“L’évolution de Lidl et Aldi est un exemple pour Blokker”

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Deux semaines après l’annonce d’un vaste plan de restructuration chez nous, le patron de Blokker Belgique, Bernd Bosch, détaille la stratégie que son groupe entend mettre en oeuvre pour repositionner l’enseigne dans le nouveau paysage concurrentiel. Montée en gamme, développement du service, élargissement de sa cible… “Nous étions centrés sur les produits, nous allons nous centrer sur les clients !”

C’était le 7 février dernier. La chaîne néerlandaise d’articles ménagers Blokker annonçait son intention de fermer 69 magasins sur 190 en Belgique. Des fermetures qui pourraient conduire à la perte de 302 emplois, soit un tiers de l’effectif. ” Au cours des cinq dernières années, le chiffres d’affaires de Blokker en Belgique a baissé de 20 % pour atteindre une perte opérationnelle de 15 millions d’euros en 2015, perte qui devrait s’élever à 18 millions en 2016 “, écrit le groupe dans le communiqué annonçant la restructuration. A la tête de la filiale belge depuis mi-2016, Bernd Bosch est chargé de transformer la chaîne pour lui faire retrouver le chemin de la rentabilité.

BERND BOSCH. Blokker a connu un succès phénoménal par le passé. Ses anciens dirigeants ont profité de la notoriété de l’enseigne et n’ont pas ressenti le besoin de changer tout de suite car la rentabilité était au rendez-vous. Le fait est que le marché a très vite changé, tant au niveau du consommateur que de l’offre avec de nouveaux concurrents. Cela a eu un impact surprenant sur les chiffres de Blokker. Depuis 2015 surtout, le chiffre d’affaires dégringole. Les autres acteurs ont une offre mieux adaptée au marché, avec des prix beaucoup plus raisonnables, des promotions beaucoup plus pointues et une communication vers les clients mieux adaptée. La mentalité de Blokker, elle, était surtout centrée sur les produits et les achats plutôt que sur les clients. La nouvelle direction du holding s’est aujourd’hui rendu compte que Blokker est un vieux bazar qu’il faut absolument dépoussiérer.

Il y avait donc un petit souci au niveau du management précédent…

Il s’agit d’un holding familial. Alors, quand on parle de l’ancienne direction, on parle de la famille même. Depuis quelques années, s’est opérée une séparation nette entre l’actionnariat familial et l’opérationnel, à savoir la gestion de chaque entité. C’est pour cela qu’aujourd’hui, les entités sont prises en main d’une tout autre façon, beaucoup plus moderne, avec un focus sur le retail, sur le client, le développement d’un CRM (” customer relationship management “, gestion de la relation client, Ndlr), l’implantation d’une stratégie omnicanal… Souvent, dans les entreprises familiales qui ont grandi, on voit qu’à un certain moment, l’évolution s’arrête car il n’y a pas de sang neuf apporté. Cela fonctionne tant que les résultats sont au rendez-vous, mais une fois qu’on est confronté à de nouveaux concurrents, à un marché qui change fondamentalement et à des chiffres qui sont en train de s’écrouler, la situation devient urgente et il faut agir. Souvent, c’est trop tard.

Vous avez annoncé une modernisation de votre réseau de magasins et des changements au niveau de l’assortiment. Pourquoi ne pas avoir opéré cette modernisation sur l’ensemble de vos points de vente et avoir décidé d’en condamner 69 avant de leur donner une chance ?

Nous avons établi l’année dernière un master plan qui comprend 17 points. L’un de ces points consistait en la modernisation d’un magasin. Nous avons sélectionné quelques emplacements dans différentes villes pour tester les effets de ce relifting sur la rentabilité des points de vente. On a ensuite fait un modèle théorique avec des prévisions pour voir quel serait l’effet de cette modernisation sur l’ensemble des magasins. Nous avons alors calculé un chiffre théorique pour l’année 2018. Et nous avons vu que 69 magasins risquaient de ne pas être rentables pour la fin 2018…

Ce n’est donc pas qu’un souci de relifting ou d’assortiment. Qu’est-ce qui ne va pas pour ces 69 magasins ?

