La capitale du jeu en ligne face au pari du Brexit

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Dans des galeries creusées pour défendre le rocher de Gibraltar, clignotent des ordinateurs reliés au monde entier: ces engins destinés à des paris et des jeux par internet sont la première ressource de la colonie britannique, qui espère la préserver après le Brexit.

Gibraltar, une enclave de 6 km2 réclamée par l’Espagne, est devenue en vingt ans la Mecque de l’industrie des jeux d’argent en ligne: paris sur les matches de foot ou les élections législatives britanniques, poker, roulette, baccara…

Les ordinateurs du data center de Continent8 travaillent derrière des portes blindées, dans un tunnel où se trouve encore le bureau d’où le général Dwight Eisenhower, commandant en chef des Alliés, dirigea les opérations de débarquement en Afrique du nord en 1942.

Pour les 33.000 habitants du “Rocher”, ces activités installées chez Continent8 ou dans les deux autres data centers de Gibraltar sont stratégiques: elles assurent 25% du Produit intérieur brut, plus qu’aucun autre secteur de l’économie, souligne le Ministre du Commerce Albert Isola.

Ces sociétés de Gibraltar représentent à elles seules 30% des 39,3 milliards de dollars générés en 2016 par l’industrie mondiale des jeux et des paris en ligne, selon les consultants H2 Gambling Capital. Plus que nulle part ailleurs.

Gibraltar, ‘une marque’

Attirés par une fiscalité favorable et l’accès au marché européen, les premiers opérateurs ont déménagé des Caraïbes vers Gibraltar dans les années 90, quand on pariait encore par téléphone.

“Notre philosophie a été dès le départ de n’accepter que des sociétés qui ont pignon sur rue”, explique Albert Isola à l’AFP: elles doivent opérer physiquement à Gibraltar et sont soumises à une réglementation stricte, pour empêcher le blanchiment et surtout protéger les mineurs et les joueurs en risque d’addiction.

“Comme nous avons été très sélectifs, nous avons petit à petit créé une marque”, dit M. Isola.

Seules 30 sociétés ont une licence de jeux en ligne à Gibraltar –à Malte, elles se comptent par centaines– mais elles emploient plus de 3.000 personnes de diverses nationalités, qui en attirent d’autres.

Si Gibraltar plaît autant à ces magiciens des algorithmes et ces commerciaux, c’est qu’ils peuvent faire la navette depuis l’Espagne, où la vie est douce et moins chère.

“Nous n’aurions probablement pas crû comme nous l’avions fait sans cet arrière-pays”, reconnaît Peter Montegriffo, un avocat qui a aidé les sociétés de jeux à s’implanter à Gibraltar. “C’est pourquoi avec le Brexit, le principal souci est la façon dont la frontière va fonctionner”.

Le défi du Brexit

Après la décision britannique le 23 juin 2016 de quitter l’Union européenne, l’Espagne a renouvelé sa revendication sur Gibraltar, un territoire cédé en 1713 à la couronne britannique.

Les Gibraltariens craignent de nouvelles tracasseries à la frontière, comme il s’en produit épisodiquement en période de tension entre Londres et Madrid. Un simple renforcement des contrôles douaniers peut provoquer des queues interminables. L’Espagne n’a levé qu’en 1985 le blocus de la frontière imposé depuis 1969 par le dictateur Francisco Franco. Elle se préparait alors à rejoindre ce qui était encore la CEE (devenue ensuite l’UE).

“Le défi du Brexit a une importance énorme pour Gibraltar”, poursuit l’avocat Peter Montegriffo. “Nous ne croyons pas que l’Espagne démocratique se servira de la frontière comme d’une arme comme elle l’a fait il y a 45 ans… mais nous entrons en terrain inconnu”.

Lottoland, une société de paris sur les grandes loteries dans le monde, a déjà pris des mesures pour que la plupart de ses 200 employés puissent travailler de chez eux. “C’est une façon de parer à toute éventualité. La continuité du service est primordiale”, explique en souriant la responsable du recrutement, Andrea Lazenby, dans les bureaux qui surplombent la marina de Gibraltar.

Déménager à Malte ?

Les termes du Brexit que Londres a commencé à négocier avec Bruxelles auront aussi un impact sur les jeux en ligne. Car cette industrie est largement tournée vers le marché britannique, le plus important et mature d’Europe. Et parce que, note Albert Isola, “de plus en plus de sociétés ont utilisé leur implantation à Gibraltar pour obtenir des licences dans d’autres pays européens”, comme l’Espagne, la France ou l’Italie.

Un des grands du secteur, 888, a déjà prévenu que si le fait d’être basé à Gibraltar l’empêchait de conserver des licences dans certains pays européens, il envisagerait de s’enregistrer à Malte.

Mais tout se négocie. Car si l’Union européenne décidait que, pour conserver ces licences, un opérateur de jeux devait avoir ses serveurs dans l’UE, “la Grande-Bretagne pourrait rétorquer +dans ce cas, vous ne pouvez pas être basé à Malte et avoir accès au marché britannique…+”, explique Peter Montegriffo.

Nigel Birrel, directeur général de Lottoland, ne prévoit pas de difficultés majeures. “Je ne crois pas que le Brexit aura un impact sur la possibilité d’offrir nos services dans l’UE… si ce n’est d’être obligé de déplacer un serveur ou du personnel”, dit-il.

“Nous resterons à Gibraltar. C’est ici que nous sommes nés. Nous voulons être en bonne compagnie, avec les grands”.

Assis dans l’ancien bureau d’Eisenhower, Luis Garcia, le gérant de la société canadienne Continent8 abonde: “Continent8 sera ici tant que ses clients y resteront. Et ils nous ont dit n’avoir aucune intention de quitter Gibraltar.”

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