Gand a trouvé le mode d’emploi pour transformer sa ville en méga-incubateur de start-up

Le Technologiepark de Zwijnaarde. On y trouve une grande concentration de biotechs et autres instituts de recherche. © VIB

Voilà que tout d’un coup la charmante petite ville de Gand, avec ses canaux et ses étudiants, se trouve peuplée d’une abondance de start-up florissantes, parfois célèbres jusqu’à l’étranger. Une coïncidence? Pas du tout, comme le montre le fait que ces entreprises se concentrent sur deux secteurs et sont nourries par un mix d’initiatives publiques et privées.

“Ça bouge à Gand. C’est d’ailleurs là que ça se passe pour les start-up pour l’instant. ” La rumeur courait dans les cercles d’entrepreneurs. Les chiffres viennent aujourd’hui le confirmer : les start-up gantoises ont levé, à elles seules, 78 millions d’euros en 2016, soit 24 % du capital levé en Belgique. Les noms aussi, sont parlants : les Gantois rappellent volontiers l’histoire de Teamleader, avec ses 130 employés, ou de Showpad, et ses millions de dollars levés aux Etats-Unis. Eh oui, les jeunes pousses, déjà, prennent le large : 17 % d’entre elles ont une ramification hors de Belgique, alors que la moyenne nationale est de 12 %… Mais quelles sont les raisons de ce succès ?

1. Une ville devenue entreprenante

Février 2017 : le bourgmestre Daniël Termont (sp.a), et Mathias De Clercq, l’échevin de l’entrepreneuriat (Open Vld) font une petite escapade jusqu’à Boston et New York, histoire de bien placer Gand et ses firmes technologiques sur la carte du monde. Un an plus tôt, ils étaient déjà partis avec le réseau d’entreprises flamandes Voka vers la Silicon Valley parce que ” Gand était déjà la ville des starters et des start-up, selon Mathias De Clercq. Notre volonté est de continuer à grandir et devenir aussi la ville des scale-up. ”

C’est vrai, les start-up sont logées à bonne enseigne à Gand, puisqu’il y a là des pôles de connaissance avec un goût prononcé pour l’entrepreneuriat. Ainsi, l’Université de Gand a été prompte à adopter le statut d'” étudiant-entrepreneur “. D’ailleurs, l’étudiant-entrepreneur de 2010, Jeroen De Witte, emploie aujourd’hui plus de 120 personnes avec Teamleader… D’autre part, imec (anciennement iMinds), une initiative de la Région flamande depuis 2004, capture l’innovation au sein des entreprises ou des universités et accompagne la naissance et la croissance des start-up, jusqu’à leur internationalisation. Une ligne de conduite : l’IT. Le budget annuel est de 40 millions d’euros (chiffre de 2014). De quoi changer la donne, surtout pour un secteur et dans une région si ciblés.

Mais imec fait déjà figure de vétéran, d’autant que ces dernières années, les incubateurs poussent comme des champignons : start it@ KBC a ouvert en 2015, The Birdhouse en 2016, Watt Factory en 2017… Même topo du côté des espaces de co-working : il y a Meet District, dans le pourtour du Ghelamco Arena, iCubes ou Co.Station Gand qui soufflera sa première bougie en juin 2017. Les communautés branchées start-up abondent également, comme Ghent Web Valley, Gent M, Open Knowledge Belgium, Gent BC, Ghentrepreneur, etc. Résultat : plusieurs investisseurs avec des liens plus ou moins proches avec l’Université ou imec, comme Volta Ventures, Baekeland, Ventures4Growth ou encore Qbic, ont établi leurs quartiers dans la ville.

On le voit, l’expédition du bourgmestre et de son échevin outre-Atlantique est bien en phase avec la réalité gantoise. Karen Boers, à la tête entre autres de startups.be, résume la situation : ” Aujourd’hui, les politiciens encouragent vraiment les start-up parce qu’ils ont réalisé leur importance, la valeur que cela apportait à la ville. ” Selon Toon Coppens, ” sp.a et Open VLD s’y mettent même ensemble pour encourager les start-up. Les politiciens se rendent compte qu’il faut une économie qui tourne pour supporter les valeurs qu’ils proposent “.

