L’économie belge souffre de trop de… postes vacants: le point

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Pour les uns, il faut raboter les droits des chômeurs pour les pousser vers l’emploi. Pour les autres, il faut revaloriser les conditions pour rendre les métiers en pénurie plus attractifs. Mais pour tous, il faut décupler les formations directement en entreprise.

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En ce début d’année, le monde patronal multiplie les sorties pour dénoncer l’ampleur des vacances d’emplois et le coup de frein que cela génère sur l’économie belge. Au troisième trimestre 2017, on recensait 142.000 postes vacants, selon les chiffres publiés par Eurostat. La progression, surtout, a de quoi affoler : + 28 % en un an et même plus de 50 % en Wallonie. Une telle difficulté à recruter freine la croissance économique. ” Les entreprises ont la possibilité de produire plus, mais elles n’arrivent pas à trouver la main-d’oeuvre adéquate et risquent donc de devoir refuser des commandes “, déplore le CEO de l’Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige, dans L’Echo.

Le constat est d’autant plus interpellant que, d’une part, il y a trois fois plus de demandeurs d’emplois que de postes vacants, et d’autre part, une partie des métiers concernés sont en pénurie depuis plusieurs années. Pourquoi diable ne parvient-on plus à trouver suffisamment de bouchers, d’infirmiers, de chauffeurs routiers ou d’électriciens ?

La N-VA a esquissé une réponse en déposant une proposition de loi visant à limiter dans la durée les allocations de chômage. L’idée sous-jacente est qu’une partie des demandeurs d’emploi se satisfont de leur sort et ne souhaitent pas travailler. En leur coupant les vivres, on les inciterait donc à reprendre le chemin de l’emploi. ” C’est un leurre, estime Muriel Dejemeppe, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et spécialiste du marché du travail. Une fin de droit peut augmenter les sorties du chômage mais uniquement pour les personnes les plus proches de l’emploi. L’effet ne pourrait donc être que très marginal. ” Et de souligner que, au vu de la différence entre le taux de chômage en Flandre et dans les deux autres Régions, la cause fondamentale des métiers en pénurie – présents à des taux comparables dans les trois Régions – ne réside pas dans le droit aux allocations à durée indéterminée.

” Arrêtons de penser que les demandeurs d’emploi n’ont pas envie de travailler, ajoute Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB. Ils sont déjà soumis à de nombreuses obligations de recherche d’emploi, ils sont contrôlés et parfois sanctionnés. Et manifestement, cela n’empêche pas les pénuries dans certains métiers. ” ” En ce domaine, l’obligation ne sert de toute façon à rien, ajoute Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris. L’activation par la pression ou la menace est totalement inefficace. Sans la motivation réelle du chercheur d’emploi, il n’y a aucun résultat. ”

Bart Buysse (FEB)
Bart Buysse (FEB) ” Les employeurs devraient parfois se montrer plus ouverts aux candidatures qui ne rencontrent pas à 100 % le profil souhaité. “© BELGAIMAGE

Attirer les recrues en augmentant les salaires

Conservons néanmoins l’idée qu’une partie des chômeurs se satisfont de leur sort. Pas par fainéantise mais parce que, vu les conditions de travail et de rémunération, le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle. Notamment parce que la reprise du travail implique souvent des frais de déplacement et de garde d’enfants qui annulent le gain financier. Pour lever ces ” pièges à l’emploi “, on peut effectivement réduire ou supprimer les droits du chômeur. Mais on peut aussi agir par l’autre bout en revalorisant les métiers en pénurie. Application basique de la loi de l’offre et de la demande : si je ne trouve pas de soudeurs à 1.500 euros, je monte à 1.800 euros et ils viendront ou, à tout le moins, j’augmente les chances que des étudiants choisissent de se former à ce métier.

