La pub parle à votre inconscient

Dans son nouveau livre “La pub qui cartonne !”, le professeur de marketing Julien Intartaglia décortique les techniques publicitaires qui font vendre. La plus efficace ? Celle qui contourne, lentement mais sûrement, la partie rationnelle de votre cerveau.

Environ 10.000. Voilà, en gros, le nombre de contacts publicitaires auxquels le consommateur occidental est soumis quotidiennement. Bien sûr, la grande majorité de ces contacts se fait de manière très subtile voire inconsciente, mais c’est précisément là que le bât blesse. Car le citoyen du 21e siècle a appris, au fil du temps, à se méfier des pubs ostentatoires. Aujourd’hui, il sait que toutes les lessives lavent “plus blanc” et il ne tombe plus nécessairement dans le panneau… publicitaire. D’ailleurs, son taux de réactivité sur le Web s’est profondément altéré en une dizaine d’années : entre 2000 et 2012, le taux de clic moyen sur les bannières commerciales a en effet chuté de 9 % à 0,2 %. D’où la nécessité, pour les annonceurs, de trouver d’autres subterfuges pour continuer à séduire le consommateur. Et c’est justement dans la sphère “moins consciente” que les marques s’appliquent aujourd’hui à développer de nouvelles techniques publicitaires qui font vendre.

Professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel en Suisse, Julien Intartaglia vient de consacrer un livre à ce sujet intitulé La pub qui cartonne ! (lire l’encadré “Petit traité de pub”). Pour lui, les nouveaux enjeux de la communication se situent sur cette frontière rendue délibérément poreuse par les marques entre la pub d’hier et les techniques publicitaires actuelles. “Aujourd’hui, il y a une espèce de vulnérabilité de la pub traditionnelle à laquelle on accorde moins d’importance qu’avant et donc les marques explorent de nouveaux horizons pour faire passer leur message, précise Julien Intartaglia. Pour elles, le but consiste désormais à être omniprésentes dans la vie de leur public cible en créant du relationnel et en instaurant, l’air de rien, un climat de confiance avec le consommateur. Et c’est par rapport à cette persuasion implicite et non consciente des marques que nous sommes en droit de nous poser la question : avons-nous encore notre libre-arbitre dans cette profusion de contacts publicitaires ?”

Créer du lien Professeur en communication à l’Université d’Aix-Marseille, Didier Courbet abonde dans le même sens que l’auteur du livre La pub qui cartonne ! dont il signe la postface : “Les recherches en communication, marketing et psychologie appliquée ont considérablement évolué ces dernières années. Plus elles avancent et plus elles montrent l’importance des processus non conscients dans les traitements que les récepteurs-consommateurs font des publicités, dans l’élaboration de leurs jugements sur les marques et dans leurs décisions d’achat.”

Mais, concrètement, comment les marques peuvent-elles agir sur le terrain du “moins conscient” ? Certes, le concept du “neuromarketing” est connu depuis longtemps, mais en créant de nouvelles dynamiques communicationnelles qui jouent davantage sur des expériences à vivre, sur des valeurs sociales et sur la recherche de ce fameux “engagement” terriblement en vogue dans les sphères du marketing actuel, les annonceurs s’aventurent aujourd’hui sur de nouveaux terrains d’expérimentation.

Plus subtile, la stratégie n°1 consiste à créer du brand content (ou du contenu de marque) qui leur permet de travailler sur leur image positive à long terme, que ce soit à travers des sites ludiques, des conseils pratiques, des événements uniques, des films originaux à partager sur les réseaux sociaux, des jeux vidéo ou encore des magazines au nom de la marque.

“Il s’agit de créer du lien avec le consommateur, de lui donner la parole, de faire de lui un ambassadeur et de l’inscrire dans une relation d’échange durable, ajoute Julien Intartaglia. Car l’idée, au final, est d’exposer le consommateur à la marque de manière constante et ludique, en jouant sur l’affect et en créant du relationnel, histoire que le filtre cognitif du scepticisme n’agisse plus. N’oublions pas que la raison d’être de la marque est de ne jamais être oubliée au moment de l’acte d’achat.”

Se rendre “utile” Des exemples concrets de ces “nouvelles” dynamiques communicationnelles ? C’est Nutella qui joue sur la corde sensible des étiquettes personnalisables pour mieux caresser le consommateur dans le sens du poil et augmenter son capital sympathie. C’est Coca-Cola qui met au point un distributeur de canettes qui délivre gratuitement une boisson quand le consommateur lui fait un câlin, le tout filmé en caméra cachée et diffusé massivement sur les réseaux sociaux. C’est Nike qui développe une application mobile baptisée running pour accompagner les joggeurs, afin de leur permettre de suivre leurs performances et d’atteindre leurs objectifs. C’est Red Bull qui crée l’événement en permettant à Felix Baumgartner de battre le record de saut en chute libre pour augmenter la visibilité de la marque autour du monde et surtout l’associer durablement à la notion du dépassement de soi. Ce sont les glaces Magnum qui développent un advergame (un jeu publicitaire) de grande qualité baptisé Pleasure Hunt et qui entraîne l’internaute dans une aventure haletante où la marque reste discrète mais omniprésente, histoire d’offrir une expérience unique et sympathique au consommateur. Et la liste des exemples est évidemment longue, très longue…

Bref, ce sont toutes ces marques qui tentent aujourd’hui de donner du sens à leur démarche commerciale et qui s’inventent une réelle utilité dans la vie des gens. Toutes ces marques recourent au big data, les immenses volumes de données informatiques personnalisées, pour mieux cibler le consommateur et arriver, enfin, à lui parler en tête-à-tête, comme à un “ami”.

