“L’efficacité de l’homéopathie est là. Nul besoin de tout comprendre pour en juger”

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Au-delà de la polémique sur son efficacité, l’homéopathie est surtout un important marché. En témoigne la société française Boiron, cotée en Bourse et leader mondial dans le domaine. Trends-Tendances a rencontré Christian Boiron, un PDG au caractère bien trempé.

Régulièrement sous le feu des critiques, l’homéopathie a été tout récemment prise pour cible par l’EASAC, le Conseil consultatif scientifique des académies européennes, qui prodigue des conseils scientifiques aux décideurs européens. En Belgique aussi, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (CFESS) souligne avec fermeté l’absence totale de preuves quant à la réelle efficacité de l’homéopathie. Une ligne également suivie par Test-Achats, même si l’association de protection des consommateurs révélait en 2012 dans une enquête que plus de la moitié des patients traités par homéopathie étaient satisfaits de leur traitement, sans toutefois écarter la thèse d’un effet placebo. Et il y a peu, ce fut au tour du Skepp (Cercle d’études pour l’évaluation critique de la pseudo-science et du paranormal) de descendre en flammes l’homéopathie.

L’efficacité est là. Nul besoin de tout comprendre pour en juger.

Les critiques ne datent pas d’hier. L’homéopathie divise le monde (para)médical depuis le 18e siècle. N’en déplaise aux envieux, cette pseudo-science est cependant parvenue à se tailler une place au soleil. De plus en plus de médecins intègrent l’homéopathie dans leurs traitements et près de la moitié des ménages belges ont déjà eu recours à des médicaments homéopathiques (enquête iVox, juin 2017). A l’échelle mondiale, le nombre de consommateurs de produits homéopathiques s’élèverait à plusieurs centaines de millions. En France, des produits homéopathiques sont prescrits par 61 % des généralistes. Bref, l’homéopathie est aujourd’hui devenue une industrie florissante, avec les laboratoires Boiron, situés non loin de Lyon, comme figure de proue. Ils sont à l’origine, notamment, de la découverte et de la production de l’oscillococcinum, supposé traiter les états grippaux. Il s’agit ni plus ni moins du traitement homéopathique le plus connu et vendu.

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Les laboratoires Boiron ont été fondés en 1932 par Jean et Henri Boiron. Ce sont eux qui ont mis au point la célèbre méthode d’administration sous forme de granulés et de ” globules “, des grains de sucres imprégnés d’une substance active diluée à l’extrême. En 1983, Christian Boiron succède à son père Jean et prend les rênes de l’entreprise. Agé de 70 ans, il nous a accueilli à Messimy, à proximité de Lyon, à l’occasion de l’extension du siège. La société, encore à plus de 62 % entre les mains de la famille Boiron, a prévu d’injecter quelque 50 millions d’euros pour doubler la taille du site et, ce faisant, sa capacité de production.

Si Boiron a accepté d’ouvrir ses portes et d’accorder pour la première fois une interview à la presse belge, c’est sans doute lié au soulagement que la société a éprouvé après la publication de son étude EPI3, portant sur la place de l’homéopathie dans la médecine générale, appelée ” allopathie ” par les homéopathes (lire l’encadré ” L’étude de tous les dangers “). ” Cette étude m’a préoccupé des années durant “, confesse Christian Boiron, qui nous reçoit en Crocs. Un dirigeant d’entreprise assez anticonformiste…

TRENDS-TENDANCES. L’homéopathie est prise pour cible par de nombreuses institutions notoires…

CHRISTIAN BOIRON. Les critiques existeront tant que les gens n’auront pas compris comment fonctionne l’homéopathie. Comment croire à l’incroyable ? C’est la question. Nous utilisons des substances actives sous une forme tellement diluée que l’on peut effectivement s’interroger sur l’existence d’un mécanisme actif. Je vous répondrai que l’efficacité est là. Nul besoin de tout comprendre pour en juger. Cela dit, je comprends qu’il est déconcertant pour certains de voir que des traitements homéopathiques fonctionnent sur des patients insensibles aux autres traitements. Les critiques ne me gênent pas, pourvu qu’elles soient justifiées et ne reposent pas sur des idioties juste pour faire sensation. Il m’arrive de sortir de mes gonds, mais que voulez-vous, je suis particulièrement engagé et passionné.

