est venu s’ajouter à la liste. Il lui a pourri la vie en 2015 et en 2016. ” Après l’attentat de Nice, l’été dernier, deux véhicules de l’armée avaient été stationnés à l’entrée du festival du Touquet. Essayez donc dans ces conditions d’attirer des gens habillés pour aller à la plage ! Le festival de sculptures de glace de Liège s’est ouvert le 13 novembre 2015, le jour même de l’attaque contre le Bataclan. Nos reportages télévisés sur RTL et sur la RTBF ont tout simplement cessé d’être diffusés. A deux reprises, nous avons perdu plus de 50.000 visiteurs, ce qui représente un demi-million d’euros. Si une nouvelle catastrophe arrive cette année, nous ne pourrons plus faire face. ” Malgré le terrorisme, la SPRL a achevé l’exercice 2015 sur un bénéfice d’exploitation de 486.863 euros. En 2014, le bénéfice s’établissait à 343.025 euros, l’année d’avant, à 141.262 euros.

Ces dernières années, Alexander Deman est passé de l’organisation de deux festivals à quatre – deux en France et deux en Belgique. Il n’a pas l’intention d’aller plus loin. Il refuse les demandes que lui adressent certaines villes allemandes et néerlandaises ; il aurait même dit non à un cheik d’Abou Dhabi. ” Je veux créer de la magie, clame l’entrepreneur. Je ne suis pas un fournisseur de châteaux de sable qui cherche à tout prix à exploiter le filon. ” Alexander Deman se dit toutefois ouvert à l’idée de dénicher un partenaire qui l’aiderait à se développer à l’international.

Comment l’homme se décrit-il ? ” Je préfère les bottes en caoutchouc à la cravate, reconnaît-il. Je suis plus manuel qu’intellectuel. ” Son solide bon sens et son goût de l’autonomie l’empêchent de se développer davantage. ” Je veux pouvoir gérer tout de très près. Si mon entreprise devait croître, je devrais engager un product manager, un vendeur. ” Seule concession à ses enfants, il recrute, pour la durée du festival, un responsable des produits et un responsable financier. ” Cela me permet de libérer un peu de temps pour eux “, conclut-il.

Par Hans Hermans.

4 millions d’euros, c’est le chiffre d’affaires annuel de la SPRL Deman. Chaque festival coûte environ 1 million d’euros.

L’ancien boss sur la touche

Aujourd’hui, Alexander Deman porte seul sa couronne de roi des sables. Il y a quatre ans encore, il travaillait en tandem avec Francis Vandendorpe (57 ans). A chacun sa façon d’expliquer pourquoi la relation a mal tourné.

“Alexander a commencé par être mon employé, se souvient Francis Vandendorpe. A partir de 2010, il a voulu travailler pour moi comme indépendant. Nous nous sommes organisés comme cela jusqu’à ce que le propriétaire du terrain de Blankenberge ne veuille plus nous louer l’endroit. Le but n’était pas qu’Alexander fasse un jour cavalier seul, mais comment interdire à un enfant de bâtir un château de sable ? Ce n’est pas une activité que l’on fait breveter. Il a donc organisé un festival de sculptures de sable à Ostende sans moi.”

“J’ai dû créer ma propre SPRL, expose Alexander Deman. Après l’effondrement, sous le poids de la neige, de la tente qui abritait les sculptures, en 2009 à Bruges, j’ai dû participer aux risques. Après quoi, il m’a fallu continuer seul, parce que Blankenberge ne voulait pas reconduire le contrat, à cause de la baisse de fréquentation, et que Francis souhaitait prendre une année sabbatique et n’imaginait pas un champ de sculptures en plein air. Je n’avais aucune autre source de revenus.”

En hiver tout particulièrement, les deux entrepreneurs se coupent mutuellement l’herbe sous le pied. “La première année qui a suivi notre séparation, Alexander a organisé un festival à Anvers et un autre à Liège, parallèlement au mien à Bruges, déplore Francis Vandendorpe. La Belgique est trop petite pour accueillir trois événements de ce type.” Francis Vandendorpe envisage d’organiser cet hiver un nouveau festival à Bruges, où sont ses racines. Par ailleurs, il est exploitant du Pier, à Blankenberge, et gérant de l’organisateur d’événementiels Xanto.

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