L’Iran va investir massivement dans la santé, les Belges se positionnent

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La république islamique – qui dispose d’une médecine de qualité et de l’argent du pétrole – compte investir dans la construction d’une centaine d’hôpitaux. Les entreprises belges se positionnent pour récolter une partie de cet énorme marché.

” Nous n’aurons pas tous les ans une destination fermée pendant 10 ans et qui rouvre ses portes au commerce international. ” La patronne de l’Agence wallonne à l’exportation Pascale Delcomminette ne cachait pas sa satisfaction à l’issue de la mission économique menée en Iran par les trois régions belges durant le week-end de Toussaint. Le retour de l’Iran sur la carte économique mondiale est d’autant plus intéressant, qu’il s’agit d’un pays plutôt riche grâce à ses réserves de pétrole et de gaz. Durant la période de sanctions, les ventes ont certes été réduites de moitié mais cela a suffi pour entretenir ou développer des industries, par exemple l’automobile. ” Aujourd’hui, le pétrole et le gaz ne représentent plus que 40 % de l’économie iranienne contre plus de 60 % avant les sanctions “, souligne Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo.

Les autorités iraniennes n’ont pas dilapidé la manne pétrolière. Elles ont notamment financé des hôpitaux d’excellente qualité et ambitionnent de passer bientôt de 1,7 à 2,7 lits pour 1.000 habitants. Dans un pays de 80 millions d’habitants, cela nous donne une bonne centaine d’hôpitaux à construire. Du bluff ? ” Non, ils savent y faire, répond Carlos Parrondo, directeur de SME (Société médicale à l’exportation). Pendant des années, ils se sont débrouillés seuls et je peux vous garantir que leur savoir-faire en étonnerait plus d’un en Europe. ” ” Si je devais me faire opérer à Téhéran, j’aurais le choix entre une quinzaine d’excellents hôpitaux, renchérit Robert De Jonghe, CEO de la firme bruxelloise Medi-Earth. Même les hôpitaux publics restent très corrects et bien équipés. Rien à voir avec l’Afrique par exemple. ” Et l’homme sait de quoi il parle : avant les sanctions, Medi-Earth avait installé une unité d’IRM en Iran.

On retrouve aussi dans les hôpitaux iraniens du matériel de radiographie d’Agfa et même deux accélérateurs de particules d’IBA pour la fabrication de produits radiopharmaceutiques et la stérilisation d’équipements. ” Depuis 10 ans, ces machines fonctionnent sans le support d’IBA, les équipes iraniennes ont donc définitivement les compétences requises “, souligne Olivier Legrain, CEO d’IBA.

Hôpitaux clés sur porte

Pendant des années, ils se sont débrouillés seuls et je peux vous garantir que leur savoir-faire en étonnerait plus d’un en Europe.” Carlos Parrondo, directeur de SME

Face à un tel marché potentiel, les entreprises belges se positionnent à divers niveaux. L’entrepreneur Willemen, l’équipementier médical Plexus Global et les architectes de Buro II & Archi+I ont formé un consortium capable de fournir des hôpitaux clés sur porte. Le consortium a signé durant la mission un mémorandum d’entente (MoU) avec un groupe privé iranien en vue de la construction de deux hôpitaux à Téhéran. ” Nous espérons qu’il s’agira des premiers d’une belle série “, sourit l’architecte Geert Blervacq. Cela représente un investissement de l’ordre de 400 millions d’euros, avec d’intéressantes retombées en Belgique car une partie des équipements seront fabriqués dans notre pays. ” De telles associations sont souvent le meilleur moyen de conquérir un nouveau marché, analyse Bénédicte Wilders, directrice de Bruxelles invest & export (BIE). C’est une recette à dupliquer pour d’autres entreprises belges, en Iran ou ailleurs. ”

Ce consortium n’est pas le seul à lorgner vers ces gigantesques marchés hospitaliers. SME est ainsi en pourparlers avec des financiers iraniens, prêts à activer les avoirs iraniens bloqués à l’étranger (plusieurs dizaines de milliards de dollars) pour construire des hôpitaux publics. Cette société basée à Gosselies est une sorte de consortium à elle toute seule : sa spécialité est d’intégrer différents intervenants pour agir de la conception d’un hôpital jusqu’à sa réalisation et son équipement. Pour la construction, elle attendra que l’argent iranien à l’étranger soit effectivement libéré. D’ici là, elle espère pouvoir concrétiser l’an prochain plusieurs projets d’équipements hospitaliers. ” Ce serait une forme de rodage sur ce marché auquel nous croyons beaucoup, confie José Alvarez, managing director. Il y a ici une véritable stratégie publique d’investissements dans la santé. ”