Il y a plusieurs éléments. Le loyer est un point important. J’ai des magasins qui enregistrent un chiffre d’affaires de dingue mais qui ont un loyer de dingue aussi, qui ne permet pas de fonctionner de manière rentable. Ils sont, par exemple, situés dans des centres commerciaux ou dans des grandes villes, des localisations AAA. Le deuxième élément est la concurrence. Si des discounters sont implantés à proximité de nos magasins, cela devient très compliqué aussi. Nous essayons dans ces points de vente de travailler sur l’assortiment pour tenter de faire la différence. Il y un autre problème, politique celui-là, et surtout présent en Flandre. Certaines communes prennent des décisions qui interdisent aux magasins situés en centre-ville de se délocaliser en périphérie afin d’éviter que les centres-villes ne se vident. Je me demande même si cela est légal…

Doit-on comprendre que Blokker sera davantage situé en périphérie à l’avenir ?

Nous garderons un mix. Il y a des centres-villes qui restent intéressants. Tout dépend si leur plan de mobilité y donne facilement accès. Il y a par ailleurs des zonings de périphérie qui sont en train de se développer et qui sont très intéressants pour nous. Et puis, il y a les shoppings, mais dans une moindre mesure car ce sont des endroits qui sont assez chers.

Plusieurs experts affirment que le positionnement de votre chaîne était devenu complètement flou pour les clients. Comment comptez-vous lui redonner sa pertinence ?

La nouvelle direction du holding s’est aujourd’hui rendu compte que Blokker est un vieux bazar qu’il faut absolument dépoussiérer.”

Il est vrai qu’actuellement, les clients ne savent pas ce qu’on trouve réellement chez Blokker. On trouve un peu de tout mais personne n’a vraiment de raison particulière de venir chez nous. On doit donc avoir un positionnement clair. On ne peut pas être discounter car nous ne pouvons pas nous battre avec les autres acteurs. Nous allons donc davantage nous orienter vers des produits mid-segment, avec chaque fois un choix entre trois catégories : good, better, best. Avec aussi beaucoup plus d’inspiration, d’atmosphère, d’événementiel… Nous voulons rester un magasin de proximité, avec une forte intégration de tout ce qui est omnicanal. On veut aussi porter une attention particulière sur nos clients existants, à savoir surtout les dames de 45 ans et plus. Nous souhaitons que ces clientes viennent davantage chez nous et soient plus inspirées par notre assortiment. Parallèlement, nous sommes en train de mener des tests en vue d’attaquer d’autres cibles avec lesquelles nous devrons communiquer d’une autre façon, hors du folder classique que nous avons actuellement. Il s’agit des étudiants et des jeunes qui s’installent pour la première fois en ménage. Il nous faudra séduire ces clients d’une manière différente, les lier davantage avec Blokker au niveau de l’offre, de la communication…

Comment allez-vous procéder concrètement ?

Nous avons choisi de procéder en deux phases : d’abord le facelift, combiné à tous les points du master plan,pour retrouver notre pertinence sur le marché. Dès que le client aura une vision claire de notre positionnement et que nous aurons stoppé l’hémorragie financière, nous pourrons commencer à généraliser le nouveau concept. Car si on implémente le nouveau Blokker sans avoir créé la bonne perception chez le client, ce dernier risque de se dire, en entrant dans son nouveau magasin, que ce n’est pas ce qu’il en attend.

Quels vont être les changements au niveau de l’assortiment ?

Dans tout ce qui est ménager au sens large du terme, on veut offrir des produits dans trois catégories : good, better, best. Le client ne va trouver chez nous ni la gamme discount, ni la gamme premium. Il va avoir un large choix dans le segment moyen. Dans les 10 ” mondes ” que nous avons définis, trois sont très importants pour nous : la décoration, la cuisine et la salle de bains.

On dit aujourd’hui que vous devez mettre le turbo sur l’e-commerce et apporter de la valeur ajoutée dans vos magasins. Mais vos principaux concurrents ne sont pas présents dans l’e-commerce et n’ont pour valeur ajoutée que le prix. La roue a tourné…

Quand on joue uniquement sur le prix, cela détruit de la valeur et impacte tout de suite le chiffre d’affaires et la marge. Avant, nous étions uniquement centrés sur les produis et les prix, comme nos concurrents actuels. Mais nous voulons aujourd’hui créer de la valeur. Nous devons simplement nous adapter au nouveau contexte concurrentiel. Je trouve que d’autres chaînes ont très bien évolué. Je pense, par exemple, à Aldi et Lidl. Ils ont commencé comme discounters et ont évolué vers un assortiment plus large et plus de service. Leur évolution est un exemple pour Blokker. Car finalement, eux, deviennent des smart discounters. Blokker pourrait devenir smart aussi, au niveau des prix, de l’offre… Vous parliez de nos principaux concurrents, mais au fond, nous avons énormément de concurrents. Il y a beaucoup de magasins qui offrent au moins une catégorie que nous avons aussi. Dans un hypermarché Carrefour, on trouve un Blokker à l’intérieur. Aujourd’hui, notre défi est de nous différencier de tous ces concurrents.

