La Bourse, destination inéluctable pour les entreprises publiques?

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Neuf ans après l’ex-RTT, bpost déboule à son tour sur Euronext Bruxelles. L’Etat reste toutefois actionnaire majoritaire, comme chez Belgacom. Et Johnny Thijs rempile pour quatre ans. A priori, pas de révolution en vue…

C’était écrit. C’est à présent plié. Bpost fera son entrée en Bourse avant l’été. L’entreprise postale n’a pas encore dévoilé les détails pratiques (fourchette de prix de l’action, valorisation, date du début de la souscription, etc.) car elle attend le feu vert de la FSMA (l’autorité des services et marchés financiers) pour son prospectus. Elle sera la quatrième poste de la zone euro à être cotée en Bourse, après Deutsche Post, PostNL et Österreichische Post. L’IPO (offre publique initiale des actions) de bpost est une bonne nouvelle pour Euronext Bruxelles, en panne de nouvelle introduction depuis trois ans et demi. Un destin boursier inéluctable Quand l’opérateur postal belge s’est marié avec le tandem formé par le fonds CVC Capital Partners et la poste danoise en septembre 2005, le scénario d’une IPO avait déjà été évoqué. Il s’est précisé quand l’opérateur danois a revendu sa participation à CVC pour se repositionner sur le marché nordique. Depuis le 30 juin 2012, le fonds d’investissement britannique peut revendre la totalité des 50 % moins une action qu’il détient dans bpost. Cette manoeuvre était toutefois bloquée tant que la Commission européenne n’avait pas approuvé le nouveau contrat de gestion qui régit les missions de service public que bpost assure pour l’Etat. L’obstacle ayant été levé et le climat boursier s’étant amélioré, le processus a été enclenché. Etait-ce la seule issue ? “L’IPO a toujours été considérée comme la solution la plus probable pour permettre une sortie de l’actionnaire privé”, répond Johnny Thijs, le CEO de bpost. Comprenez : les grands opérateurs postaux ne sont pas intéressés de prendre une participation dans une poste qui garde l’Etat comme actionnaire majoritaire (avec 50 % plus une action). Un parcours semblable à celui de Belgacom Belgacom a servi de modèle à bpost. “Il y a beaucoup de similitudes avec l’introduction en Bourse de Belgacom, relève Georges Wanet, professeur honoraire en stratégie à l’ULB. L’Etat a trouvé des partenaires stratégiques (SBC, TeleDanmark et SingTel pour le groupe de télécoms) pour aider les deux entreprises publiques à se moderniser. Une fois le travail accompli, les partenaires sont sortis du capital à la faveur d’une introduction en Bourse mais l’Etat est resté l’actionnaire majoritaire.” Ces deux grandes maisons sont d’anciennes administrations publiques, comptant donc dans leurs rangs une majorité de personnel statutaire et confrontées à la perte de leur monopole dans le cadre de la libéralisation de leur marché. Beaucoup de ressemblances, quelques différences Les deux opérations boursières se distinguent toutefois, d’abord par leur ampleur. L’IPO de l’ex-RTT, lancée en mars 2004, la valorisait à quelque 10 milliards d’euros alors que l’on parle de 3 milliards pour bpost. Les ex-actionnaires privés de Belgacom — qui détenaient quelque 40 % au moment de l’opération — ont vendu l’ensemble de leurs actions sur le marché alors que CVC a annoncé qu’il garderait “une participation significative” tournant, selon les observateurs, autour de 25 %. Il s’agira en tout cas de plus de 15 %, condition sine qua non pour que ce partenaire financier puisse garder deux sièges au conseil d’administration (quatre actuellement). “Le fait que l’actionnaire sortant veuille garder une partie de ses actions est un très bon signal pour le marché”, estime Hugues Pirotte, professeur de Finance à Solvay.

