” La pub a une influence positive sur nos missions de service public “

Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF. © Belga

A l’heure où les chaînes de télé peaufinent leur grille de rentrée, Jean-Paul Philippot, l’administrateur général de la RTBF fait le point sur la santé financière de l’entreprise audiovisuelle de service public, récemment secouée par une tempête sociale.

Jean-Paul Philippot ne cache pas son plaisir. Les derniers résultats financiers de la RTBF sont dans le vert et les audiences des chaînes de service public sont réjouissantes, portées par une stratégie qui met notamment à l’honneur la production propre et les séries belges. Seule ombre au tableau qui force l’administrateur général de la RTBF à reprendre un air grave : une ambiance de travail qui s’est dégradée il y a quelques mois dans les couloirs de la cité Reyers…

JEAN-PAUL PHILIPPOT. Avant toute chose, si l’on veut compléter l’image générale de l’entreprise, je pense qu’on ne peut pas faire l’impasse sur trois autres éléments. D’abord, il y a l’élément d’audience sur nos médias traditionnels avec un impact dans la population belge francophone qui n’a jamais été aussi élevé ces 10 dernières années. En radio, dans la dernière vague CIM, on augmente encore notre recrutement – le nombre d’auditeurs différents – et c’est pareil en télévision. Ce que nous mettons à l’antenne et la manière dont nous le faisons rencontrent les attentes d’un public. Ensuite, il y a la contribution que la RTBF apporte à la création et à l’expression des talents belges et je pense que les succès des séries comme La Trêve et Ennemi Public sont là pour en témoigner. Enfin, le troisième volet pour compléter cette image kaléidoscopique, c’est Auvio, notre nouvelle plateforme digitale inaugurée en avril. C’est le lancement, pour la première fois de notre histoire, d’une marque digitale qui offre l’accès à l’audio et à la vidéo avec 250.000 contenus consommés tous les jours.

Oui mais est-ce que tout cela fait de la RTBF une entreprise saine aujourd’hui ?

La RTBF est une entreprise dont les fondamentaux sont solides. Sur le plan financier, l’entreprise est saine. Nos réviseurs d’entreprise et la Cour des Comptes en attestent, et cela dans un contexte où nous avons dû réaliser des économies assez substantielles ces dernières années. Pour rappel, entre 2010 et 2015, nous avons réalisé 138 millions d’économies cumulées. Alors, un résultat financier stable, c’est d’abord une garantie d’indépendance, mais c’est aussi la garantie de pouvoir prendre des risques, d’investir et de mettre de l’argent dans de la série belge et de la web-création. C’est la capacité de progresser, d’innover et c’est pour ça qu’on se bat.

Mais diriez-vous aujourd’hui que le climat social est bon à la RTBF ? Avez-vous vu venir le malaise qui touche toujours une bonne partie du personnel ?

Dans une poussée de fièvre sociale, il y a de nombreux facteurs qui s’accumulent et indiscutablement, à un moment donné, il y a un cap à passer. Il y a eu des éléments d’alerte dont on n’a pas mesuré suffisamment l’importance. C’est incontestable. L’univers, les méthodes et les procédures de travail sont encore en train de changer…

On a frôlé un mouvement de grève du personnel au moment de l’Euro 2016 avec des impacts qui auraient été fâcheux sur les revenus publicitaires de la RTBF. Concrètement, sur quoi avez-vous cédé ?

Cela ne s’est jamais cristallisé comme ça. Il ne s’est jamais agi de céder ceci ou cela. Il fallait comprendre certaines choses, notamment ces demandes par rapport à du personnel intérimaire ou à la volonté de certains collaborateurs d’être plus étroitement associés à des chantiers de changement sur des processus de travail ou de nouveaux outils. Alors, oui, on peut être dans un conflit sur les moyens ou sur les objectifs à atteindre, mais ce que je ressens ici, c’est une canalisation positive. C’est un mouvement qui poussait à ouvrir des portes et à associer les équipes à l’évolution de l’entreprise.

Depuis votre arrivée en 2002, le nombre de salariés à la RTBF est passé de 2.600 personnes à 1.961 aujourd’hui, soit un quart des effectifs en moins. Ce nombre de collaborateurs, à qui on demande d’être plus productifs, va-t-il encore baisser ?