Ce raisonnement est volontiers repris pour justifier les salaires mirobolants offerts à de grands dirigeants, y compris dans le secteur public. Sans cela, on ne trouverait pas les talents nécessaires, dit-on. Plus bas dans l’échelle des responsabilités, on voit plutôt le scénario inverse, avec une pression à la baisse sur les salaires dans certaines professions critiques. ” On évoque régulièrement une pénurie de chauffeurs routiers mais c’est aussi un secteur où le dumping social venant d’Europe centrale est le plus marqué “, souligne ainsi Olivier Valentin. ” Il n’y a pas que la rémunération, renchérit Grégor Chapelle. Infirmier, c’est une profession magnifique mais très pénible, avec des horaires décalés, des nuits, des week-ends. Il est important de rendre les conditions de travail plus attractives. Cela relève de la concertation sociale. ”

Autre paradoxe : dans les métiers en pénurie, 15 % des postes proposés sont des contrats intérimaires, ce qui n’est pas le plus aguichant. ” Offrir des contrats permettant des perspectives pour les travailleurs, de la stabilité ou de la mobilité est au contraire un bon moyen de répondre à la pénurie “, pointait l’an dernier la FGTB dans une analyse fouillée de 100 métiers critiques.

Du côté des entreprises, on insiste évidemment pour que ” le politique garantisse la payabilité de la main-d’oeuvre ” et donc, pour que des revalorisations salariales, par exemple pour les métiers en pénurie, ne viennent pas contrebalancer les réductions de cotisations patronales. Cela ne signifie toutefois pas un refus d’agir sur les conditions de travail. Au contraire. ” L’image de l’entreprise, les perspectives apportées au personnel, l’entente entre les collègues sont des éléments importants pour attirer les talents, constate Bart Buysse, directeur général de la FEB. Les employeurs sont de plus en plus attentifs à la nécessité de rendre le travail le plus agréable possible afin de recruter et de conserver des collaborateurs motivés. ” Il ajoute toutefois que cette logique a aussi ” ses limites “, à savoir la nécessité de contenir les coûts de production pour ne pas se retrouver hors marché.

Grégor Chapelle (Actiris):
Grégor Chapelle (Actiris): “Les entreprises ont un rôle sociétal à jouer sur le plan de la formation des jeunes stagiaires demandeurs d’emploi.”© BELGAIMAGE

Le piège de la mobilité géographique

L’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi ne résulte pas uniquement, loin de là, de considérations financières. Une étude de l’IRES, publiée en 2013, met en avant les barrières géographiques : les emplois disponibles ne sont pas toujours localisés là où vivent les demandeurs d’emploi. Certes, un déménagement est toujours possible. Mais cela génère des frais (la portabilité des droits d’enregistrement est seulement à l’étude en Wallonie) et implique parfois qu’un conjoint abandonne un poste pour que l’autre puisse en trouver un. En outre, soulignait cette étude, ” les zones riches en emplois sont typiquement caractérisées par un prix du logement élevé “. Ce n’est donc pas là que les moins nantis, comme les demandeurs d’emploi, vont s’installer en priorité, et cela renforce les pièges à l’emploi.

Le problème est finalement bien plus profond que la volonté des demandeurs d’emploi ou les gestes des employeurs envers eux : les profils recherchés n’existent tout simplement pas sur le marché du travail actuel. ” Ce constat nous renvoie toujours à la question de l’enseignement, dit Muriel Dejemeppe. Tant que le système n’organisera pas un enseignement technique et professionnel performant et valorisant, on devra toujours trouver des solutions de fortune pour tenter de ramener dans le chemin des jeunes en situation d’échec, voire de décrochage. ”

La réponse ne peut dès lors être que de long terme, avec la mise en oeuvre du Pacte d’excellence ainsi que, insiste la FEB, une attention particulière aux orientations STIM (science, technologie, ingénierie et math), dans lesquelles les pénuries sont palpables depuis longtemps. ” Répétons que les formations techniques ne sont absolument pas un second choix, insiste la fédération patronale. Bon nombre d’employeurs sont à la recherche de profils techniques qualifiés. ” Et d’inviter à une information plus précise des étudiants quant aux perspectives d’emploi dans ces filières, y compris via l’entrepreneuriat.