Une autre distinction est liée au secteur dans lequel évoluent les deux entreprises. Aux yeux des investisseurs, les deux actions ont un profil de “bon père de famille” avec un dividende alléchant. Belgacom offre un rendement de 8 à 9 %, supérieur à la moyenne du secteur des télécoms en Europe. Pour bpost, les spécialistes misent sur une fourchette comprise entre 6 et 8 %, se référant au rendement de 5,8 % proposé par la poste autrichienne, qui réussit en Bourse.

Lors de la première cotation de Belgacom, l’entreprise avait un potentiel de croissance élevé grâce au mobile et à l’Internet. Aujourd’hui, Belgacom est davantage assimilée, en Bourse, aux utilities (entreprises de services publics). “Nous commençons notre aventure boursière là où Belgacom est arrivée maintenant”, commente Johnny Thijs. Pour le patron des postiers, vu le déclin structurel du marché des lettres, bpost n’évolue pas dans un secteur en croissance. En plus d’un généreux dividende, il joue sur la bonne santé financière de l’entreprise et la solidité de ses revenus (+ 2 % par an) pour attirer les investisseurs institutionnels et les petits épargnants. A ce jour, les lettres adressées ne représentent plus que 50 % des revenus de bpost ; l’autre moitié provient de la distribution de colis et du courrier international, de ses activités bancaires (bpost Bank) et de la diversification de ses activités dans les services administratifs (livraison des plaques d’immatriculation, etc.).

Ce que ça va changer • Au niveau du conseil d’administration. Le CA de bpost passera à 12 membres et accueillera trois administrateurs indépendants : Sophie Dutordoir (Electrabel), François Cornélis (ex-Total) et Bruno Holthof (réseau des hôpitaux anversois). Le mandat de Johnny Thijs (61 ans), administrateur délégué depuis 2003, est prolongé pour quatre ans.

• Pour l’entreprise. “Cette IPO n’apportera pas d’argent frais à l’opérateur postal puisqu’elle ne comporte pas d’augmentation de capital, précise Hugues Pirotte (Solvay). Elle va permettre à bpost d’avoir un actionnariat plus diversifié et une plus grande visibilité. Mais bpost sera dans le radar des investisseurs et devra donc garantir une transparence continue et accrue en publiant notamment des résultats trimestriels et en assurant une communication réactive.” Pour Hugues Pirotte, l’IPO de bpost est une bonne chose : ses actions seront plus liquides et elle aura désormais une valorisation objective. Une plus grande visibilité sur les marchés devrait aussi, selon lui, faciliter les négociations à l’avenir pour bpost, face à d’éventuels projets de partenariat.”

• Pour le personnel. Johnny Thijs assure que l’IPO ne changera rien pour les quelque 30.000 collaborateurs de l’entreprise.
“La stratégie que nous avons mise en place (hausse de l’efficacité, de la productivité et de la qualité) sera poursuivie.” “En termes de productivité, on ne peut pas aller beaucoup plus loin mais on peut encore automatiser d’autres tâches”, réagit André Blaise, le responsable de la CSC-Transcom. Bon an mal an, rappelle-t-il, 2.000 postiers quittent l’entreprise sans être remplacés. Les postiers pourront devenir actionnaires de leur entreprise en achetant des actions à un prix réduit de 16,67 % (avec obligation de les garder deux ans). “J’espère que l’on n’a pas rendu la mariée plus belle qu’elle ne l’est et que les postiers ne seront pas déçus de leur investissement car ils sont loin d’être riches”, poursuit le syndicaliste.

• Pour le consommateur. Bpost, dont le nouveau contrat de gestion (2013-2015) vient d’être approuvé par le Conseil des ministres, continuera à assumer ses missions de service public moyennant une compensation annuelle de 300 millions d’euros : distribution du courrier cinq jours sur sept, des pensions à domicile et des allocations aux personnes moins valides, des quotidiens avant 7 h 30 le matin (10 h le samedi), etc. Doit-on s’attendre à une hausse des tarifs postaux ? L’arrivée d’un premier concurrent sur le marché des lettres adressées, TBC-Post, pourrait au contraire empêcher bpost de le faire.

SANDRINE VANDENDOOREN

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