Le coup de gueule d’un indépendant contre les syndicats

Au lendemain de la grève générale, un indépendant avoue son ras-le-bol face aux attaques d’un syndicat. Il a trempé sa plume dans l’acide pour répondre point par point à ce qu’il dénonce comme des “mensonges”. Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans ses arguments…

La CSC, sur un site Internet dédié, étudie les “conséquences concrètes de l’accord politique” sur une série de profils, de la personne “qui vient de perdre son emploi” à “l’investisseur/investisseuse”, en passant pas le “salarié disposant d’une voiture de société”, le “fonctionnaire statutaire” et… l'”indépendant(e) ou patron(ne) d’une PME“.

Ce dernier point a particulièrement exaspéré Frédéric Wauters, fondateur d’Ex Abrupto… et donc indépendant. Pour une simple et bonne raison : loin de dénoncer les effets éventuellement négatifs des “mesures d’assainissement” décidées par le gouvernement Di Rupo, la CSC y énumère les raisons pour lesquelles les indépendants n’ont “aucune raison de s’inquiéter, ni de faire la grève, car les mesures d’assainissement” les ont plutôt épargnés”.

Quant à savoir pourquoi, le syndicat chrétien n’y va pas par quatre chemins en s’adressant aux indépendants et patrons de PME : “Vos organisations manquent totalement de responsabilité. Elles ont tout mis en oeuvre pour torpiller les propositions d’assainissement qui risquaient d’être douloureuses pour vous, de sorte que ce sont les travailleurs salariés et les chômeurs qui feront les frais de l’austérité. Elles pourront ensuite reprocher aux organisations qui dénoncent l’austérité d’adopter un comportement irresponsable. Les organisations qui défendent vos intérêts sont en outre parvenues à vous faire cadeau de quelques améliorations, en dépit des graves difficultés budgétaires. Vous avez donc toutes les raisons de croire au Père Noël !”

Pour Frédéric Wauters, le syndicat se livre ici “à une propagande mensongère sur les indépendants. Les propos tenus sont réellement mensongers et diffamatoires, et travestissent à ce point la vérité qu’il m’était impossible de ne pas réagir.” Et l’indépendant de tremper sa plume dans l’acide pour répondre, point par point, à la CSC. Morceaux choisis.

1. Voiture de société

Pour certains indépendants (comme pour de nombreux travailleurs salariés), la hausse de la fiscalité sur les voitures de société “représente plusieurs centaines d’euros par mois d’impôts supplémentaires. Comme je suis un petit indépendant qui débute, j’ai de la chance, ma voiture n’est pas trop luxueuse, et je n’en aurai donc que pour 40 euros mensuels supplémentaires. D’autres en seront de leur poche pour plusieurs centaines d’euros.”

Quant aux patrons de PME, “ils vont carrément passer à la caisse s’ils ont attribué des voitures de société à leurs travailleurs. En effet, pour chaque voiture, il existe désormais une DNA (dépense non admise) correspondant à 17 % de l’avantage de toute nature octroyé au travailleur. S’y ajoute une diminution de la déductibilité de certaines dépenses. Bref, pour une petite voiture comme la mienne, cela représente environ 300 euros en dépenses rejetées et un peu plus de 100 euros en impôts supplémentaires : 400 euros par voiture et par an !”

2. Sécurité sociale

“Pas d’augmentation des cotisations que vous payez pour financer votre sécurité sociale : les pouvoirs publics, donc les travailleurs salariés, continuent à combler le déficit ; vous ne payez pas de cotisation sur vos revenus supérieurs à 34.000 euros par an et la situation est inchangée”, écrit la CSC.

“Menteurs !, réplique Frédéric Wauters. Le seuil d’exemption des cotisations sociales est de 80.165,52 euros (revenu 2009 réévalué), et non 34.000.” Plus encore, “les indépendants complémentaires paient chaque mois des cotisations sociales qui ne servent strictement à rien !”

