Jusqu’où ira Amazon?

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A 20 ans, Amazon continue d’avancer tambour battant et n’est pas (encore) près de ralentir la cadence.

Dans le domaine de la haute technologie, les grandes histoires débutent toujours par “Il était une fois, dans un garage…”. Celle d’Amazon s’est démarquée d’emblée en commençant par un voyage. Eté 1994. Jeff Bezos quitte son emploi à Wall Street et s’envole avec sa femme MacKenzie pour Forth Worth (Texas) où ils louent une voiture. Alors que MacKenzie les conduit vers le nord-ouest du Pacifique, Jeff esquisse un projet de vente par correspondance exploitant un Internet encore à ses balbutiements. Le garage arrive plus tard, dans la banlieue de Seattle, où il installe un bureau avec des portes en bois en guise de tables de travail. Près d’un an plus tard, Amazon vend son premier livre.

Le monde découvre ainsi un site web qui vend des livres et se laisse à penser qu’Amazon est, et restera, une librairie en ligne. Cependant, Jeff nourrit dès le début de plus grands desseins. Les livres représentent un bon moyen de débuter sur le marché de la vente en ligne : une fois que les consommateurs savent comment acheter des livres, ils souhaiteront forcément faire de même avec de nombreux autres produits. Par ailleurs, le site pourrait recueillir bien plus de données que n’importe quel autre magasin sur les produits qui intéressent les consommateurs. De plus, si ces derniers font part de leur expérience avec tel ou tel produit, cela profitera aux autres clients du site. Jeff imagine ainsi un cercle vertueux dans lequel les prix bas attirent clients et commerçants, augmentant ainsi les volumes, ce qui réduit par conséquent encore les prix. En résumé, une sorte d’engrenage qui stimule la croissance à long terme tant que l’entreprise privilégie les intérêts des clients.

A l’origine, Jeff avait déposé le nom de domaine relentless.com (“d’une détermination sans faille”, en français) comme site potentiel. Si ce nom manquait un peu d’émotion, il reflétait bien l’ambition du projet.

Un téléphone pour faire des achats Cette ambition s’est une nouvelle fois confirmée le 18 juin dernier, à Seattle, avec le lancement du premier téléphone d’Amazon. Sur un marché envahi par des appareils sophistiqués, le Fire Phone se distingue de mille et une façons, notamment grâce à une sorte d’écran 3D. Mais aucune innovation n’est plus révélatrice que son bouton Firefly. Il exploite le cloud pour fournir aux utilisateurs des informations sur presque tout ce que le téléphone voit ou entend, qu’il s’agisse d’une chanson, d’une émission télé, d’une bouteille de vin ou d’un jouet… sans oublier la marche à suivre pour acheter le produit en question sur Amazon. S’il tient ses promesses, le monde entier se transformera en une vitrine de magasin.

Le Fire Phone occupe une place de choix dans une gamme d’appareils en pleine expansion qui marque l’intention d’Amazon d’anticiper l’évolution dans la façon de lire, d’acheter et de se divertir. Les tablettes analogues à l’iPad, les liseuses et un boîtier pour regarder des vidéos en direct sur un téléviseur ont permis à l’entreprise de rivaliser plus que jamais avec Apple et Google, qui proposent eux aussi à la fois matériel, contenu numérique et services. Amazon espère que ses arguments de vente, à savoir des caractéristiques et une qualité qui démentent les prix relativement bas, éveilleront l’intérêt de ses clients pour ces produits, comme ils l’ont fait pour les boutiques en ligne. Ils finiront donc encore une fois par y acheter d’autres produits. Le 13 août, Amazon est allé encore plus loin dans la diversification en officialisant Local Register, un service de paiement par le biais d’un lecteur de carte bancaire, destiné aux commerçants physiques. Local Register combine un lecteur et une application mobile. Au passage, Amazon prélèvera une commission de 1,75 à 2,5 %.

30 fois plus d’articles que Walmart D’après le magazine Internet Retailer, Amazon propose désormais 230 millions d’articles aux Etats-Unis, soit 30 fois plus que le géant de la vente au détail Walmart qui dispose d’ailleurs de son propre site de vente en ligne, lui aussi en pleine expansion. Et Amazon ne semble pas ralentir la cadence. En effet, la société a enregistré un chiffre d’affaires total de 74,5 milliards de dollars l’an dernier, mais si l’on tient compte des autres produits vendus par les entreprises par le biais de son service marketplace, le volume des ventes atteint presque le double. Même si Amazon figure déjà au rang de plus grand revendeur en ligne d’Amérique, il affiche encore une croissance plus rapide que la moyenne des 17 % recensée pour l’e-commerce dans son ensemble. Amazon occupe non seulement une position dominante en Europe et au Japon mais compte également se tailler une part du gâteau sur le vaste marché chinois. L’an dernier, elle se classait au neuvième rang des magnats de la vente au détail. Selon le groupe de recherches Kantar Retail, la société se hissera sur la deuxième marche d’ici 2018. Transformer les habitudes Outre sa réussite sur la toile, Amazon est également à l’origine de deux projets transformationnels. La liseuse Kindle a été l’une des pionnières de la transition du livre papier au livre électronique. Un nouveau marché a ainsi vu le jour, représentant désormais un dixième des achats de livres aux Etats-Unis, et sur lequel Amazon règne en maître incontesté. Moins visible, mais tout aussi révolutionnaire, le cloud computing, un service à la demande créé en 2006, pèse aujourd’hui 9 milliards de dollars. Amazon Web Services (AWS) a ainsi comprimé les frais technologiques, que ce soit lors du lancement d’une entreprise ou pour sa gestion.

Amazon profite également d’un avantage qui fait pâlir d’envie ses concurrents potentiels : des actionnaires remarquablement patients. L’entreprise a enregistré un bénéfice net de 274 millions de dollars l’année dernière, un chiffre dérisoire par rapport à ses revenus et à sa valeur boursière de 154 milliards de dollars. Même après la récente baisse de régime (voir l’infographie “Le grand divertissement”), ses actions valent toujours 500 fois le chiffre de l’an dernier, et sont 34 fois supérieures à celles de Walmart. Son activité principale doit se trouver juste au-dessus du seuil de rentabilité ; la plupart de ses bénéfices proviennent en effet de vendeurs indépendants qui profitent du fameux Amazon marketplace. D’ailleurs, le blogueur Matthew Yglesias a admirablement décrit Amazon comme une “organisation caritative gérée par des représentants de la communauté financière pour le bien des consommateurs”.

The Economist

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le magazine Trends-Tendances du 21 août.

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