Google, Amazon, Facebook… Pourquoi il n’y a pas de n°2 dans l’économie numérique

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Nous n’avons plus le choix ! La numérisation s’infiltre à tous les niveaux de la société. Jusqu’à nous imposer partout ses champions.

En décidant d’introduire en Bourse sa libraire en ligne voici 20 ans, Jeff Bezos n’imaginait sans doute pas qu’elle emporterait tout sur son passage pour devenir le numéro un mondial du commerce électronique et une star de Wall Street. Le 30 mai dernier, le cours de l’action Amazon a pourtant franchi pour la première fois de l’histoire la barre symbolique des 1.000 dollars, propulsant ainsi la capitalisation boursière du groupe autour de 477 milliards de dollars, soit plus du double de celle de Walmart, le numéro un mondial de la distribution, créé au début des années 1960 à Bentonville (Arkansas) par Sam Walton. Tout un symbole. Depuis le 1er janvier, le cours d’Amazon a progressé de 32 % ! Au passage, la plateforme a même doublé Alphabet, la maison mère de Google, dans la course au sommet des 1.000 dollars l’action. C’est que les investisseurs ne jurent plus que par le groupe de Seattle et rêvent déjà d’une action à 1.100 dollars, si pas plus d’ici la fin de l’année.

Amazon First

Cette fascination des marchés, Amazon la doit d’abord à sa persévérance et à une vision à très long terme de ce que sera la place du commerce électronique dans la société. Mais aussi à l’idée de multiplier ce que les spécialistes appellent les instant gratifications, c’est-à-dire nourrir l’appétit du ” tout tout de suite ” en supprimant tous les obstacles entre l’impulsion d’achat et la livraison, quel que soit l’objet ou le service. Bref, faire du volume en étant à tout moment et partout le meilleur par rapport à la concurrence.Un principe de fond qui en dit long sur notre société hyper-connectée, selon Jacques Attali. ” Dans toutes les dimensions de notre monde, et pas seulement sur les terrains de sport, il y a, en effet, de moins en moins de place pour qui que ce soit d’autre que le vainqueur “, écrit l’intellectuel français sur son blog dans un post intitulé L’important, c’est de gagner ! Et non plus, comme le disait Pierre de Coubertin, de participer. ” Dans la compétition économique, poursuit Jacques Attali, il est aujourd’hui établi que seule l’entreprise dominant un marché nouveau peut s’installer durablement et faire des profits. Quiconque n’a pas la plus importante part de la clientèle est étouffé par le vainqueur, comme le démontre l’échec des concurrents de Google, de Facebook ou d’Amazon. ”

Avoir accès aux meilleurs n’a sans doute jamais été autant synonyme de réussite sociale.

Top, ranking…

La petite librairie en ligne de Seattle est en effet devenue un champion mondial aux multiples facettes. Un mastodonte qui ne vend plus aujourd’hui seulement des livres, mais qui vend de tout, y compris des produits alimentaires frais. C’est aussi un prestataire de services informatiques qui a réussi à se tailler une place importante dans le cloud en commercialisant sa propre infrastructure, un groupe qui est aussi présent dans le streaming vidéo et qui produit ses propres séries télé, crée ses propres produits comme des tablettes, livre ses colis par drone, et qui est en train d’inventer le magasin sans caissière (Amazon GO).

Ceci dit, l’exemple d’Amazon n’est pas le seul à illustrer cette tendance de fond. Dans bien d’autres domaines, on ne s’intéresse plus qu’aux premiers de la classe qui occupent une position quasi monopolistique dans certaines parties du globe. Cette première place, tout le monde la veut. Car à l’ère du numérique, le consommateur devient toujours plus exigeant et revendique désormais un service sans faille (24 h sur 24 et sept jours sur sept). Chacun rêve d’être soigné par le meilleur médecin, d’inscrire ses enfants dans la meilleure école, d’avoir le dernier smartphone, d’être le premier à être au courant, etc. A vrai dire, avoir accès aux meilleurs n’a sans doute jamais été autant synonyme de réussite sociale. Résultat, les notes sont partout. A cause ou grâce au numérique, tout est quantifié, mesuré, noté. C’est l’avis du consommateur qui guide les catégories. Les étoiles ne sont plus l’apanage des guides gastronomiques : sur le Web, tout se recommande.