Le principal actif de l’entreprise RTBF est un actif humain. On est dans un secteur qui est aujourd’hui assez anxiogène et je pense que nous détruirons de la valeur si nous réduisons encore nos effectifs. On a accompli un ensemble de mutations éditoriales, culturelles, organisationnelles, et il y a maintenant le défi de faire disparaître définitivement la notion d’administration pour être davantage dans une culture managériale…

© Belga

Plus libérale ?

Je n’utiliserais pas ce terme-là. Je dirais plutôt une structure inclusive et collaborative, en interne, plus forte.

Une structure où vous jouez la carte de la production propre, locale, avec notamment des séries belges…

C’est un choix qui nous avons fait : malgré une réduction de plus d’un quart de nos effectifs en moins de 15 ans, nous avons choisi de rester une entreprise de production de contenus. C’est un choix qui, à certains moments, a été contesté, en externe et parfois même en interne. Mais c’est un choix que j’assume. Pour une entreprise comme la RTBF, qui est une entreprise publique à vocation culturelle, produire des contenus orignaux est une mission cardinale. Et l’originalité, c’est son ancrage local. C’est faire une série qui se passe dans les Ardennes et pas en Terre de Feu. Grâce à cela, on a sensiblement accru la promotion de l’esprit belge et des talents belges. Aujourd’hui, on peut d’ailleurs parler de belgian touch.

Voir la bande-annonce de la série ” La Trêve ” sur France 2, c’est une fierté ?

C’est une fierté et c’est aussi un formidable boost pour continuer dans cette voie. Nous avons vendu nos séries en France, en Suisse et en Flandre. Aujourd’hui, un groupe américain est intéressé par les droits d’adaptation. Et il y aura une saison 2 pour les séries La Trêve et Ennemi Public.

Dans ce processus de production, le souci de rentabilité est-il prioritaire ou secondaire ?

Il est secondaire. En continuant à investir dans des séries belges, ce qui m’importe, c’est de contribuer, avec les fonds de la Fédération, à développer un secteur économique de producteurs indépendants qui se stabilise, qui se professionnalise et qui crée de l’emploi. La RTBF veut être un acteur levier pour créer de la valeur dans le secteur de la production indépendante.

Pour faire décoller un écosystème audiovisuel qui existe en Flandre et pas encore assez en Wallonie ?

Pas assez en Wallonie du tout ! Et ça, on y travaille, ça nous stimule. Les succès nous font réfléchir. J’ajoute que l’on investit aussi très régulièrement dans la web-création. Canal+ nous achète aujourd’hui des web-documentaires et se met à cofinancer de la web-fiction. Et puis, il y a aussi les programmes de flux pour lesquels il y a des opportunités de développement dans le futur qu’on va devoir aussi saisir…

Aujourd’hui, quelle est la stratégie de diversification de la RTBF ?

Depuis quelques années, nous avons développé un certain nombre de participations dans des sociétés tierces. Nous sommes présents dans le pôle Dreamwall-Keywall à Charleroi qui est un référent dans l’animation digitale et qui nous permet de développer des synergies. Nous sommes également actifs dans la Sonuma pour la restauration d’archives audiovisuelles et au sein de Casa Kafka dont l’activité a permis de lever, l’année dernière, 25 millions d’euros dans le domaine du tax shelter. Et puis, nous investissons aussi dans un programme de recherche et de développement autour de l’analyse de données avec un incubateur digital, The Faktory, et quelques start-up. Il s’agit d’un projet qui vise à mettre la technologie du big data au service de nos missions de service public grâce à des outils de recommandation.

On voit l’importance croissante de la publicité dans vos résultats annuels. Elle représente aujourd’hui 21 % de vos recettes, soit 71 millions d’euros. La pub a-t-elle une influence sur la programmation de la RTBF ?

Non, elle n’a pas d’influence. Enfin, je vais le dire autrement : elle a une influence positive sur nos missions de service public. Quand on a des résultats publicitaires qui sont solides, cela nous permet de réinvestir dans la production. Ces résultats publicitaires sont aussi le témoignage de l’impact et de la puissance des médias radio et télévision dans un univers beaucoup plus éclaté. Je ne suis pas le seul à dire que, après avoir eu une phase euphorique d’investissement et de credo dans le tout digital, les annonceurs redécouvrent la pertinence et la puissance de la radio et de la télévision, tant en termes d’image et de positionnement, que de ligne éditoriale et d’originalité. On était dans une tendance à la stagnation, voire certaines années à la diminution, et ça semble être cassé.