Vous comparez les critiques au Ku Klux Klan…

Les détracteurs de l’homéopathie sont de deux sortes. Il y a tout d’abord ceux qui qualifient d’idiots les homéopathes ou les personnes qui recourent à l’homéopathie. Et puis, ceux que j’assimile au Ku Klux Klan. Ces derniers veulent faire le ménage. Ils affirment que toute personne liée de près ou de loin à l’homéopathie doit être écartée. Bref, ils cherchent à faire peur. Il s’agit heureusement d’une petite catégorie, que j’estime à 30 à 50 personnes. Sauf que celles-ci sont souvent assez puissantes et font preuve d’une grande persévérance. Mais ainsi soit-il : je ne connais pas un seul domaine du monde de la médecine qui n’a jamais été sujet d’attaques répétées.

Pourquoi avez-vous pris le risque de commander l’étude EPI3 ?

La décision n’est pas de moi. A l’époque, mon frère Thierry était directeur général. Quant à moi, je me trouvais en Italie. Pour me vider la tête après une période très intense, mais aussi parce que je devais m’occuper de notre filiale italienne de 400 travailleurs qui battait de l’aile. J’ai donc pris le temps nécessaire pour la réorganiser. Un défi fascinant, mais du coup, j’étais aussi coupé de la réalité qui se jouait au siège. Lorsque j’ai eu vent de l’étude EPI3, je me suis dit que l’on prenait un sacré risque. Je dois bien avouer qu’elle m’a préoccupé des années durant. Non pas que je doutais de l’homéopathie, mais plutôt de l’étude à proprement parler. Ces études sont si souvent mal réalisées. Heureusement, nous avons pu bénéficier des meilleurs chercheurs.

A l’échelle mondiale, l’homéopathie représente 0,2 % du chiffre d’affaires des médicaments.

Pouvons-nous dire que l’étude arrive à point nommé, dans un contexte où l’homéopathie surfe sur la vague des nouveaux traitements immuno-oncologiques ?

C’est moi qui suis à l’origine de cette collaboration. Nous devons nous imposer sur le terrain des maladies graves. Nous avons donc contacté des spécialistes dans les hôpitaux afin de voir avec eux si nous pouvions venir leur parler d’homéopathie. Si l’accueil a d’abord été frileux, il semble que notre discours n’ a pas laissé indifférent une partie du corps médical, particulièrement les oncologues. Je ne perçois pas l’allopathie (le terme utilisé par les homéopathes pour désigner la médecine, Ndlr) comme une concurrence. J’ai même de la considération pour elle. Le développement de l’homéopathie ne peut d’ailleurs pas être dissocié du développement de l’allopathie. Les deux sont complémentaires. Sauf que ce discours ne plaît pas à tout le monde et en gêne plus d’un.

Les laboratoires Boiron sont cotés en Bourse depuis déjà 30 ans…

Je me souviens que les travailleurs et les membres de la famille nous demandaient comment acquérir des parts. Je ne savais pas comment chiffrer la valeur d’une action et le chef d’entreprise que j’étais ne souhaitait pas prendre la décision arbitrairement car ça fait toujours des mécontents. C’est ainsi que nous avons fait notre entrée en Bourse bien que nous n’ayons jamais entrepris de lever des capitaux. On me reproche pourtant souvent ma richesse. Je viens encore d’entendre quelqu’un me traiter de money maker.

En Belgique, bon nombre d’entreprises familiales ont quitté la Bourse ces dernières années.