Olivier Valentin (CGSLB)
Olivier Valentin (CGSLB) ” Arrêtons de penser que les demandeurs d’emploi n’ont pas envie de travailler. “© BELGAIMAGE

Formation : la balle dans le camp… des entreprises !

Les qualifications exigées par les employeurs seraient-elles donc excessives ? Il est logique qu’un employeur soit le plus ambitieux possible mais à un moment donné, il doit adapter ses ambitions à la réalité de l’offre. ” Les employeurs devraient parfois se montrer plus ouverts aux candidatures qui ne rencontrent pas à 100 % le profil souhaité mais qui présentent un potentiel dans lequel on peut investir “, convient Bart Buysse. Il ajoute que le retour de la période d’essai va y contribuer en réduisant le risque inhérent à toute embauche.

Grégor Chapelle le prend au mot, en invitant les entreprises à prendre des jeunes demandeurs d’emploi en stage. Cela permet de tester ses compétences techniques et, plus encore, sa faculté d’apprentissage et d’adaptation à la culture de l’entreprise. ” Aujourd’hui, on cherche à externaliser tous les coûts, y compris celui de la formation, explique le directeur général d’Actiris. Les entreprises ont pourtant un rôle sociétal à jouer sur ce plan. ”

Il les invite d’autant plus volontiers à jouer ce rôle que le coût de formation est en réalité minime car la Région bruxelloise supporte une partie du coût du stagiaire (15.900 euros sur deux ans et demi). ” Ce service existe et les employeurs y contribuent à travers leurs impôts, il serait donc ridicule qu’ils ne l’utilisent pas, ironise Grégor Chapelle avec un brin de provocation assumée. Mon message aux employeurs est clair : donnez donc leur chance aux jeunes. ” En l’occurrence, on peut rêver de faire d’une pierre… trois coups. Le jeune retrouve un emploi, l’entreprise remplit les emplois vacants qui brident sa croissance et des travailleurs âgés peuvent plus facilement être maintenus en activité en évoluant vers des missions de mentorat auprès des stagiaires. En quelque sorte, ils transmettent leur savoir-faire.

L'économie belge souffre de trop de... postes vacants: le point

Actiris augmente par ailleurs ses places de formation et élargit les conditions de dispense (de contrôle dans le cadre de l’activation) pour inciter les jeunes à s’inscrire dans ces formations. Le taux de remise à l’emploi après l’une de ces formations est de 65 à 70 %, que l’on se trouve parmi les fonctions en pénurie ou pas. En Wallonie, le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR), avait un temps envisagé d’obliger les demandeurs d’emploi de longue durée à se former aux métiers en pénurie pour lesquels ils sont physiquement aptes. Le dispositif ne va finalement pas aussi loin et se contentera de primes incitatives pour ceux qui suivent ces formations. La prime ne sera évidemment versée qu’à l’issue de la formation et pour autant qu’elle ait été suivie avec fruits. Le Forem finalise actuellement une liste des métiers à cibler prioritairement dans ce cadre.

De l’enseignant au chauffeur routier

La Wallonie recense 80 métiers critiques, c’est-à-dire pour lesquels la satisfaction des offres d’emploi nécessite un temps anormalement long. Parfois, il existe une réserve de main-d’oeuvre potentielle mais celle-ci manque d’expérience, de qualification ou de brevets, selon les employeurs. Quand une telle réserve n’existe pas, le métier est alors dit en pénurie (47 actuellement). Bruxelles n’opère pas cette distinction entre fonctions critiques et en pénurie, et recense une centaine de métiers.

Les listes sont largement communes aux deux Régions avec des métiers dans l’industrie (ingénieur civil, technicien en électromécanique), la santé (pharmacien hospitalier, infirmier, technicien en imagerie médicale), l’éducation (enseignant, puéricultrice), l’informatique (analyste, expert IT security), la construction (conducteur de travaux, plombier, maçon, électricien), les services (traducteur, secrétaire commercial ou médical, employé administratif ou d’accueil, vendeur), l’alimentation (cuisinier, service en salle, boucher, boulanger) ou la logistique (chauffeur de camion).