Etes-vous satisfait de la façon dont se mesure l’audience ?

J’appelle le CIM à évoluer rapidement dans ses manières de mesurer les mouvements d’audience. Ce qui fait défaut dans notre capacité à mesurer l’impact de nos médias, c’est ce que j’appelle, dans un mauvais français, la ” cross-fertilisation ” : l’activation, au travers de la radio et de la télévision, d’un certain nombre de messages qui peuvent générer du trafic en one-to-one dans le digital. Cette notion de ” cross-fertilisation “, on la mesure mal aujourd’hui avec les outils que le CIM met à notre disposition et je pense qu’il est urgent, pour le CIM, de travailler là-dessus et de moderniser cet aspect-là des choses.

Pour en revenir à la publicité sur la RTBF, l’administrateur de RTL Belgique Philippe Delusinne regrette, je cite, votre ” logique commerciale ” et demande aux politiques de ” recentrer la RTBF sur ses missions de service public “…

Qu’une entreprise performante comme la RTBF, qui renforce son lien avec le public belge francophone, intéresse davantage les publicitaires, cela fait partie des règles du jeu ! Ne sommes-nous pas dans nos missions de service public quand nous faisons de la série belge ? Ne promeut-on l’ensemble de la filière quand nous vendons nos séries en France, en Suisse et en Flandre ? Nous sommes dans notre rôle ! Et c’est magnifique si le fait d’être dans notre rôle fasse augmenter de 4,2 % d’audience la case du dimanche soir…

Mais l’audimat ne devient-il pas trop vite la règle en matière de programmation ?

Non ! Pensez-vous un instant que, lorsque nous avons décidé de lancer des investissements sur une série belge qui est un programme de long terme et ambitieux sur le plan économique, nous n’avons pas pris un risque collectif ?

On peut toutefois comprendre que RTL Belgique s’inquiète pour la répartition du gâteau publicitaire et fasse du lobbying auprès du monde politique…

(Rire) Demander qu’une autorité supérieure règle les flux du marché pour que des intérêts subsistent… Ce type de discours, je pensais qu’on l’avait supprimé avec l’enterrement de l’économie planifiée ! Dans l’imaginaire collectif, c’est moi qui devrais tenir ces propos et pas la filiale luxembourgeoise d’un groupe international coté qui se développe tous azimuts et pour qui les opportunités et les risques de marché constituent l’eau, l’air et le feu ! On nous a imposé trois plans d’économies successifs depuis 2009 et nous avons réduit nos effectifs pour aligner les objectifs avec les moyens que l’on nous a diminués. Nos équipes ont fait un boulot formidable et ont beaucoup souffert. On a pris des risques et innové dans des domaines où on ne nous attendait pas. On a démontré la pertinence de tout ça. Je ne vais certainement pas me lamenter et nous freiner là-dessus !

Aujourd’hui, votre plus grand concurrent, est-ce toujours le groupe RTL ou plutôt les géants américains que sont Google, Facebook et Netflix ?

Il y a effectivement de nouveaux acteurs qui sont entrés dans la pièce. Avant, on était dans un secteur assez oligopolistique avec deux ou trois concurrents par marché. On est aujourd’hui dans un marché extrêmement fragmenté où la stratégie d’acteurs d’origine différente influence la stratégie des autres. Le meilleur exemple est l’évolution et l’intégration d’un groupe comme Telenet en Flandre. Ce sont des éléments qui constituent aujourd’hui une somme de défis et de complexités que nous n’avions pas hier. Le paradoxe, c’est qu’on n’a jamais consommé autant de contenus audiovisuels et qu’il n’y a jamais eu une aussi faible partie de l’économie de cette consommation qui a été vers la création de contenus. C’est un paradoxe global lié à la dérégulation du système. L’opportunité, c’est qu’en tant qu’entreprise créative et de production de contenus originaux, nous avons un rôle à jouer.

