Le boom du pétrole non-conventionnel aux USA va-t-il faire baisser les prix du brut?

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La hausse de la production pétrolière aux Etats-Unis est supérieure à la demande et devrait calmer le marché mondial, a affirmé mardi l’Agence internationale de l’énergie. Interview d’expert avec Thomas Porcher, économiste à l’ESG Management school.

L’extraction pétrolière tourne à plein régime aux Etats-Unis. Les Américains puisent de plus en plus profond ou investissent dans de nouvelles technologies à la recherche d’or noir non conventionnel (pétrole de schiste, sables bitumineux et pétrole lourd) pour devenir énergétiquement indépendants. Et la hausse continue de la production pétrolière aux Etats-Unis pourrait avoir un effet positif sur le prix du brut pour les consommateurs. En effet, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a estimé dans un rapport, publié ce mardi 14 mai, qu’une ” onde de choc ” va se créer pour le marché pétrolier mondial, aussi importante dans les cinq ans à venir que l’a été pendant 15 ans la hausse de la demande chinoise. D’après elle, ce boom ferait augmenter la capacité de production de pétrole brut planétaire de 8,3 millions de barils par jour (mbj) entre 2012 et 2018 pour atteindre 103 mbj, alors que la demande mondiale de brut s’élèvera dans le même temps à 96,68 mbj seulement. De quoi “aider à calmer un marché pétrolier qui était relativement tendu depuis plusieurs années”. L’avis de Thomas Porcher, économiste à l’ESG Management school et auteur du livre Le Mirage du gaz de schiste.

Quel peut être l’impact de la hausse continue de la production pétrolière aux Etats-Unis sur le prix du brut? L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) se trompe quand elle annonce que le pétrole non conventionnel américain va créer un choc sur le marché mondial. En effet, elle part du principe selon lequel le marché pétrolier est un marché concurrentiel, or il ne l’est pas. Il existe un cartel, appelé l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui fixe son niveau de production en fonction de la demande mondiale et de la production de pétrole des pays qui n’émanent pas de l’organisation, à l’image des Etats-Unis. De fait, si l’offre mondiale de pétrole augmente grâce aux huiles de schistes, l’OPEP va réagir. L’organisation va en effet baisser ses quotas de production pour maintenir un prix du brut élevé.

D’ailleurs depuis 2009, la production de pétrole de schiste a fortement augmenté aux Etats-Unis, le prix du brut n’a pas baissé, et si on note une légère baisse actuellement, ce n’est pas lié au pétrole non conventionnel mais aux mauvais indicateurs de la demande.

L’AIE oublie également un point important. Les coûts d’extraction augmentent, et les groupes pétroliers vont chercher du brut dans des zones de plus en plus profondes ou difficile d’accès comme en Guyane, donc il faut que son prix reste élevé sinon l’investissement n’est plus rentable. Ainsi, si demain le prix du brut diminue grâce au pétrole de schiste, cela va freiner les investissements, l’offre diminuera à terme et le prix remontera.

Enfin, l’AIE s’est trompée plusieurs fois dans ses prévisions, c’est pourquoi j’ai dû mal à croire à ses nouvelles annonces. Par exemple, en 2000, l’agence prévoyait que le prix du brut atteindrait 24 dollars en 2010, or le baril dépassait les 100 dollars. Cela s’est avéré faux parce qu’elle prend comme hypothèse de départ l’évolution conventionnelle du monde. Ce sont des prévisions théoriques c’est-à-dire en économie “toutes choses étant égales par ailleurs”, sans réaction de l’OPEP ou encore sans changement de politique énergétique. C’est avec ce type de prévisions que l’AIE estime une baisse du prix du pétrole dans les prochaines années mais elle fait une erreur selon moi: au mieux le prix augmentera moins vite, voire stagnera, mais il ne pourra jamais baisser. Car si c’était le cas, l’OPEP réagirait en diminuant sa production et les entreprises diminueraient leurs investissements en exploration-production.

Existe-t-il un risque de bulle sur le prix du pétrole? La production de pétrole non-conventionnel ne risque pas de créer de bulle sur le prix du pétrole, ni à la hausse ni à la baisse, comme cela a été le cas pour le gaz aux Etats-Unis à cause du gaz de schiste. Contrairement au marché du gaz, le marché du pétrole est un marché mondial et l’offre va s’auto ajuster par le jeu des quotas de l’OPEP et par les coûts d’extraction qui jouent un rôle de stabilisateurs à la hausse. S’il y a une bulle, ce sera le fait des opérateurs financiers qui spéculent de manière accrue sur les matières premières, mais pas celui des fondamentaux eux-mêmes.

Quel est l’impact sur l’environnement de ces extractions pétrolières? La production de pétrole non conventionnel ne va pas dans le sens de la transition énergétique. L’Europe s’est engagée en ratifiant le protocole de Kyoto, mais les Etats-Unis ont refusé. La France a d’ailleurs une position exemplaire, car en plus d’avoir renouvelé les accords de Kyoto, elle a lancé un débat national sur la transition énergétique. Alors qu’outre-Atlantique, c’est un puits de gaz et huiles de schiste installé toutes les huit minutes, c’est-à-dire le simple déni du réchauffement climatique.

De plus, les pétroles non conventionnels nécessitent plus d’énergie pour les extraire et ont des techniques souvent plus polluantes que les extractions traditionnelles. Or le réchauffement climatique est un problème à prendre au sérieux. Des estimations montrent qu’une hausse de quatre degrés entrainerait plus d’un milliard de réfugiés climatiques. D’ailleurs, dans son rapport annuel sorti en novembre 2012, la Banque mondiale a tiré la sonnette d’alarme et appelé à une action internationale concertée et rapide.

Les Etats-Unis vont-ils devenir énergétiquement autosuffisants?Non! Cela suppose que la production des Etats-Unis continue à croître au même rythme pendant 20 ans. Une fois encore, l’AIE ne prend pas en compte de nombreuses questions annexes. Les populations avoisinantes vont-elles laisser les producteurs forer indéfiniment? Le territoire américain peut-il supporter un tel nombre de forages ? Les pays de l’OPEP vont-ils ajuster leurs quotas ? Les êtres humains, les pays, le monde ne sont pas des paramètres dans une série d’équations et les prévisions de l’AIE n’envisagent en réalité qu’une situation parmi tant d’autres.

D’autres prévisions estiment que les Etats-Unis deviendront le premier producteur mondial en 2020, mais je n’y crois pas car elles sont basées sur le même type de modèles. Je ne crois pas non plus au bouleversement géopolitique qu’engendrerait la production de pétrole non-conventionnel.

Aujourd’hui, 72% des réserves mondiales de brut sont détenues par l’OPEP et l’organisation produit par quotas quand les Etats-Unis produisent à pleine capacité. La marge de production de l’OPEP lui offre donc un rôle géopolitique majeur car elle peut remplacer tout autre producteur défaillant. Déjà, dans les années 1970, au moment du développement des pétroles hors de l’OPEP, certains experts prédisaient l’affaiblissement de l’OPEP car il y avait du pétrole ailleurs. Or aujourd’hui encore, au moindre problème géopolitique, la communauté internationale se tourne vers les pays de l’OPEP marquant comme précédemment l’importance de leurs rôles dans les enjeux énergétiques mondiaux.

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