La difficile épopée des Tartes de Françoise à New York

Alors qu’elle connaît un succès fulgurant en Belgique, l’entreprise Les Tartes de Françoise n’a pas su s’imposer à New York, où elle s’était installée début 2010. La PME bruxelloise tire les leçons de cet échec… et n’exclut pas de retenter l’expérience Big Apple prochainement.

Le Pain Quotidien, Rouge Tomate, Petite Abeille, Le Markt, et (peut-être) bientôt Exki. On ne compte plus les concepts horeca et gastronomiques belges qui se sont installés à New York. Dès lors, il est légitime de se poser la question : suffit-il d’afficher la Belgian touch pour conquérir le palais des New-Yorkais ? Les choses ne sont pas si faciles. D’ailleurs, le temps que met Exki avant de s’installer dans la ville américaine témoigne de la délicate alchimie qu’il faut parvenir à trouver pour tenter d’atteindre le succès.

L’entreprise Les Tartes de Françoise qui fournit, notamment, tous les restaurants Exki en Belgique, en sait aussi quelque chose. Après deux années à New York, elle a quitté la ville où elle n’est jamais parvenue à s’imposer. Et pourtant, Olivier Laffut, le patron des Tartes de Françoise, y croyait en 2008, quand il a été contacté par Dimitri Van Meerbeeck. L’homme, en charge d’une étude de marché new-yorkaise pour Exki, lui explique alors que l’enseigne peut fonctionner dans Big Apple. “Pas mal de concepts, comme le cheesecake, sont déjà bien implantés dans la ville, avance Olivier Laffut. On s’est dès lors dit qu’on allait cartonner.” Aussi, la PME se lance, avec Dimitri Van Meerbeeck, à l’assaut de la ville américaine et s’installe, en janvier 2010, dans un atelier de 150 m² en plein coeur de Hell’s Kitchen, quartier – abordable – de Manatthan.

Pas de boutique mais un atelier B to B

La firme compte alors y appliquer la même stratégie que celle qui lui a permis de devenir, en Belgique, une référence de la tarte qui emploie plus de 60 personnes et prévoit un chiffre d’affaires de 6,3 millions d’euros en 2012. Lorsque la firme a démarré son activité, en 1995, elle ne ciblait en effet que les snacks et les restaurateurs bruxellois. Pas les particuliers. Mais lorsque le premier véritable atelier de la firme s’est installé avenue de l’Hippodrome à Ixelles, la porte s’est discrètement ouverte aux consommateurs gourmands. “Les clients aiment bien venir dans l’atelier, voir comment on y travaille et y acheter leur tarte”, commente le patron de la PME qui dispose de six points de ventes en Belgique (et va encore en ouvrir deux cette année).

A New York, Olivier Laffut comptait agir de même : placer un atelier discret (sans vitrine) qui produit pour le B to B (restaurants, snacks, hôtels,…) tout en laissant venir à lui les particuliers. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées de la même manière. Les commandes professionnelles n’ont pas afflué aussi vite qu’espéré et les particuliers n’ont jamais pointé leur nez. De toute évidence, le fait de transposer purement et simplement sa stratégie à Tartes de Françoise Inc. – la filiale américaine de la société belge TFCO – n’était pas la bonne méthode. Mais pourquoi avoir fait ce choix ? “Par souci de prudence, admet Olivier Laffut. On a voulu commencer petit et d’abord faire nos tests sur ce marché qu’on ne connaissait pas vraiment.” S’étant fixé un budget de 300.000 euros (la moitié de son bénéfice annuel hors taxes) pour son aventure américaine, la PME bruxelloise s’est donc installée dans un atelier peu accessible mais dont le loyer était modéré. Dans l’idée de servir essentiellement des professionnels.

Les Tartes de Françoise se sont ainsi invitées (et retrouvées noyées au milieu de nombreux produits) chez Dean & Deluca, une chaîne d’épiceries haut de gamme assez réputée. On pouvait également trouver les produits de l’entreprise belge au Plaza Athénée, au Sheraton ou au Hyatt et dans une série de restaurants de la ville, dont Petite Abeille. Mais Les Tartes de Françoise n’ont pas réussi à séduire assez de professionnels. “Au départ, j’étais au four et au moulin, admet Dimitri Van Meerbeeck, et pas à même d’allouer assez de temps au démarchage commercial auquel il aurait fallu, selon moi, accorder plus d’importance. A Bruxelles, la PME a eu la chance de pouvoir se déployer progressivement. A New York, les frais de démarrage étaient directement plus élevés.”

Mieux connaître ses clients

Il faut dire aussi que l’offre de produits et de concepts est importante à New York et, “les demandes des hôtels et des commerçants se font beaucoup sur des produits individuels tels que des mignardises”, constate Olivier Laffut, qui admet qu’il reverrait ses recettes et ses produits si sa firme devait retourner s’installer à Big Apple. Par ailleurs, beaucoup n’achètent pas à un fournisseur préférant des préparations maison et les autres se contentent de l’importante offre en surgelés. “On aurait sans doute dû étudier beaucoup plus le marché professionnel, enchaîne le patron des Tartes de Françoise. Aller davantage à la rencontre du client pour mieux connaître ses besoins et ses souhaits avant de croire que le produit qui fait notre succès en Belgique allait d’emblée séduire les professionnels new-yorkais. On aurait pu imaginer des développements sur mesure, par exemple.”