 Le réseau social fondé à Gand a atteint 100 millions d'utilisateurs en 2010. C'était le premier réseau social dans pas mal de pays d'Europe.
Le réseau social fondé à Gand a atteint 100 millions d’utilisateurs en 2010. C’était le premier réseau social dans pas mal de pays d’Europe.© PG

Toon Coppens est un des fondateurs de Netlog, le réseau social fondé à Gand qui a atteint 100 millions d’utilisateurs en 2010. C’était le premier réseau social dans pas mal de pays d’Europe. ” Avec Netlog, on a donné l’exemple d’une belle success story. Et on a besoin de ce genre d’histoires pour faire bouger les choses et les gens.Quand j’ai terminé mes études en 2004, plusieurs professeurs m’ont proposé de faire un doctorat. J’ai refusé : j’avais déjà une petite entreprise avec trois, quatre personnes… Mais autour de moi, on ne comprenait pas trop ça à l’époque. Le statut d’étudiant-entrepreneur ? Ça n’existait pas, on a dû faire un petit lobby pour ça !

2. La mafia Netlog en action

” Il existe aujourd’hui une infographie reprenant les différentes start-up lancées par des anciens de Netlog. Cette boîte a été un incubateur ultra-efficace, même si ce n’était pas son but. Certains anciens de Netlog se débrouillent vraiment bien “, raconte Klaas Bosteels, employé de la première heure chez Massive Media (Netlog et Twoo) et cofondateur de Trackuity, une de la trentaine d’entreprises lancées par les alumni de Massive Media. Pour rappel, l’une d’entre elles, Showpad a même levé 50 millions de dollars en 2016.

” En fait, la première équipe de Netlog a très bien tiré les leçons de l’expérience, explique Karen Boers. Ces gens ont appris à construire un produit, à se concentrer dessus. Ils ont un réseau. Surtout, ils ont acquis toute cette expérience très jeunes. Toon Coppens, par exemple, employait déjà des gens alors qu’il n’était lui-même qu’un étudiant. ”

78 millions d’euros, c’est le montant levé par les start-up gantoises en 2016, soit 24% de tout le capital levé en Belgique.

Toon Coppens se dit ” vraiment fier ” de ce qu’il a construit avec Netlog : “Netlog était incroyable à cause de l’ampleur que cela a pris, de la croissance que la boîte a connue. Les gens qui y ont travaillé ont appris à voir grand. Et ils ont gardé certaines habitudes de chez nous : une culture d’entreprise à la Silicon Valley, des lunches gratuits, des happy hours…”

Klaas Bosteels avait un avantage certain au fait de rester à Gand – ” puisque le réseau de Massive Media y est “. Mais ce n’est pas tout. L’Université de la ville représente, elle aussi, un sacré atout : ” attirer des profils avec la formation adéquate reste un challenge. Du coup, avoir l’unif à côté, c’est utile ! ”

Justement, ces oiseaux rares fraîchement sortis de l’Université de Gand aiment y rester : ” C’est joli, c’est vibrant. Et la vie nocturne y est juste bien “, note Toon Coppens qui a aussi choisi de lancer Realo depuis Gand.

” Trackuity est encore dans la phase start-up “, estime Klaas Bosteels. Mais, si la société devait croître, il lui faudrait sans doute aller voir ailleurs : ” Il n’y a pas vraiment beaucoup d’argent ici “, regrette le starter. Et c’est aussi ce que souligne Karen Boers : ” Lancer n’est pas un problème. Le défi, maintenant, c’est que ces jeunes entreprises deviennent aussi grandes que possibles. On vise un facteur de croissance de 10 : il faut concurrencer… le monde “.

3. Il n’y a pas que de l’IT à Gand : il y a aussi de la biotech

Bien avant l’ère d’Internet et du big data, Gand avait déjà quelques success stories à son actif, dans le domaine des biotechs. Une petite dizaine d’années avant l’arrivée d’iMinds/imec, l’Institut flamand pour la biotech (VIB) y a d’ailleurs ouvert ses portes. Mission : soutenir la recherche fondamentale et ses applications dans l’industrie, l’agriculture et la pharmacie. Entre 2007 et 2016, plus de 30 entreprises de recherche dans le domaine des sciences de la vie ont vu le jour autour de Gand. Les emplois liés à la biotech, dans des PME, sont passés de 1.900 à 2.300 dans le même laps de temps.

