La résistance passive au changement en entreprise

Changer les manières de penser et d'agir. © PG

Le changement fait peur, énerve, stresse. Pourtant, il assure la pérennité d’une entreprise et l’employabilité de ses salariés. Début octobre, le colloque organisé par MasterKey avait pour objectif de dévoiler certaines clés pour changer une manière de penser et d’agir tout en luttant contre la résistance passive.

Prenez le footballeur, habitué depuis des années à l’herbe, aux buts, aux duels physiques, au jeu au pied. Tout d’un coup, vous lui demandez de devenir basketteur. Obligé d’évoluer sur du parquet, avec des paniers, sans aucun contact avec l’adversaire et en jouant exclusivement avec les mains. Il lui faudra inévitablement un temps pour comprendre les nouvelles règles, les apprivoiser, s’adapter. Le changement est un facteur humain. Ce n’est pas un comité organisateur qui va modifier seul les choses. ” En utilisant la métaphore du footballeur/basketteur, Jerry Penxten, cofondateur du bureau de consultants MasterKey, veut marquer les esprits. Face à lui, une assistance de managers qui ne demandent qu’à être encouragés, conseillés, convaincus. Convaincus que pour provoquer un changement de culture au sein d’une entreprise, il faut du temps. Et beaucoup d’investissement. ” Prendre du recul, aider les personnes concernées à comprendre, adhérer et partager les nouvelles manières de penser et d’agir sont des éléments indispensables. ”

La résistance socialement admise ?

Lors de ce colloque sur la résistance passive hébergé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) au centre de la capitale, Jerry Penxten accueille plusieurs dizaines de managers d’entreprises basées en Belgique et en France. Il y a là les cadres de grands noms internationaux tels que JCDecaux, Solvay ou General electric, mais également quelques institutions et sociétés belges comme le Forem, les TEC et l’Abbaye de Villers.

L’objectif du colloque ? Trouver les clés pour changer la manière de penser des salariés et lutter contre la résistance passive de ” ceux qui disent ‘oui oui’ en pensant – et surtout en faisant – ‘non non’. ” Le représentant de MasterKey, qui co-organise l’événement avec la FWB, pose un constat clair : selon plusieurs études, les processus de changement entamés dans les entreprises échouent dans plus de deux cas sur trois. ” Quelle perte de temps et d’énergie ! ” s’exclame Jerry Penxten, qui cite également le chiffre moyen de 57 % de salariés désinvestis par société. ” Du coup, avant même que le changement ait été annoncé, les gens commencent déjà à résister à celui-ci. ” Pire : selon ce licencié en sciences psychologiques et pédagogiques de l’ULB, la résistance passive serait désormais socialement admise. Résister en silence à sa direction serait même vu comme un signe de solidité. ” Mais il n’y a pas que ces éléments qui provoquent l’échec du changement , reprend Jerry Penxten. Beaucoup d’acteurs se sentent délaissés ou ignorent tout simplement les modes de fonctionnement décidés par leur direction. C’est en allant sur le terrain qu’on le comprend. ” MasterKey s’y est donc rendu et dévoile son rapport.

Le stress nous fait nous raccrocher à ce qu’on maîtrise bien, à savoir les anciennes méthodes ”

Les gens brillants résistent davantage

Citée en tête des raisons de la résistance passive : la haine de l’imposition, ” typiquement francophone “, vient sacrer un règne nouveau où il n’est plus question uniquement d’astreindre ses employés aux ordres. ” Autre cause importante : la lassitude, poursuit l’organisateur. Les gens sont habitués à l’échec du changement et en ont marre de voir des stratégies débarquer dans tous les sens. ” Ces dernières sont parfois établies par un comité de direction qui s’y retrouve… sans réellement penser aux acteurs de terrain.