Nettoyage anti-bactéries, à la Belge

De tels marchés offrent d’intéressants retours sur l’économie belge puisque plus de 60 % des fournisseurs de SME sont Belges. A titre de comparaison, en assurant la réalisation d’un hôpital universitaire en Indonésie, SME a fourni de l’emploi à 4.000 personnes, réparties dans 70 entreprises belges. Cela ne se limite pas au domaine strictement médical. ” Nous pouvons intégrer des équipements annexes comme la buanderie, la stérilisation ou les alarmes qui sont fabriqués chez nous, ajoute Robert De Jonghe (Medi-Earth). J’ai même eu une demande pour des panneaux solaires sur une toiture plate. ”

On peut imaginer que les hôpitaux iraniens seront bientôt nettoyés avec des procédés belges, comme celui mis au point par Chrisal (une firme de Lommel), qui permet d’éliminer les bactéries les plus résistantes. ” Dans six mois, nous devrions pouvoir exporter nos produits pour les hôpitaux iraniens “, confie le CEO Robin Temmerman. Sa société est déjà présente depuis six ans en Iran, notamment dans le nettoyage des étables. ” Dans les hôpitaux, les normes sont évidemment plus strictes, poursuit cet homme qui a continué à commercer malgré l’embargo. On sent que le climat économique se dynamise très rapidement. Le niveau des connaissances scientifiques est très élevé ici, les Iraniens cherchent à importer des technologies, les biotechs se développent. ”

La santé, ce n’est pas que des hôpitaux, leurs équipements et des médecins. C’est aussi toute une organisation. Ici intervient le consultant bruxellois Namahn. ” La qualité de la médecine est remarquable en Iran mais le service n’est pas du même niveau, explique Joannes Vandermeulen, partner chez Namahn. Nous pouvons les aider à simplifier, à fluidifier leur organisation. ” Namahn est déjà active auprès de plusieurs firmes iraniennes. ” Les gens travaillent bien mais chacun dans son coin, poursuit Joannes Vandermeulen. Nous leur apportons des techniques de collaboration, de co-création. Il y a un marché pour cela. Je vois beaucoup d’optimisme en Iran, d’ouverture chez les gens. L’économie change lentement mais nous pouvons y contribuer. ”

Le casse-tête du financement des exportations

Appelons cela ” le paradoxe iranien” : un pays plutôt riche grâce au pétrole mais qui ne parvient pas toujours à payer ses factures parce que… les banques refusent d’encaisser l’argent. Elles craignent des sanctions des Etats-Unis, qui rangent l’Iran parmi les soutiens du terrorisme mondial et, à ce titre, interdisent la plupart des transactions avec lui. Au moindre doute, l’amende peut être salée, comme a pu le constater BNP Paribas l’an dernier.

Exporter des marchandises intégrant plus de 10 % des composants venant des Etats-Unis implique dès lors l’aval des autorités américaines. Cela réduit le champ des possibilités. Mais le problème principal est surtout monétaire. Les Etats-Unis se sont en effet arrogé le droit de sanctionner quiconque effectue des opérations en dollars à travers le monde. “Or, soulève Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo, les banques globales (HSBC, BNPP, Santander, Citigroup…) font toujours, à un moment donné, des transactions en dollars. Elles ne veulent pas courir le risque de s’exposer aux sanctions et rechignent donc à accepter des paiements venant d’Iran.”

Quelques plus petites banques acceptent cependant ce risque. Les entreprises belges actives en Iran travaillent essentiellement avec KBC, bien implantée sur ce terrain, et Belfius, qui tente d’y mettre un pied. Après un screening scrupuleux, elles ont passé des accords avec des banques iraniennes pour réaliser les transactions. Discrètement, en faisant circuler l’argent par des établissements turcs, italiens voire géorgiens avant d’arriver en Belgique. Précision utile : cette extrême prudence ne vise pas à masquer des ventes d’armes mais juste de matériel médical, d’aliments, de vêtements etc.

