Grève : comment sanctionner les abus ?

© Image Globe/Michel Krakowski

Théoriquement, une grève abusive peut être interdite par les tribunaux. En pratique, les cas sont extrêmement rares. Pourquoi ?

Une dizaine de mécaniciens réclament une prime, et c’est l’ensemble de la machine des TEC liégeois qui se grippe pendant plusieurs jours. Une situation aberrante qui, chose exceptionnelle, a poussé le leader de la CSC Claude Rolin à prendre position en défaveur de l’action. “Cette grève est inappropriée”, a-t-il déclaré à nos confrères du Soir.

Quant à l’Union wallonne des entreprises, elle a qualifié ce mouvement d'”abus flagrant du droit de grève”. Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi la direction n’a-t-elle pas fait suspendre ces actions ? Pas si simple…

Jurisprudence “Mathilde”

Jean-Yves Verslype, avocat associé chez Claeys & Engels, est un spécialiste de la matière : “La théorie générale de l’abus de droit peut s’appliquer au droit de grève”, explique-t-il. En résumé, une grève ne peut créer des désagréments hors de proportion par rapport aux retombées positives espérées par les grévistes. Voilà pour la théorie. En pratique, force est de constater que les employeurs rechignent à utiliser l’arme judiciaire à l’encontre des grévistes. “Il n’y a qu’un seul précédent en Belgique, avance l’avocat. C’est la jurisprudence Mathilde.” Lors du mariage princier de Philippe et Mathilde, les cheminots annoncent une grève, que la direction veut faire interdire. Plusieurs arrondissements judiciaires donnent raison à la SNCB, estimant que les gains espérés par les grévistes sont dérisoires en regard des désagréments encourus par la population lors de cet événement d’envergure…

La preuve qu’il est possible de réagir à une menace de grève ! Pourtant, les employeurs hésitent à introduire des actions en justice, parce qu’ils auraient toutes les chances d’envenimer les relations sociales au sein de l’entreprise. Mais ils risqueraient aussi de se faire débouter, faute de texte légal entourant le droit de grève. Seules des conventions collectives de travail sectorielles réglementent la matière, sans fixer la moindre sanction en cas de non-respect de la procédure. “Il y a un vide juridique total en matière de droit de grève, indique l’avocat. On en abuse tous les jours et personne ne réagit.” Cette frilosité s’explique aussi par le fait que les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent pas s’immiscer dans la résolution des conflits collectifs. Ce qui leur offre la possibilité de se déclarer incompétents en cas de saisine par un employeur. Si l’on ajoute que les syndicats n’ont pas de personnalité juridique et qu’ils ne peuvent donc pas être assignés en responsabilité, le champ d’action se réduit fortement pour l’employeur.

Une des seules actions possibles est la constatation de voies de fait, comme les piquets de grève, qui peuvent être levés par décision de justice. Quant au licenciement de grévistes pour faute grave, il ne peut s’envisager que dans des cas extrêmes. “C’est arrivé pour des travailleurs qui ont lancé une grève alors qu’ils avaient obtenu satisfaction.” Il fallait oser…

Gilles Quoistiaux

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