Google, Amazon, Facebook... Pourquoi il n'y a pas de n°2 dans l'économie numérique
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” If it’s not on Google, it doesn’t exist ”

Tout se recommande, en effet. Que ce soit quand vous prenez un taxi Uber ou quand vous réservez un hôtel sur Booking. com ou un appartement en passant par Airbnb, les notes sont partout. Vous évaluez un chauffeur et lui-même vous note. Vous notez non seulement la chambre mais aussi sa literie, la cuisine de l’hôtel et même son accueil. Deliveroo ? Pareil : l’expérience du repas livré à la maison est notée et commentée (délai de livraison, plat, etc.). Sur Twitter, c’est le nombre de followers qui fait office d’étalon de mesure. Il en faut beaucoup pour faire partie des happy few. Même chose avec Google : pourquoi choisir un moteur de recherche moins performant ? Comme l’a dit Jimmy Wales, un des fondateurs de Wikipédia : ” If it’s not on Google, it doesn’t exist “. Quant aux réseaux sociaux et autres messageries instantanées (Facebook, Snapchat, etc.), ils véhiculent aussi les messages les plus partagés ou les plus commentés par les internautes. Et au final, ce sont ceux-là qu’on retient en premier.

Les étoiles ne sont plus l’apanage des guides gastronomiques : sur le Web, tout se recommande.

Web people vs Wall people

On l’aura compris, la révolution digitale n’influence pas seulement notre économie. Elle imprime également notre mode de vie. ” Votre expérience de vie est définie par la façon dont les Apple et consorts vous ont imposé l’instantanéité, la réactivité, etc., nous confiait dans un précédent numéro Benoît Legrand, responsable de tout ce qui touche aux fintechs au sein du groupe ING. Vous contrôlez votre vie avec votre téléphone. Tout ce monde de simplicité et de transparence nous est imposé par les GAFA, dont nous sommes aujourd’hui tous des enfants. Vous attendez en effet la même chose de votre banque, de votre agence de voyage, etc. ” Pour illustrer cet impact social, le célèbre chroniqueur du New York Times, Thomas Friedman, y a consacré un article (très remarqué) où il fait la distinction entre les Web people et les Wall people. Selon lui, les Web people sont ceux qui se sentent parfaitement à l’aise dans cette nouvelle société numérique et ont confiance en l’avenir. A l’inverse, les Wall people ont peur de l’avenir et ne se sentent pas du tout à l’aise avec le changement radical de société qui s’opère sous leurs yeux. Ils veulent même s’en protéger en érigeant des murs. C’est Donald Trump, le Brexit et Marine Le Pen : le retour aux frontières nationales. Aux barrières.

The end ?

En conclusion, la révolution digitale que nous vivons actuellement nous plonge-t-elle dans un rêve merveilleux ou un horrible cauchemar ? Dans un récent petit carnet publié par la banque Degroof Petercam sous le titre L’économie digitale : rêve ou cauchemar ? , l’économiste vedette Bruno Colmant donne un élément de réponse intéressant : ” Pour appréhender le basculement sociétal inouï auquel nous allons être confrontés et, surtout, pour être prêts à le traverser, il faut effectuer un basculement mental géométrique. En effet, il convient d’abandonner l’image d’un monde vertical et de stocks (comme celui des bâtiments qui abritent nos entreprises) pour pénétrer dans un monde horizontal, c’est-à-dire un monde de flux. Dans cette logique d’horizontalité, les schémas de commerce vont être fracturés, dans le sens d’une désintermédiation. Cette nouvelle perception du monde demande un effort de versatilité et d’agilité, car nos schémas mentaux, qui sont essentiellement déductifs, doivent désormais apprendre l’induction.” Manière de dire que nous devons changer de logiciel avant que les robots ne le fassent pour nous. Un bon Ctrl + Alt + Delete, en somme.

Wall Street ne jure plus que par les “Faangtastic Five”

Parts de marché énormes, bénéfices hors normes, montagnes de cash : les actions des géants technologiques sont les plus plébiscitées du moment. Depuis le début de l’année, le cours des Faangtastic Fivecomme les appellent désormais lesbrokers(pour Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google) n’en finit plus de flamber à Wall Street, affichant des hausses entre 22 % (Google) et 32 % (Apple, Amazon) en passant par les 28 % pour Netflix. Résultat, le peloton de tête des plus grosses capitalisations boursières américaines n’est plus constitué que d’entreprises de la Silicon Valley : Apple (802 milliards de dollars), Alphabet (maison mère de Google, 678 milliards), Amazon (478 milliards) et Facebook (440 milliards). Soit au total plus de 2.400 milliards de dollars et plus que tout le poids boursier des entreprises qui composent le Dax allemand ou le CAC 40 français. Loin derrière cesFaangtastic Five, les Exxon Mobil (345 milliards) et autres Walmart (236 milliards) font quasiment figure d’anciennes gloires de l’économie du siècle passé.

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