Le stress, lui aussi, provoque une solide résistance. ” Beaucoup pensent que le sentiment d’urgence est indispensable au changement. Au contraire, le stress nous fait nous raccrocher à ce qu’on maîtrise bien, à savoir les anciennes méthodes. ” Entre la méfiance envers ce qui vient ” d’en haut “, le confort des habitudes, l’ésotérisme des mots employés par la direction ou encore le choc des cultures – ” Ce n’est pas parce qu’on est séduit par une stratégie suédoise qu’elle va automatiquement fonctionner en Belgique ” – nombreuses sont les origines potentielles de cette attitude d’opposition et de fermeté. ” Pourtant, on a remarqué que ce sont souvent des gens brillants qui sont convaincus que le changement qu’on leur impose n’est pas le bon, souligne Jerry Penxten. C’est donc dommage de se passer de compétences, de créativité et d’énergie. ”

L’appropriation du pourquoi et du comment est indispensable en phase de changement. Jerry Penxten insiste dès lors sur l’attention que méritent les éventuels ” bons résistants ” : il faut les écouter, les impliquer, les valoriser, voire même les déculpabiliser si on les considère comme les victimes d’un système qui les lasse et les laisse pour compte. ” Il est important de prendre du temps avec ces employés-là. Explorer avec eux les possibilités pour qu’ils deviennent finalement des forces de proposition. ” Confrontation et conciliation sont alors les maîtres-mots de cette collaboration qui doit ensuite mener à une expérimentation puis à l’évaluation des progrès au fil du temps.

Le facteur humain

Si la rentabilité reste bien cimentée au centre des préoccupations des entreprises, d’autres intérêts commencent petit à petit à émerger au sein des comités de direction. La pérennité en fait partie. Elle repose sur la constance d’une remise en question et d’une adaptation. L’employabilité des collaborateurs est un autre élément important : ” Dans un monde en changement permanent, les collaborateurs vont accepter de modifier leurs manières de penser et d’agir si cela les aide à renforcer leurs compétences et à trouver un autre travail dans leur entreprise ou ailleurs “, précise Jerry Penxten.

Dans cette logique mouvante, les patrons commencent à mobiliser et responsabiliser le capital humain, peut-être le seul levier de croissance qu’ils n’ont pas encore complètement intégré. ” Pour parvenir à leurs fins, les entreprises doivent investir en temps et en argent et s’assurer que tous les collaborateurs deviennent réellement ambassadeurs, moteurs et garants du nouveau mode de fonctionnement. ” C’est justement cette voie que la RTBF, présente au colloque, a décidé d’emprunter il y a quelques mois.

Les ateliers du colloque Selon plusieurs études, les processus de changement entamés dans les entreprises échouent dans plus de deux cas sur trois.
Les ateliers du colloque Selon plusieurs études, les processus de changement entamés dans les entreprises échouent dans plus de deux cas sur trois.© PG

Du changement à la RTBF

Cécile Gonfroid travaille à la RTBF depuis 33 ans. Passée, notamment, par la production sportive, elle est désormais directrice des Technologies. Ces dernières années, elle a eu l’occasion d’assister à l’incroyable chamboulement du paysage médiatique (inter)national. ” On ne consomme plus les médias de la même manière, appuie-t-elle. On les absorbe partout et tout le temps. La RTBF se devait donc de s’adapter pour tenir la route. Le contenu, c’est-à-dire nos productions propres, reste, mais les supports changent. ” Le plan Vision 2022 : Réinventons ensemble la RTBF est ambitieux : il a pour objectif de replacer l’entreprise publique au sommet des producteurs francophones belges de contenus audiovisuels. ” En 2016, notre structure et organigramme étaient devenus obsolètes, glisse Cécile Gonfroid. Nous avons donc voulu moderniser notre fonctionnement tout en conservant nos valeurs que sont la connexion, l’audace, le respect, la transparence et la diversité. ”

Vision 2022 se base sur trois axes principaux : la réorganisation interne le passage au leadership collaboratif et participatif qui encourage le personnel à prendre des responsabilités et à soumettre des propositions, et le développement des compétences numériques. ” Un management plus collaboratif (plus horizontal, Ndlr) va être mis en place, déclarait l’administrateur général Jean-Paul Philippot il y a près d’un an à La Libre. Avec une réaffectation de 112 emplois administratifs à la production, précisait-il.