Mais ces géants du Net s’intéressent aussi de plus en plus aux droits de retransmission des compétitions sportives. Il existe donc une menace réelle et directe pour l’avenir sportif de la RTBF…

Je pense qu’ils feront des incursions. Ils ont énormément d’argent et pas la même logique économique. Ils ont plus un oeil sur la valorisation de leur entreprise que sur la rentabilité de leurs investissements immédiats. Et donc, ils peuvent, à un moment donné, faire des dépenses que nous ne ferions pas. Donc, le risque existe et il y aura évidemment des conséquences en termes d’audience pour nous. Il doit nous amener à faire deux choses. Un : démontrer le sens, pour les compétitions sportives, d’une large diffusion par des chaînes en clair et ceci d’une manière probablement plus agressive. Deux : diversifier nos directs. Cette année, nous diffuserons des matchs de la D2. C’est un choix. C’est un investissement et on verra ce que ça donne.

Vous n’êtes pas non plus à l’abri d’une explosion des droits télévisés pour le foot en Belgique. L’ancien président de la Pro League Ivan De Witte réclame 100 millions d’euros par saison dès l’année prochaine contre 70 millions actuellement…

Nous ne suivrons pas ! Ce n’est pas le rôle du service public d’alimenter des bulles spéculatives qui profitent à un nombre microscopique d’acteurs. Nous sommes aujourd’hui dans un système d’équilibre et à trop dilater une bulle, à un moment, elle explose. En passant de 70 à 100 millions, qu’est-ce qu’il donne au public et au sport belge comme valeur en plus ? Moi, je constate que, depuis qu’on a augmenté ces droits, on a des clubs belges qui vont moins loin dans des compétitions internationales et plus de joueurs belges qui partent à l’étranger. Donc quel est l’intérêt de tout ça ?

Mais vous pourriez aussi, à terme, perdre l’Euro, la Coupe du monde et les JO avec l’explosion de ces droits télévisés ?

C’est possible. Et on s’y prépare. Comment ? En regardant l’évolution d’autres sports. En faisant de la production de séries. En développant des formats de flux. Bref, en multipliant ce qu’on sait faire, c’est-à-dire des directs et de l’ancrage local. Je le répète : nous ne pourrons pas accompagner une inflation démesurée et qui, à un moment donné, perd la notion de valeur économique.

Un mot sur le plan de fréquences 2017 et l’arrivée probable de ” nouvelles ” chaînes comme Mint et Chérie FM dans le paysage radiophonique de la bande FM. Vos concurrents RTL Belgique et le groupe NRJ/ Nostalgie font déjà leur lobbying…

Les allocations de fréquences sont toujours un grand moment de lobbying, de bluff et de déclarations à l’emporte-pièce et c’est bien normal, parce que c’est lié à une forme de pénurie de ces fréquences. Le secteur, collectivement, plaide pour un lancement rapide et large du DAB+ (Ndlr : la radio numérique) qui va rencontrer largement la question de la pénurie. En attendant, l’arrivée de nouvelles chaînes sur la bande FM, c’est aussi un challenge pour nous, auquel nous devons répondre de manière positive et stimulante. A nous d’être pertinents dans le respect de nos missions, de nos valeurs et de ce qui fait l’intelligence de notre offre.

Votre troisième mandat d’administrateur général se terminera en 2019, juste avant l’inauguration du nouveau siège à Reyers prévue en 2020. Votre objectif est-il de rempiler pour un quatrième mandat afin d’accompagner ce projet jusqu’au bout ?

N’injurions pas l’avenir. Il y a des tas de choses à faire. J’espère que mon avenir professionnel sera fait de projets et de défis. La seule chose que je ne me souhaite pas, c’est de m’endormir dans ma zone de confort. Est-ce que cela passe par la RTBF ou par une autre fonction ? Encore une fois, n’injurions pas l’avenir…

Mais vous avez déjà rêvé à d’autres horizons : vous avez été candidat, il y a presque trois ans, au poste de CEO de Belgacom devenu Proximus…

C’est un canard qui a volé !

C’est faux ? Vous n’avez jamais été candidat ?

C’est un canard qui a volé.

Quel est votre plus grand défi aujourd’hui à la RTBF ?

C’est, en termes de culture interne et d’options de choix éditoriaux, créatifs et industriels, de nous aligner sur le cap qui nous rendra indispensables comme service public en 2030. Ce sera une somme de choix, dont certains sont faits, et d’évolutions dans la culture interne du travail et de la responsabilisation de chacun.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content