Ce n’est pas forcément idiot. J’y pense moi-même depuis un moment. Toutefois, ce n’est pas simple, puisque vous devez alors trouver un autre moyen pour valoriser les parts de la société étant donné que celles-ci passent de toute façon d’une personne à l’autre, que vous soyez ou non coté en Bourse. Cette dernière comporte néanmoins un avantage : elle met tout le monde d’accord sur le prix.

La Bourse permet de lever des capitaux pour entreprendre une grande expansion…

Certes. Cela étant, trouver des cibles à reprendre n’est pas évident, car les acteurs actifs dans le domaine homéopathique à l’échelle mondiale ne sont pas très nombreux. Et je ne tiens pas vraiment à acheter un laboratoire allopathique pour faire de l’homéopathie en Chine ou en Inde. Je ne sais donc pas encore trop quoi faire. Une chose est sûre : le potentiel de croissance est bien réel car il y a encore beaucoup de régions où nous ne sommes pas présents, sinon très peu. A l’échelle mondiale, l’homéopathie représente à peine 0,2 % du chiffre d’affaires des médicaments, contre 2 % en France, soit bien plus. Comment les choses vont-elles évoluer ? Je ne saurais le dire.

Avez-vous l’intention de rester aux commandes le plus longtemps possible ?

Je me la suis déjà souvent posée, cette question. Je me suis retiré à plusieurs reprises, et à chaque fois, je suis revenu. Ce n’est pas encore le bon moment pour arrêter. Mais cela arrivera bien assez vite. Sans doute quand je serai mort.

Vous avez déjà décidé que Valérie Poinsot, votre directrice opérationnelle, vous succédera en tant que CEO ?

Mon âge avançant, tout le monde s’inquiétait de la suite des événements. J’ai donc dû prendre une décision rapidement. Et mon choix est tombé sur Valérie.

Derrière Valérie Poinsot, on retrouve votre fille Annabelle, qui dirige déjà la branche française de Boiron.

J’ai cinq enfants, dont quatre filles. Annabelle est la seule à travailler dans l’entreprise, même si deux de ses soeurs occupent un siège au conseil d’administration. Elle figure donc parmi les possibilités, tout comme peut-être mon fils, qui se prépare à faire des études de pharmacie en Italie. Il me ressemble comme deux gouttes d’eau. Dans 10 ans, il aura 28 ans. J’étais déjà directeur général à cet âge.

L’étude de tous les dangers

Les laboratoires Boiron ont injecté 6 millions d’euros dans l’étude EPI3, la plus importante jamais réalisée en France dans le domaine de la médecine généraliste. L’étude s’est étendue sur six ans et a porté sur plus de 8.500 patients et 825 médecins généralistes. Elle s’est efforcée de comparer les traitements homéopathiques et allopathiques traditionnels, ciblant trois des maladies les plus signalées par les médecins telles que l’infection des voies respiratoires supérieures (IVA). L’étude a été dirigée par Lucien Abenhaim, ancien directeur général de la santé publique en France. L’EPI3 a démontré que les patients qui recevaient également des traitements homéopathiques affichaient une évolution clinique similaire tout en présentant moins d’effets secondaires qu’avec les traitements conventionnels.

Néanmoins, cette étude est déjà attaquée par les opposants de l’homéopathie, qui pointent la composition des groupes de patients et le choix des pathologies étudiées, multifactorielles.

Du lierre… au venin de serpent

L’homéopathie a été développée vers la fin des années 1700 par un médecin allemand, Samuel Hahnemann, qui se penchait à l’époque sur les effets des substances toxiques sur le corps humain. Ce médecin était convaincu que ce qui provoquait une maladie pouvait également la guérir. L’homéopathie utilise un éventail très large de substances actives, allant d’extraits de plantes telles que le lierre grimpant au venin de serpent, en passant par l’ail, le cuivre, le mercure ou encore l’encre de seiche. Ces substances actives sont administrées, diluées à l’extrême (au point que statistiquement, il n’existe plus aucune molécule de la substance), sous forme de gouttes ou au moyen de petits grains de sucre. Notons aussi que les traitements homéopathiques sont enregistrés auprès des autorités sanitaires.

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