Les exportateurs de biens de consommation parviennent ainsi vaille que vaille à trouver des formules de paiement pour leurs clients iraniens. Le plus souvent via des lettres de crédit. Pour le financement à moyen ou long terme, cela se complique. Et pas qu’à cause des sanctions américaines. Pointons trois éléments. Il y a tout d’abord le risque politique, avec l’éventualité de voir l’Iran se replier sur lui-même et revenir sur les ouvertures des dernières années (des élections sont prévues en 2017). Ce risque ne paraît toutefois pas excessif puisque cette année, Credendo a relevé deux fois la classification de l’Iran, désormais en “5”, comme le Brésil ou le Cameroun. “Sur ses seules performances économiques, en faisant abstraction du risque politique, l’Iran serait même en catégorie 3 ou 4 avec des pays comme l’Inde, la Colombie ou le Maroc”, souligne Nabil Jijakli.

Nous avons ensuite le risque dit de snap back, c’est-à-dire le retour des sanctions en cas de non-respect des conditions fixées dans l’accord sur le nucléaire. Les flux financiers sortant d’Iran seraient alors bloqués très rapidement. Une sacrée épée de Damoclès au-dessus de la tête des investisseurs pendant 10 ans.

Enfin, il y a le système financier iranien lui-même. Il manque encore de transparence, les banques ne publient pas des résultats très récents, le reporting ne répond pas aux normes européennes… En d’autres termes, le partenaire bancaire iranien n’est pas toujours aussi fiable qu’on ne le pense. Les Gardiens de la révolution – l’instance dans le collimateur américain – sont présents dans de nombreuses entreprises et gèrent ainsi de 25 à 30 % du PIB iranien. Traiter avec ces entreprises, même de bonne foi, peut ouvrir la porte aux sanctions américaines.

Touche wallonne sur le toit du plus grand “mall” du monde

LAURENT BUZON, responsable des ventes chez Buzon.
LAURENT BUZON, responsable des ventes chez Buzon.© PG

Aux abords de Téhéran, le futur plus grand centre commercial du monde sort de terre. Dans l’équipe de construction, on retrouve la PME liégeoise Buzon. Cette société s’est spécialisée dans la fabrication et l’installation de plots hyper-résistants. Il en faudra 210.000 pour soutenir les 70.000 m2 de la terrasse de toiture de ce supermarché. “Je ne les fournirai peut-être pas tous mais j’en apporterai au moins 200.000, affirme Laurent Buzon, le responsable des ventes. J’irai sur place tous les mois s’il le faut. Quand je parle aux architectes et aux ingénieurs, ils comprennent que nous avons ce produit dans le sang et, alors, ils ne regardent pas que les prix”. Pour l’heure, il a livré les 80.000 plots de la première phase du chantier. Ce marché peut apporter de 200 à 300.000 euros de chiffre d’affaires à la firme liégeoise. Il servira aussi de carte de visite pour de futurs projets industriels, urbanistiques ou résidentiels en Iran. C’est dans ce but qu’il a participé à la mission économique belge durant le week-end de la Toussaint et rencontré un large panel d’investisseurs locaux. “J’ai senti chez mes interlocuteurs une incroyable envie d’ouverture et de développement, confie Laurent Buzon. Nous sommes aux prémices d’une belle évolution.” On retrouve les plots de Buzon au Berlaymont, à la Marina Bay Sands de Singapour, sur le nouveau World Trade Center de New York… Mais aussi en vente à l’unité chez nous dans les magasins de bricolage. Pas mal pour une PME familiale qui fêtera ses 30 ans en 2017.

Que le plus grand mall du monde sorte de terre à Téhéran, cela surprend. On a pourtant construit ici quelque 400 centres commerciaux en cinq ans et la plupart des grandes marques que nous connaissons en Belgique y sont présentes. ” Il y a en quelque sorte deux pays en un, commente Bénédicte Wilders (BIE). D’un côté, on a une orthodoxie religieuse et de l’autre une volonté d’ouverture. Comme dans les pays émergents, on voit une classe moyenne, voire aisée, qui se développe et aspire à consommer. Cette économie en train de revivre offre de belles opportunités aux producteurs de chez nous dans les domaines du luxe et du mobilier, par exemple.”

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