3. Précompte mobilier

La CSC ajoute : “Pas d’augmentation du précompte mobilier sur les bénéfices que vous faites en cas de liquidation de votre société (boni de liquidation).”

Réponse de l’indépendant en colère : “Pour commencer, une liquidation n’est pas nécessairement bénéficiaire. Ensuite, une liquidation, sauf en cas de faillite, c’est assez rare. En général, le patron préfère revendre sa société plutôt que de la liquider. Cela aide à pérenniser l’activité, et donc à conserver de l’emploi si la société en question a des travailleurs. Et en plus, c’est en général fiscalement exonéré, donc c’est plus sympa que de payer 10 % d’impôts.”

Frédéric Wauters ajoute à cela le fait que, l’argent de sa société provient tout simplement… de lui-même : “Les bénéfices qui sont encore dedans, ils ont été taxés à l’impôt des sociétés, soit 25 %. Et donc, en gros, il faudrait encore que je paie un impôt pour récupérer cet argent ?”

4. Intérêts notionnels

“Pas de suppression du tarif préférentiel de 0,5 % pour la déduction des intérêts notionnels dans les PME”, dénonce la CSC.

Le syndicat oublie de dire, selon le fondateur d’Ex Abrupto, “que le taux général de déduction a, lui, été abaissé. Il s’agit juste du supplément de déduction octroyé aux PME.” En outre, sur les intérêts notionnels, syndicat et indépendant mènent un même combat, avance-t-il : “Ce sont les toutes grosses sociétés qui en profitent le plus, pas la petite PME du coin. Nous, les petits patrons de société, (…) on échangerait tous les jours une réduction du taux de l’Isoc contre les intérêts notionnels.”

5. Allocations familiales et pensions

“Possibilité d’allocations familiales et de pensions minimales équivalentes”, pointe la CSC.

“A mon avis, nous n’avons pas lu la même loi, tranche Frédéric Wauters. Di Rupo ne prévoit pas de supprimer le coefficient d’harmonisation qui influence les pensions des indépendants à la baisse. Quant au rattrapage des allocations familiales, il n’en est pas question non plus, et pour cause : cela a déjà été voté par les amis socialistes et les sociaux-chrétiens au moment de l’orange bleue.”

6. Coûts salariaux réduits pour les premiers engagements

“Réductions des coûts salariaux pour les premiers engagements”, énumère le syndicat.

“Donc, un indépendant qui engage pour la première fois un nouveau collaborateur, c’est mal, et il ne faut pas l’encourager ? J’ai fait le calcul : si je veux engager une secrétaire et la payer 1.500 euros nets, cela me coûtera plus du double. Du coup, je n’ai pas le budget et je n’engage pas. Cela fait un patron débordé et une secrétaire au chômage.”

Explication, selon l’auteur du post : “Les syndicats s’enrichissent grâce aux chômeurs Et cela, on l’oublie trop souvent. Les syndicats sont grassement rémunérés par l’Etat pour s’occuper du paiement des allocations de chômage. Ce qui leur apporte deux avantages : plus d’argent, car chaque chômeur représente des commissions en plus ; plus d’affiliés, car les chômeurs sont obligés de se syndiquer s’ils ne veulent pas avoir affaire à la Capac.”

7. Quotité exonérée d’impôt pour les bas revenus

“Augmentation de la quotité exonérée d’impôt pour les bas revenus, y compris les indépendants qui maintiennent artificiellement leurs revenus à un faible niveau”, indique la CSC.

“Diminuer les impôts pour les petits salaires, ce serait donc mal ? Je ne connais pas beaucoup d’indépendants qui maintiennent artificiellement leurs revenus à un bas niveau. Et ce, pour deux raisons : c’est gênant de ne pas avoir de revenus. Et quelle est l’alternative ? Payer l’impôt des sociétés et se verser un dividende ? Mon bénéfice a été taxé à 25 % d’impôts de société. Lorsque je me verse un dividende, ce dernier est soumis à un précompte de 25 %. Les deux ensemble, cela fait 50 %. Autant d’impôts que si je me versais un salaire.”

