La Chine est bleue des Schtroumpfs

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Les Schtroumpfs sont la mascotte du pavillon belge. Leurs figurines s’y vendent comme des petits pains. Mais les objectifs de leur société de promotion – IMPS – ne se limitent pas à la boutique de souvenirs de l’Expo 2010.

La mascotte du pavillon belge a bien failli ne jamais mettre les pieds à l’expo de Shanghai. Justine Henin était initialement pressentie pour accompagner les visiteurs des lieux. Mais les organisateurs l’avaient empaillée un peu trop vite… Quelques mois avant le début de l’expo, l’ex-n° 1 mondiale décidait de reprendre la compétition tennistique. Exit Justine, donc, pour cause d’agenda surchargé. Mais qui allait pouvoir la remplacer ?

William Auriol, CEO d’IMPS (International Merchandising, Promotion & Services), société wallonne qui, comme son nom ne l’indique pas, s’occupe du marketing des Schtroumpfs, décide de profiter de l’occasion. Une valise diplomatique farcie de figurines à l’effigie des petits hommes bleus prend illico la direction de Shanghai. Succès immédiat : dès la première conférence de presse, tous les Schtroumpfs disposés dans le pavillon se volatilisent en un temps record.

Les Schtroumpfs chantent en mandarin

“L’impact des Schtroumpfs est énorme en Chine, assure William Auriol. Les dessins animés ont été broadcastés dans les années 1990, et ils sont restés dans la mémoire collective. Le commissariat général du pavillon belge s’en est vite rendu compte. C’est ce qui l’a décidé à prendre les Schtroumpfs comme mascotte.”

Les petits personnages de Peyo ont colonisé un mur entier du pavillon. Ils se retrouvent presque à chaque page des brochures, des guides interactifs et autres documents officiels de l’antre belgo-européenne. Des milliers de figurines se sont déjà vendues au shop du sixième pavillon le plus visité de l’expo. Sans oublier les innombrables produits dérivés, comme ce Schtroumpf en cristal estampillé Val-Saint-Lambert, vendu au prix de 295 euros. Ou ces albums de bande dessinée traduits en chinois.

Le plus gros succès Schtroumpf dans l’empire du Milieu depuis le début de l’expo ? La chanson de Shan Wen Jie, la vedette locale. La gagnante de la “Star Ac” made in China a accepté de pousser la chansonnette avec les laan chin ling, les “petits esprits bleus” pour ce qui est devenu l’hymne du pavillon belge. “Dès qu’on l’a lâchée sur Baichu, le YouTube chinois, la chanson est devenue en 24 heures n°1 du téléchargement gratuit”, s’extasie William Auriol.

L’étonnante popularité des Schtroumpfs en Chine, où IMPS n’est plus présente depuis une vingtaine d’années, a convaincu les dirigeants de l’entreprise d’opérer un renforcement stratégique vers ce marché prometteur. Avant même le début de l’expo, la société avait décidé d’étendre sa toile vers l’Asie, continent sur lequel elle ne touchait plus un euro.

“En 12 mois, nous sommes passés de 20 à 71 pays dans lesquels nous sommes présents en termes de merchandising, explique le CEO. Nous avons signé notre contrat avec notre partenaire chinois il y a environ un an.” Ce partenaire, c’est PPW (Promotional Partners Worldwide), qui a notamment dans son portfolio Hello Kitty, certains produits Disney, des personnages Nickelodeon, etc. IMPS met sa marque à disposition de PPW, qui est chargée de trouver des licenciés chinois. Et l’entreprise basée à Genval touche un pourcentage sur le merchandising.

Le système a fait ses preuves en Europe (un marché qui représente 70 % du chiffre d’affaires réaliséà l’export par IMPS), mais ne s’est pas encore exporté massivement en Asie ou en Amérique. Comme souvent, c’est la Chine et sa classe moyenne en pleine expansion qui font rêver. “Trois cents à 400 millions de personnes qui ont de l’argent et qui consomment, c’est tout bon”, sourit William Auriol.

C’est parti pour le show

Le partenariat avec PPW n’en est qu’à ses prémisses, mais les résultats ne se sont pas fait attendre. Un contrat a été signé avec Meters/Bonwe, un des géants chinois du textile. La compagnie Hainan Airlines décorera deux avions de ligne aux couleurs des Schtroumpfs. Et un parc d’attractions consacré aux petits hommes bleus est en préparation…

Les autorités chinoises font même preuve d’un enthousiasme débordant à ce sujet. Lorsque William Auriol et Véronique Culliford (présidente d’IMPS et fille de Peyo) se sont rendus à Chengdu (4 millions d’habitants), capitale de la province du Sichuan, pour rencontrer les responsables du projet, ceux-ci avaient décidé de mettre les petits plats dans les grands. Une salle de meeting de 400 personnes avait été réquisitionnée pour l’occasion et remplie d’investisseurs, de journalistes et d’officiels. Le but : présenter un projet à la démesure de la Chine, regroupant des studios d’animation, un resort, des hôtels et un parc à thème. Le tout sur 10 km2, dont 170 ha dédicacés aux Schtroumpfs.

“En fait, tout était prêt pour nous faire signer le contrat final devant tout le monde, s’étonne William Auriol. Heureusement, les Chinois nous avaient avertis la veille. Je leur avais expliqué que je ne signerais rien qui ne soit relu par nos avocats. Ils étaient catastrophés, mais ils ont accepté de ne signer qu’une lettre d’intention, qui ne nous engage pas.”

“Sur l’estrade, tout le monde a mis sa main sur une sorte de boule de cristal qui lançait des éclairs, puis la signature s’est faite sous une musique tonitruante et une pluie de confettis”, embraie Véronique Culliford. “Les Chinois sont très show-off“, conclut William Auriol. Une chose parmi d’autres à savoir lorsqu’on souhaite développer ses activités en terre de Chine. “Il faut être bien accompagné pour réussir en Chine, poursuit Véronique Culliford. Il faut avoir une personne de confiance sur place. Il faut aussi un traducteur, parce que les Chinois ne parlent que le chinois. Et il faut s’habituer à cette grande prégnance du politique et des caciques du parti, qui sont incontournables parce qu’ils sont les seuls à obtenir des postes à haute responsabilité.”

Piratage en règle

Ces difficultés, IMPS les a contournées via son partenariat avec un agent local. N’empêche, l’entreprise et ses dirigeants ont tout intérêt à garder un £il sur le marché chinois, qui reste l’un des centres mondiaux de la contrefaçon. Les 256 épisodes des Schtroumpfs diffusés à l’époque sur CCTV n’avaient pas tardé à se retrouver sur le marché de la piraterie. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui avaient poussé l’entreprise à ne plus investir en Chine. IMPS surveille désormais l’utilisation de l’image des Schtroumpfs via un réseau de vigilance, et attaque en justice les copies de bonne qualité. “Mais il faut aussi se dire que le piratage, c’est la rançon de la gloire”, juge William Auriol, un brin fataliste.

Plus dangereux, selon le CEO, ce sont les licenciés qui ne déclarent pas l’intégralité de leurs revenus, engendrant une perte sèche du côté de Genval. Pour tenter de limiter ce manque à gagner, l’entreprise procède à des audits ciblés. La pratique est dissuasive, juge le patron. Qui ne tient pas à bousculer trop vite son business model. IMPS n’ouvrira pas dans les prochaines années de filiale à l’étranger. “Nous restons un vendeur de licence. Nous gérons le monde depuis ici.”

Gilles Quoistiaux

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