Un avis que partage Dimitri Van Meerbeeck : “il faut pouvoir, rapidement, apporter des petites modifications au concept. Et probablement que nous n’avons pas réussi à être assez à l’écoute du marché.” Un marché assez différent, de surcroît, de celui que l’entreprise a rencontré en Europe. Pour Laurent Kahn, general manager d’Exki qui a mené une étude à New York pour éventuellement y installer sa chaîne, “ce serait une grosse erreur de croire que la mentalité new-yorkaise est plus ou moins la même qu’en Europe. C’est la raison pour laquelle il faut s’entourer de locaux pour y lancer son business et adapter le concept aux spécificités locales.”

Extrême prudence budgétaire

Par ailleurs, pour toucher le particulier, la PME aurait dû s’y prendre autrement. “L’atelier était en effet assez mal situé, commente une expat’ belge à New York, dans une rue un peu glauque, assez excentrée sur Manhattan avec un accès difficile pour les particuliers. Le plus dommage, c’est qu’ils avaient de super bonnes reviews du NYT et des médias gastronomiques avec leur cheesecake spéculoos à la belge, qui changeait un peu du cheesecake new-yorkais classique”. Pour séduire les New-Yorkais, Les Tartes de Françoise auraient sans doute dû ouvrir “une grosse boutique, sorte de flagshipstore, dans un quartier renommé tel que le Meatpacking District, analyse le patron des Tartes de Françoise. New York est le pays de la marque où il faut briller tout de suite. Avec une belle boutique, on aurait plus facilement attiré une clientèle de particuliers, avides de nouveaux concepts et de produits gourmands qui assurent, en Belgique, la moitié de notre chiffre d’affaires.”

Mais pour cela, la firme aurait dû prévoir des budgets nettement plus importants. Elle y a pensé et a analysé la possibilité d’ouvrir une grande boutique. Mais cette stratégie lui aurait coûté très cher et comportait beaucoup de risques. Olivier Laffut évoque la fourchette (large mais révélatrice) d’un pas de porte d’environ 200.000 dollars, des investissements en machines et installation de l’ordre de 300.000 dollars, un loyer d’environ 15.000 dollars mensuels (contre 8.000 pour l’atelier tout équipé qu’elle a choisi) et des garanties locatives pouvant aller jusqu’à… deux ans de loyer ! Trop ambitieux, à l’époque, pour Olivier Laffut. Surtout que, comme l’analyse Laurent Kahn d’Exki, “les frais fixes et notamment les loyers très élevés à New York – et sans commune mesure avec ceux de Bruxelles – sont un élément important à avoir à l’oeil dès lors qu’on est dans un secteur où les marges ne sont pas forcément énormes.”

Une équipe mixte

Autre chausse-trape dans lequel la firme a mis les pieds : la gestion “à distance”. S’ils ont fait appel à un gérant belge installé sur place, les dirigeants des Tartes de Françoise ne se rendaient à New York qu’une fois par mois. “Suffisant quand les affaires marchent bien, commente Olivier Laffut. Mais nettement moins dès lors que les affaires ne décollent pas.” Or, pour adapter le concept ou pour doper les partenariats, mieux vaut avoir une personne de l’équipe managériale belge sur place susceptible de prendre rapidement des décisions, coachée par une personne de New York.

De plus, la PME a, selon son patron belge, quelque peu sous-estimé les difficultés logistiques qu’imposait la livraison de tartes dans New York. Avec trop peu de clients, Tartes de Françoise Inc. devait livrer vers des destinations très éloignées les unes des autres, dans des conditions de trafic peu favorables. En gros, certains livreurs n’effectuaient que deux livraisons par heure.

Résultat : un chiffre d’affaires qui ne dépassait pas 5.000 dollars hebdomadaires dans les meilleurs moments… alors que les frais fixes dépassaient 40.000 dollars par mois, malgré une équipe assez réduite de quatre équivalents temps plein. Le compte a vite été fait et Olivier Laffut a décidé d’arrêter les frais fin décembre 2011. Avec, bien sûr, certains regrets mais surtout, une leçon considérable : “Cette aventure a été une véritable validation de notre nouvelle stratégie en Belgique, insiste le patron. Désormais, nous déployons des boutiques tournées vers les particuliers qui mettent plus les produits en avant, tout en gardant une partie atelier dans laquelle les produits sont préparés.”

Les Tartes de Françoise viennent d’ouvrir trois boutiques : à Uccle, La Hulpe et Waterloo et prévoient d’en ouvrir deux d’ici fin 2012. Objectif ? Arriver à avoir 50 % de chiffre d’affaires via les particuliers. Une proportion dont la firme n’est pas loin : elle arrive à 30 % aujourd’hui. Quant à l’expérience new-yorkaise, le spécialiste de la tarte la garde en tête et se voit bien repartir dans Big Apple en même temps qu’Exki dont il est déjà fournisseur ici. Cela pourrait se faire dès 2013.

Christophe Charlot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content