” On a commencé à préparer nos équipes au changement il y a plus d’un an, rapporte la directrice Technologies. Au programme : formations, feed-back individuels réguliers, communication interne renforcée, présence d’agents de changement choisis en interne et possédant un temps plein pour deux ans, strategic tour effectué à plusieurs reprises dans les succursales, etc. ” Plusieurs mois après le lancement du programme, Cécile Gonfroid a constaté que les mots ” culture interne ” et ” leadership participatif “, bien qu’annonciateurs d’une bienveillance, ne parlent pas toujours au personnel dont la question principale est : ” Où vais-je me retrouver ? ”

” C’est pour ça que le ‘sponsor du changement’ que je suis doit être visible et disponible pour soutenir ses équipes à la transformation. Il faut les convaincre de sa nécessité et des futurs gains de celle-ci. ” A côté des sessions de formation et de préparation, le changement implique d’autres événements ayant pour but de prendre le pouls au sein de la RTBF : petits déjeuners, application qui permet de poser des questions de manière anonyme, une autre qui propose un tableau de bord résumant l’émotion générale des employés… Les nouveaux outils sont nombreux. Pour quels résultats ? ” Difficile à dire pour le moment, tempère Cécile Gonfroid. Certains veulent s’impliquer dans le changement mais ne parviennent toujours pas à faire le pas. ” Au niveau du leadership, le taux de résistance s’élève encore à 33 %. ” On se rend bien compte que c’est un long processus auquel il ne faut jamais cesser de croire, reprend Cécile Gonfroid. Nous tenons bon avec nos trois mots d’ordre : aligner (notre philosophie), embarquer (l’employé), (le) sponsoriser. ”

Aussi dans l’enseignement

Il existe également des cas de changements ” macros “, autrement dit extérieurs. C’est ce que la Fédération Wallonie-Bruxelles a voulu mettre en place avec le Pacte d’excellence de l’enseignement. Ce processus est né d’un ras-le-bol et des constats réalisés depuis 30 ans sur ce qui ne fonctionne pas dans l’enseignement. Taux de redoublement extrêmement élevés, système de séparation des élèves (élitisme, classes sociales), tout revient avec une constance déroutante. ” Mais rien ne change, déplore Frédéric Delcor, secrétaire général de la FWB. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas le vote d’une loi qui supprime le redoublement qui va faire évoluer les choses. C’est un changement de culture. ” En mars 2015, au moment de lancer la réforme du Pacte d’excellence, il a été décidé de donner une place plus importante aux acteurs de terrain qu’au politique, puisque l’objectif du pacte est de survivre à une législature pour avoir le temps de s’implémenter.

Des dispositifs participatifs ont été mis en place via des questionnaires, des groupes de travail, des référendums avec les élèves, etc., pour la réforme du Pacte d’excellence.

Les professeurs, éducateurs, directeurs, et même les élèves, ont donc piloté le projet. La mobilisation a été importante : il fallait éviter que ce Pacte devienne un compromis entre des parties corporatistes. Tout a débuté avec la diffusion du diagnostic de la réalité via des tests PISA qui placent la Belgique francophone au bas du classement international ou via les chiffres du redoublement qui consacrent la Belgique comme championne du monde de la discipline. ” L’objectif était de se poser les questions : quel est l’état de ce système scolaire ? et quelle est l’école dont on rêve ? “, précise le secrétaire général de la FWB. Par la suite, des dispositifs participatifs ont été mis en place via des questionnaires, des groupes de travail, des référendums avec les élèves, etc.

Après de nombreux recoupements, déconstructions et approfondissements, deux avis de 120 et 325 pages ont été publiés. ” Les retours des acteurs de terrain ont été très durs, se souvient Frédéric Delcor. Notre principal souci était lié à l’absence d’indications sur le chemin à suivre jusqu’en 2030. ” Un phasage tenant compte de la dimension budgétaire et sociétale a donc été créé pour clôturer le Pacte. Ce dernier constitue une sorte de pari de la confiance et de la responsabilisation, chaque école/équipe éducative ayant conclu un contrat d’objectif avec la FWB. ” On desserre les liens, mais il faut respecter ces contrats, assure Frédéric Delcor. On passe d’une administration qui réglemente à une qui est partenaire. ”

Et le coach de foot de s’exercer avec son buteur au lancer à trois points…

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