Les WorldSkills cassent les préjugés envers les métiers techniques

Worldskills Belgium
Worldskills Belgium ” Un carreleur doit maîtriser la géométrie. “© PG

Une bachelière en droit qui choisit le métier de carreleuse, un brillant diplômé du secondaire général qui opte pour une formation de couvreur, une universitaire qui, finalement, préfère la cuisine… Francis Hourant, directeur de WorldSkills-Belgium, en connaît de belles histoires professionnelles. Des histoires de jeunes enthousiastes qui balaient les préjugés pour empoigner une carrière de travailleur manuel, notamment dans des métiers en pénurie. Mais reconnaissons-le, pareilles histoires demeurent l’exception. Les filières techniques restent largement des filières de relégation, fréquentées d’abord et avant tout par des élèves en échec dans le parcours général.

Les préjugés sont si profondément ancrés que dans certaines écoles, ” les professeurs de cours généraux et de cours techniques ne partagent pas la même salle des profs “, souligne Francis Hourant. Il espère que ” l’ouverture polytechnique ” du Pacte d’excellence pourra y remédier et aidera, par exemple, à apporter aussi une solide culture générale aux élèves de technique. ” Un bon tailleur de pierre, il faut qu’il ait eu des cours d’histoire de l’art et de lecture de plan, poursuit le directeur de WorldSkills. Un carreleur doit maîtriser la géométrie et un dessinateur industriel doit connaître l’anglais pour utiliser les logiciels. ” Au-delà des nécessités professionnelles, pourquoi un futur cuistot ou électricien ne pourrait-il pas avoir envie de lire et d’analyser en classe les mêmes romans que ses camarades du général ? Cela contribue aussi au dépassement des préjugés, y compris du côté des parents qui privilégient souvent l’enseignement général.

Les WorldSkills sont des compétitions internationales pour des jeunes praticiens de métiers techniques. Elles contribuent ainsi à mettre en valeur ces professions, parfois peu prisées par les jeunes. ” Nos candidats, ce sont des jeunes qui n’ont pas fait ce choix par défaut, insiste Francis Hourant. Ils ont parfois dû casser les préjugés de leurs amis ou de leurs parents. Ils sont attirés par le côté créatif et entrepreneurial du métier. Ils visent l’excellence et voient les perspectives devant eux. ” Chaque année, la Belgique envoie d’excellents candidats dans de nombreuses disciplines. Mais rarement dans les filières les plus technologiques. ” C’est un problème européen, constate le directeur de WorldSkills. Pour ces métiers dans l’IT ou la robotique, les pays émergents et l’Asie raflent les podiums. Nous sommes en retard dans la préparation au monde numérique. ”

Autre retard pointé, au niveau belge celui-là : la formation en alternance. Certes, on multiplie les voyages d’étude dans les pays germaniques, mais on peine à concrétiser les leçons chez nous. ” J’ai visité récemment le plus gros garage BMW suisse, confie notre interlocuteur. Il emploie 130 personnes quasiment toutes issues de la formation en alternance. Nous ne sommes pas encore mentalement dans cette logique. Les entreprises considèrent encore trop souvent cela comme un coût (rémunération, tuteurs, etc.) plutôt que comme un investissement. Pendant son stage, le jeune apprend son métier mais aussi la culture de l’entreprise. ” Il existe heureusement quelques beaux contre-exemples. Francis Hourant cite volontiers le cas de Safran qui, faute de mécaniciens en aéronautique, engage des ébénistes, des horlogers ou d’autres travailleurs formés aux techniques de précision (y compris dans l’automobile), auxquels l’entreprise inculque ensuite les bases des métiers de l’aéronautique. Elle forme elle-même sur le tas les profils qu’elle ne trouve pas spontanément sur le marché du travail.

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