Viser l’efficacité Ces stratégies publicitaires sont-elles pour autant efficaces ? Tout dépend de la notion d’efficacité que l’on entend donner à la publicité. “Une pub efficace est bien sûr une pub qui répond aux objectifs stratégiques pour lesquels elle a été créée et qui arrive même à les dépasser, répond Sébastien Desclée, ancien CEO de Publicis Belgique et aujourd’hui president international markets chez Draft fcb. La notion d’efficacité sera donc très variable en fonction des objectifs marketing. Est-ce qu’on veut attirer l’attention du consommateur ? L’inciter à l’essai ? Le fidéliser ? Quels que soient les objectifs, une pub efficace ne donne pas uniquement envie d’acheter. Elle doit aider la marque et l’entreprise à faire comprendre les valeurs qu’elle défend et la raison pour laquelle elle existe. Elle ne doit pas seulement raconter une belle histoire et créer une émotion positive. Elle doit aussi donner aux gens l’envie de débattre et de partager son message. Bref, une pub efficace dépasse la notion de la pub telle qu’elle a été stigmatisée dans le livre 99 Francs de Frédéric Beigbeder. A nous, acteurs de ce métier, de continuer à nous démener pour que les pubs n’aient pas l’air de pubs !”

“Une pub efficace est une pub qui permet à des histoires de marques d’être racontées, enchaîne Geoffrey Hantson, directeur créatif de l’agence Duval Guillaume. Evidemment, une pub efficace fait vendre. Mais ça, c’est le résultat final. Pour arriver à cette efficacité finale, il faut d’abord être efficace à un autre niveau : il faut toucher le coeur du consommateur et permettre aux gens de se raconter une histoire entre eux, plus précisément l’histoire de la marque. C’est cette efficacité-là qui conduit à l’autre efficacité.”

Un avis que partage Anne Bataille, CEO de l’agence Aegis Media : “La pub efficace est celle qui touche au coeur et à l’esprit du consommateur quel que soit le canal de diffusion. Comme l’a dit Marshall McLuhan il y a 50 ans, le message aura toujours plus de valeur que le mode de communication. Dans cette galaxie actuelle où tout est publicité et face à un consommateur hyperkinétique qui n’a que quelques secondes pour mémoriser un message, la publicité, pour percer et donc être efficace, est celle qui véhicule une promesse simple, cohérente, déclinable dans le temps et à travers tous les moyens de communication, et surtout qui correspond à un besoin exprimé ou non du consommateur.”

Incarner une idéologie Voilà sans doute pourquoi, face à un individu qui a progressivement appris à se méfier de la pub classique et trop dictatoriale, les marques développent aujourd’hui des techniques un peu plus insidieuses “qui contournent la partie rationnelle du cerveau en créant davantage de relationnel, dixit Julien Intartaglia, afin d’intégrer de manière durable le quotidien des gens”.

Dans la postface de La pub qui cartonne !, le professeur Didier Courbet résume d’ailleurs superbement les enjeux auxquels nous sommes déjà tous confrontés : “La disparition des grandes utopies sociales, la diminution de la religiosité et de la spiritualité conduisent les individus, excessivement centrés sur leurs préoccupations matérielles quotidiennes, à rechercher de nouvelles valeurs à plus long terme, conclut-il. Les marques trouveront ici un terrain fertile pour combler de véritables manques existentiels. A elles de montrer qu’elles sont capables de proposer de vraies valeurs sociales et non uniquement de la poudre aux yeux : protection de l’environnement, écocitoyenneté, protection de la santé, protection des enfants, défense de l’image des femmes… C’est donc à la marque d’être le nouvel ambassadeur de ce qui peut ressembler à des idéologies sociales et sociétales.” Mais le consommateur en a-t-il seulement conscience ?

FRÉDÉRIC BRÉBANT

Petit traité de pub 12 Docteur en sciences de l’information et de la communication de l’Université d’Aix-Marseille, Julien Intartaglia a débuté sa carrière en tant qu’assistant chef de publicité dans le groupe Publicis en 2004, avant de rejoindre rapidement le monde académique et de se spécialiser dans l’étude des mécanismes d’influence de la publicité sur les achats du consommateur. Aujourd’hui professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel en Suisse, cet enseignant-chercheur intervient régulièrement comme expert marketing auprès de nombreuses sociétés et est l’auteur d’une trentaine de publications scientifiques dans le domaine.

Paru récemment aux éditions De Boeck, son livre La pub qui cartonne !, sous-titré Les dessous des techniques publicitaires qui font vendre, passe en revue plus d’un siècle de concepts de communication pour en proposer une lecture pratique et décomplexée. Construit comme un cours universitaire aux accents résolument ludiques, l’ouvrage intègre également des enquêtes qualitatives menées auprès de grandes personnalités du monde de la pub qui permettent de mieux comprendre les enjeux actuels de la communication commerciale et d’en appréhender les probables développements.

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