L’étrange diatribe anti-Europe du patron de Fiat

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Au lieu d’en faire un secteur stratégique, “l’Europe a tendance à utiliser notre industrie automobile comme monnaie d’échange pour obtenir des avantages douteux dans d’autres secteurs”, dénonce Sergio Marchionne… qui exige de l’UE qu’elle autorise ses constructeurs à se restructurer.

Sergio Marchionne, l’emblématique patron de Fiat et président de l’Association des constructeurs européens (ACEA), a encore frappé fort mercredi dernier en accusant l’Union européenne d’être en partie à l’origine des problèmes de son industrie automobile. Au lieu d’en faire un secteur stratégique, “l’Europe a tendance à utiliser notre industrie automobile comme monnaie d’échange pour obtenir des avantages douteux dans d’autres secteurs”, a-t-il déclaré lors d’une conférence au Collège d’Europe à Bruges.

Des accords de libre-échange inégaux

Pour les non avertis, Sergio Marchionne faisait référence à l’accord de libre-échange signé en 2010 entre l’Union européenne et la Corée du Sud, à l’époque déjà vertement critiqué par les constructeurs européens. Ce dernier a supprimé tous les droits de douane sur les échanges des produits commerciaux entre l’UE et la Corée du Sud (10% pour les produits coréens à l’entrée de l’UE, et de 8% pour les produits européens en Corée). Le problème, c’est que l’industrie coréenne importe bien plus de véhicules en Europe que ne le fait l’industrie européenne en Corée (un rapport de plus de 1 pour 10). Face à l’assaut de ses industriels, la Commission avait répliqué que l’avantage des Coréens finirait par se résorber avec l’augmentation de la production des voitures sud-coréennes sur le Vieux Continent. Mais en réalité, grâce à l’écart de coût de production et à la faiblesse du Wuan face à l’euro, les coréens ont réussi à maintenir des niveaux de prix en Europe extrêmement compétitifs. Et leurs exportations ont progressé de 42% en 2012.

De toute évidence, cette mauvaise expérience n’a pas suffi. L’Union européenne est en effet en train de négocier deux nouveaux accords avec l’Inde et le Japon, qui là encore risquent de pénaliser les constructeurs européens. En Inde par exemple, la situation est déjà extrêmement déséquilibrée, puisque les voitures importées d’Europe sont actuellement taxées à plus de 100 % pour les véhicules complètement montés et à environ 60 % pour ceux importés en pièces détachées, alors qu’une automobile indienne ne paye que 6,5% de taxe pour l’Europe. Or l’Union européenne serait prête à aller plus loin en supprimant toute barrière tarifaire en échange d’une réduction de moitié des droits des douanes indiens (soit encore 30% de taxe). Une situation jugée complètement absurde par les constructeurs européens.

Au Japon, la situation est un peu moins problématique puisque ces derniers n’y paient aucun droit de douane. En revanche, ce sont les constructeurs japonais qui doivent s’acquitter d’un droit de passage de 10 % vers l’Europe. En ouvrant gratuitement son marché aux constructeurs japonais, l’Europe pourra certes se féliciter d’être la meilleure élève de l’OMC, mais elle risque là encore d’avantager ses propres concurrents. Surtout lorsqu’on connait l’étendue des flux commerciaux entre les deux pays: en 2010 les constructeurs japonais ont exporté 485 000 véhicules vers l’Union européenne contre 147 000 seulement en sens inverse, selon le site autoactu.com.

Des constructeurs qui demandent le droit de se restructurer

Pour les constructeurs, qui peuvent également être confrontés à d’importantes barrières non tarifaires sur ces marchés, c’est donc la goutte d’eau. Conclure ce type d’accord à une période où partie de l’industrie automobile européenne va si mal semble pour le moins inapproprié. “Nous nous trouvons dans une situation étrange, dans laquelle l’Europe conclut un accord de libre-échange après l’autre – qui n’entraînent pas toujours de bénéfices mutuels – alors que sur notre marché, nous souffrons de sa rigidité et des restrictions qu’elle nous impose et qui entravent notre compétitivité”, a insisté Sergio Marchionne mercredi.

Un argumentaire en deux temps donc pour le patron automobile, qui n’a pas hésité à réclamer certaines contreparties. Selon lui, l’Union européenne ne peut pas dans le même temps ouvrir ses marchés à la concurrence externe, sans soutenir les efforts de restructuration de ses constructeurs. Comprendre, sans les autoriser à licencier et à fermer des usines…

Dans un entretien au Figaro le même jour, le patron de Fiat rappelle d’ailleurs que “le secteur fait face à des surcapacités de production d’environ 20%”, ce qui correspond à 3,5 millions de véhicules en trop, et à une dizaine d’usines sur le Vieux continent. Selon lui, l’Europe doit donc prendre exemple sur les Etats-Unis qui ont réduit leur capacité de production de 20% en 2007 et 2008 et qui “gagnent maintenant tous de l’argent”. Un avis que partagent une majorité des patrons du secteur, à l’image de Philippe Varin ou de Carlos Ghosn, qui se relayent depuis plusieurs semaines dans la presse, avec l’espoir de faire céder le gouvernement français.

Le problème c’est qu’alors que PSA, Renault, Fiat ou encore Opel tirent la langue, d’autres constructeurs comme Volkswagen, Porsche et BMW affichent une santé éclatante. Preuve qu’il n’est pas seulement question de géographie, et de barrières tarifaires!

Julie de la Brosse, L’Expansion.com

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