Vous vous lancez dans l’e-commerce, mais votre assortiment est-il adapté à la vente en ligne ?

C’est bien pour cela que nous avons créé une société qui s’appelle Nextail, qui regroupe plusieurs spécialistes de l’e-commerce. Nous sommes en train de construire un assortiment en ligne qui soit pertinent pour les clients. En plus, on vient de lancer une market place sur laquelle d’autres retailersonline peuvent proposer leurs produits. L’online est donc un acteur essentiel de la redynamisation de notre chaîne offline.

L’assortiment sera-t-il différent en magasin et en ligne ?

“Techniquement, nous sommes en bénéfice, mais dans les faits…”

Vous dites que Blokker Belgique a terminé l’exercice 2015-2016 sur une perte opérationnelle de 15 millions d’euros. Mais lorsque l’on regarde vos comptes, cette perte n’apparaît pas. La filiale belge affiche toujours un bénéfice opérationnel de 1,7 million. Comment expliquez-vous cela ?

Lorsqu’on regarde le compte de résultat de chaque magasin localement, on constate les pertes telles que je les ai annoncées. Maintenant, dans les comptes déposés, il est vrai que vous voyez d’autres chiffres en 2015 car il y a eu une intervention financière du holding. Une sorte d’aide, de subside, d’environ 17 millions d’euros a été injectée dans notre résultat opérationnel pour des raisons d’optimisation des finances au niveau du holding. Une somme similaire a encore été injectée l’année dernière.

Ce montant vient sauver vos résultats. Vous n’êtes donc pas en perte ?

Techniquement, si on regarde nos comptes déposés à la Banque nationale, nous sommes en bénéfice. L’apport d’argent de la maison mère sauve le résultat, mais simplement de manière cosmétique. Dans les faits, la perte est bien là. On a des pertes énormes et si on ne fait rien, cela va devenir catastrophique. Car une situation où le holding doit injecter chaque année 17 millions, 20 millions, 25 millions d’euros…, ce n’est pas une situation structurellement tenable. Je trouve qu’il faut d’abord regarder l’opérationnel en Belgique et les chiffres liés à cet opérationnel. Il faut déduire ce montant de 17 millions car cela n’a vraiment rien à voir avec la réalité de la situation en Belgique.

Lorsque l’on épluche vos comptes, on remarque qu’en 2015, 3,7 millions d’euros ont été provisionnés pour “restructuration du réseau de filiales”. L’opération en cours aujourd’hui était-elle déjà en cours en 2015 ?

Non, ce montant n’est pas lié à la restructuration actuelle. Il s’explique par la fermeture de 11 points de vente en Belgique. Je suis arrivé en mai dernier pour aider à transformer les magasins, pas pour restructurer. Il s’est simplement avéré que la transformation devait passer par une restructuration. Bien sûr, j’aurais aimé qu’il n’y ait que deux magasins à fermer.

Dans vos comptes, on voit que les créances sur entreprises liées sont passées de 14 millions à 25,2 millions d’euros. Plus de 10 millions d’augmentation des prêts aux autres entreprises du groupe au moment où le chiffre d’affaires se contracte. N’est-ce pas contradictoire ?

Nous ne ferons pas de commentaire à ce sujet.

Il est vrai que l’assortiment online doit être complémentaire, mais un client qui veut faire ses achats chez nous et qui ne souhaite pas se déplacer doit quand même pouvoir retrouver en ligne la gamme de base des magasins. L’e-commerce nous permet d’optimiser notre stock, de faire de la vente complémentaire et de proposer un assortiment beaucoup plus large. Les très grandes pièces, comme tout ce qui est matériel de jardin, barbecues, etc., seront uniquement vendues en ligne. Les petits articles comme les élastiques, les pinces à linge, etc., ne seront évidemment proposées qu’en magasin.

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