Mais si l’on remonte encore le temps davantage, on trouve des entrepreneurs pour ouvrir la voie : ” Dans les années 1980, trois professeurs ont innové avec succès dans le domaine des biotechs à Gand, ce qui a mené à la création de plusieurs entreprises comme Innogenetics et Plant Genetic Systems (PSG). Dans leur sillage, ils ont laissé des managers bien formés, qui ont marqué à leur tour le cluster d’entreprises autour d’eux “, raconte Pieter Rottiers, qui a terminé son doctorat dans les années 1990 à l’Université de Gand puis est allé rejoindre ActoGeniX, une spin-off du VIB et de l’Université de Gand, qui est ensuite devenue Intrexon ActoBiotics, au sein d’Intrexon, un groupe biotech américain.

Pieter Rottiers est resté aux commandes… à Gand, et ce n’est pas par hasard : ” avec le VIB, l’Université de Gand et les autres entreprises biotech, on y trouve un environnement idéal pour la recherche, le développement et les investissements. L’Université joue vraiment un très grand rôle ! Aussi, je dispose ici d’un excellent réservoir à talents scientifiques, techniques, managériaux. Et on a l’infrastructure, les bâtiments qu’il faut pour nous étendre. ”

Pieter Rottiers n’est pas le seul à l’avoir remarqué : autour de lui, à Zwijnaarde, dans le parc technologique de l’Université de Gand, il y a tout un cluster d’industries biotechs où les profils de pointe trouvent à s’employer et à se recycler. Entre-temps, la jeune génération est déjà dans les starting-blocks : lors des Biotech Days organisés par le VIB, des professionnels ne doivent pas aller trop loin pour expliquer les réalités du terrain aux étudiants.

Par-dessus le marché, Gand est une ville attirante – de l’avis de Pieter Rottiers en tout cas : ni trop petite, ni trop grande, ” l’offre d’hôtels et de restaurants est de qualité “. Les expatriés peuvent y trouver un certain charme et leurs employeurs, leur compte : ” la Belgique est leader pour les phases 1 des tests cliniques ; aussi, on a le taux de taxation le plus bas d’Europe sur les brevets d’invention. ” Ces acteurs internationaux viennent donc renforcer, en talents et en dynamisme, l’écosystème gantois.

 L'endroit offre notamment un excellent réservoir à talents scientifiques, techniques, managériaux.
L’endroit offre notamment un excellent réservoir à talents scientifiques, techniques, managériaux.© PG

Mais si ses entreprises veulent croître, il leur faudra peut-être aller voir ailleurs : ” le gouvernement soutient fortement les entreprises à leurs débuts et en milieu de parcours, c’est essentiel dans un secteur comme le nôtre. Mais, au-delà, on a besoin d’investisseurs à capital risque. Nous avons de quoi les intéresser “, recommande Pieter Rottiers.

Gand, et au-delà ?

Biotech ou IT, même combat finalement, à quelques années d’intervalle : des entrepreneurs ont marqué les esprits avec leurs success stories. Ils sont restés à Gand entre autres parce qu’ils ont trouvé à recruter parmi les étudiants fraîchement émoulus de l’université. Les pouvoirs publics – municipaux et régionaux – ont vu qu’il était de leur intérêt d’encourager ces success stories. Et le soutien public s’est concentré, dans la durée, sur ces secteurs qui s’étaient prouvés prometteurs : le VIB, depuis 1996, sur les sciences de la vie ou encore iMinds (imec) depuis 2004 se concentre sur l’IT. La floraison d’incubateurs et l’effet réseau que l’on voit aujourd’hui n’est finalement que la partie fraîchement émergée de l’iceberg.

Pieter Rottiers peut-il imaginer le même dénouement ailleurs qu’à Gand ? Oui : “C’est une question d’initiatives, et d’avoir les infrastructures nécessaires. Mais avec des universités comme l’UCL ou l’ULB, le recrutement de talents ne devrait pas poser trop de problèmes”.

Karen Boers opine : ” les villes wallonnes ont certainement du potentiel. Autour de Louvain-la-Neuve, ça bouge pas mal. Liège également, Charleroi aussi mais tout ça prend du temps : il faut certainement une décennie. Gand n’en est pas arrivé là du jour au lendemain. ” La ville a pris son temps et a ciblé ses efforts… On dirait bien qu’elle en savoure les fruits maintenant !

Par Sibylle Greindl.

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