Heris: “sans réduction fondamentale du coût salarial, il y aura d’autres Caterpillar”

Jean-François Heris, président de l’Union wallonne des entreprises tire la sonnette d’alarme : il faut d’urgence diminuer le coût du travail. Sinon d’autres fleurons industriels vont réduire leurs activités en Belgique et le pays n’attirera plus aucun investissement étranger.

Le fabricant d’engins de génie civil Caterpillar a annoncé, la semaine dernière, la suppression de 1.400 emplois, soit 40 % de ses effectifs à Gosselies. En cause : la récession en Europe, unique marché pour les véhicules produits sur le site belge et, surtout, une structure de coûts trop élevée, “sans doute la plus chère de tout le groupe”, selon Nicolas Polutnik, CEO de Caterpillar Belgium. Cette annonce, faite quelques semaines après la fermeture d’une grande partie de la phase à froid d’ArcelorMittal à Liège (et la disparition de 1.300 postes) a remis à l’avant-plan les problèmes de compétitivité de l’industrie wallonne. Le point avec Jean-François Heris, administrateur délégué d’AGC Glass Europe (ex-Glaverbel, qui emploie près de 2.000 personnes dans le sud du pays) et président de l’Union wallonne des entreprises.

TRENDS-TENDANCES. Aurait-on pu éviter de telles catastrophes sociales ?

JEAN-FRANÇOIS HERIS. Ce sont des entreprises qui exportent énormément – 97 % dans le cas de Caterpillar – et, pour exporter, il faut être compétitif. La compétitivité résulte de divers éléments tels que le positionnement stratégique, les produits et les services qui permettent de se différencier mais c’est aussi une question de coûts. Et en Belgique, un ouvrier coûte à son employeur 39 euros de l’heure. Soit 5 euros de plus qu’en France, 9 euros de plus qu’en Allemagne et 12 euros de plus que la moyenne de la zone euro.

D’autres industriels comme Jean-Pierre Clamadieu, le CEO de Solvay, estiment que le coût de l’énergie est encore plus pénalisant…

C’est vrai et on l’oublie trop souvent. Et on s’étonnera un jour si cet autre fleuron historique, grand consommateur d’électricité, s’engage dans une lourde restructuration en Belgique pour préserver sa compétitivité.

Ces problèmes ne sont pas neufs. Vous n’avez pas l’impression de prêcher dans le désert ?

En Belgique et en Wallonie, il y a une différence entre les discours et les actes. Tout le monde dit qu’il faut une politique industrielle comme aux Etats-Unis où il y a un vrai choc de compétitivité. Là-bas, la réindustrialisation n’est pas un mythe : 40 % de la croissance est venue de l’industrie en 2010 et 2011 alors que celle-ci ne représente que 12 % du PIB américain. Chez nous, que voit-on ? L’augmentation des tarifs de distribution d’électricité, dans sa première mouture, aurait coûté à AGC 2 millions d’euros de plus par an. Heureusement, le gouvernement wallon a écouté les industriels et a revu sa copie.

Le problème ne se situe-t-il pas au niveau européen où il n’y a pas de politique industrielle commune comme cela existe pour l’agriculture ?

Je suis un chaud partisan de la libre circulation des personnes et des biens, surtout dans une économie ouverte comme la nôtre, mais il ne faut pas être naïf. Evitons que l’Europe ne devienne une zone économique où tout le monde vient faire son marché. Protégeons nos activités industrielles, mais sans verser dans le protectionnisme.

Que peut-on faire concrètement pour protéger notre industrie ?

Il ne faut pas attendre la seule réponse de l’Europe. Agissons au niveau de la Belgique et de la Région pour diminuer fondamentalement le coût du travail. Comment ? En transférant les charges sur d’autres éléments de l’assiette fiscale que sur le travail. Et en faisant des économies au niveau du fonctionnement des services publics. Cette réforme fiscale doit avoir lieu de toute urgence sinon on aura d’autres Caterpillar. Il faut que quelque chose bouge d’ici six mois car après on se trouvera très vite en période pré-électorale.

Alléger le coût du travail, c’est l’une des priorités que s’est fixées le gouvernement wallon dans Horizon 2022…

Horizon 2022 va dans le bon sens. Il reprend d’ailleurs beaucoup de points du plan Ambitions 2020 de l’UWE. Mais un plan n’a jamais réglé les choses. A présent, il faut se mettre autour de la table. A l’UWE, nous sommes prêts à avoir une vision citoyenne de la fiscalité.

Ne faudrait-il pas lier les intérêts notionnels à la création d’emplois ?

Non. La vie d’une entreprise c’est d’engager et de désengager. Les bénéfices servent aussi aux investissements. Il faut une fiscalité juste mais sans ajouter de contraintes supplémentaires. Sinon comment attirer de nouveaux investisseurs étrangers ? Déjà qu’on est très mal placé au niveau du taux facial d’impôt des sociétés (33,99 %, l’un des plus élevés d’Europe) et du coût horaire salarial. Si on veut rester attractif, il serait plus clair et plus visible de ramener le taux d’impôt dans la moyenne européenne plutôt que de maintenir ce dédale d’exonérations fiscales et d’aides – il y en a 250 en Région wallonne ! – dans lesquelles les entreprises ne se retrouvent pas. Mais derrière tous ces subsides, il y a une administration et des personnes. C’est un problème politique.

Comment se porte ACG dans ce contexte de crise ?

Nous venons de racheter les parts de notre partenaire néerlandais dans la joint-venture que nous avions sur notre site de Moustier. Cela permet de sécuriser 150 emplois. Cela veut dire d’une part, que l’on croit en notre innovation, en la qualité de nos produits et de notre personnel et d’autre part, que je mise sur un sursaut du politique pour améliorer la compétitivité de notre économie. C’est la preuve aussi que des entreprises investissent encore dans l’industrie wallonne. Mais quand Caterpillar et ArcelorMittal annoncent ensemble 2.700 pertes d’emplois, c’est comme si 300 PME wallonnes fermaient d’un coup leurs portes étant donné que les effectifs moyens sont de neuf personnes par société en Wallonie. Il faut défendre les PME, c’est vrai, mais il ne faut pas négliger les intérêts des grandes entreprises car, outre leur rôle majeur en termes de R&D, elles servent de locomotive à l’international.

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