Il semble néanmoins que Frédéric Wauters ait été un peu vite en besogne, puisqu’il écrit à ce sujet : “Suite à quelques commentaires, une petite précision sur les dividendes. Le calcul exact serait en effet : pour 100 euros de bénéfices, il faut compter 25 % d’Isoc. Restent 75. Si je me les distribue (j’exclus pour la facilité la dotation à la réserve légale), je paie un précompte de 25 % sur ces 75 euros, ce qui représente environ 19 euros. Et donc, j’ai au final payé 25 + 19 soit 44 euros d’impôts et non 50.”

“Pour préciser encore : ce serait un peu plus de 50, compte tenu des centimes additionnels. Mais surtout, et c’est ce qui invalide le raisonnement de la CSC : pour bénéficier d’un taux préférentiel à l’Isoc (25 %), je dois me verser au minimum 36.000 euros de rémunération. Sinon, je suis taxé à 33 %. Si je n’ai pas les moyens de me payer cette rémunération, il y a une condition sur le rapport entre rémunération et bénéfice, mais là, on sort du cadre décrit par la CSC, puisqu’en toute hypothèse je n’ai plus de dividende à me verser.”

Epilogue : la CSC “adaptera” et “précisera” son texte

Il semble que la page “indépendants” du site Lesconséquences.be ait été inaccessible un certain temps… suite au (long) post de Frédéric Wauters sur son blog ? Difficile de l’affirmer, même si la coïncidence est troublante. Celui-ci, en tout cas, enfonce le clou et dénonce “la couardise comme stratégie” de la CSC.

Le syndicat indique désormais que, “depuis sa mise en ligne, cet article a suscité des réactions en sens divers. Prochainement nous l’adapterons en vue d’apporter les précisions nécessaires. (02/02/2012).” On connaît déjà au moins un indépendant qui attend ces modifications de pied ferme…

[UPDATE] La CSC a mis en ligne un texte nettement modifié (et, pourrait-on dire, moins offensif), consultable ici.

Trends.be

UCM : “La CSC retourne à la lutte des classes !”

Même cause, autre réaction : celle de l’Union des classes moyennes, qui dénonce par communiqué une CSC “retournée à la lutte des classes” : “Sur son site Internet, la CSC affirme que les indépendants et les PME ont échappé au plan d’austérité du gouvernement. Le syndicat chrétien s’en prend aux organisations représentatives comme l’UCM, qui auraient trop bien défendu les intérêts de leurs affiliés, au détriment de l’assainissement des finances publiques. En substance, les salariés et les chômeurs feraient les frais de l’austérité pendant que des privilégiés seraient épargnés.”

De nombreux indépendants et chefs de PME, affirme l’UCM, ont été “choqués” par cette présentation stupéfiante de la politique du gouvernement : “Les arguments partiels et partiaux avancés par le syndicat pourraient être réfutés point par point. Plus globalement, la CSC sort un discours agressif et totalement déplacé.”

“Les indépendants n’ont pas droit au chômage, restent un mois sans revenus en cas d’incapacité de travail et touchent des pensions de retraite inférieures aux minima des salariés. Si c’est un statut de privilégié, que la CSC le réclame pour ses affiliés ! Ajoutons que les chiffres démontrent que les indépendants, vu le caractère forfaitaire de leurs allocations sociales, sont plus solidaires que n’importe quel autre groupe social.”

Bref, la CSC pratique ce qui s’apparente à une “lutte des classes”, conclut l’UCM : “A quoi sert de ruiner les personnes qui créent leur entreprise et qui vivent déjà, pour un tiers d’entre elles, dans la précarité ? Depuis 1945, employeurs et syndicats ont travaillé ensemble à une société de bien-être. Ce syndicalisme rageur et hostile à l’initiative privée est daté d’un siècle.”

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