Faut-il échanger sa voiture de société contre du cash ?

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Le gouvernement envisage de proposer une augmentation de salaire net pour inciter les détenteurs de voitures de société à abandonner cet avantage. Mais les montants évoqués jusqu’ici risquent d’être insuffisants. Ou de siphonner la base taxable.

Abandonner la voiture de société ? Les utilisateurs doivent avoir de bonnes raisons pour le faire, car le statut fiscal de ce véhicule en fait un élément de choix dans le package salarial. SD Worx a calculé que refuser une VW Golf au prix catalogue de 26.890 euros ne représente, converti en salaire net, qu’une somme de 1.498,16 euros par an, soit 125 euros par mois. C’est le résultat de la transformation des frais de leasing annuel en revenu net.

Or le gouvernement aimerait bien mettre en place à l’attention des entreprises un budget mobilité, où les bénéficiaires d’une voiture de société pourraient panacher les moyens de transports, avec une voiture plus petite et un abonnement de train, par exemple. Ou carrément, et c’est le sujet qui fait parler tout le monde, abandonner la voiture d’entreprise contre une hausse de salaire net, une sorte d’incitant. Il est déjà en principe possible de convertir une voiture en salaire, mais le net, de 125 euros par mois dans le cas de la VW Golf, n’est pas particulièrement attractif. Le gouvernement réfléchit donc à gonfler cette somme.

Budget mobilité. Le gouvernement aimerait bien mettre en place à l'attention des entreprises un budget mobilité, où les bénéficiaires d'une voiture de société pourraient panacher les moyens de transports.
Budget mobilité. Le gouvernement aimerait bien mettre en place à l’attention des entreprises un budget mobilité, où les bénéficiaires d’une voiture de société pourraient panacher les moyens de transports.© BELGA IMAGE

Ce projet est la conséquence des critiques multiples visant les voitures de société mais aussi les embouteillages. Dans un passé pas encore si lointain, ces véhicules étaient principalement attribués à des travailleurs qui devaient multiplier les déplacements pour visiter des clients, comme les représentants et les profils commerciaux. Aujourd’hui, des voitures de société sont fréquemment attribuées à des salariés qui les utilisent principalement pour se rendre au travail et pour d’autres déplacements privés. Au point de les qualifier parfois de ” voitures salaires “. De même, de nombreux dirigeants de PME achètent leur voiture par le biais de leur société. En raison du traitement fiscal avantageux des voitures de société, il est plus intéressant pour les employeurs d’attribuer une voiture de société qu’une augmentation.

Qu’est-ce qui va changer ?

Pas moins de cinq ministres – de l’Emploi, des Affaires sociales, des Finances, de la Mobilité et des PME – établiront d’ici avril 2017 un cadre dans lequel les salariés et dirigeants d’entreprise qui disposent d’une voiture de société, avec ou sans carte essence, pourront choisir de convertir leur voiture de société en un budget de mobilité ou en salaire net supplémentaire. L’objectif est que le traitement fiscal et parafiscal – notamment en matière de cotisations sociales – du budget mobilité ou du salaire net supplémentaire soit identique à celui de la voiture de société.

La mesure destinée à réduire le nombre de voitures de société doit donc être budgétairement neutre pour les pouvoirs publics, pour l’employeur individuel et pour le travailleur individuel. Des mesures pourront être prévues pour éviter les abus. Ce système ne change rien au régime fiscal actuel de la voiture de société, ni dans le chef de l’employeur, ni dans le chef du travailleur. Simultanément, une taxe forfaitaire sur les cartes essence sera instaurée au sein de l’impôt des sociétés et de l’impôt des personnes morales. Ce sera donc l’employeur/la société qui devra la supporter. Les recettes sont estimées à 100 millions d’euros.

L’épineuse compensation : de 300 à 600 euros par mois ?

Egbert Lachaert, parlementaire Open VLD. Sa proposition part d'un calcul où l'on soustrairait au coup annuel du leasing la taxation de l'avantage en nature.
Egbert Lachaert, parlementaire Open VLD. Sa proposition part d’un calcul où l’on soustrairait au coup annuel du leasing la taxation de l’avantage en nature.© BELGA IMAGE

La manière dont se déroulera la conversion de la voiture de société en un budget mobilité ou un salaire net n’est pas encore claire à ce jour. Selon une proposition du parlementaire Open Vld Egbert Lachaert, le travailleur se verrait verser un montant net égal aux frais de leasing moins l’impôt sur l’avantage en nature. Ce qui devrait rapporter rapidement plus de 300 euros nets par mois aux travailleurs qui abandonneront leur voiture de société (lire l’encadré ” Des montants encore insuffisants “). Pour éviter les abus, on envisage de ne laisser le choix qu’aux travailleurs qui roulent depuis minimum un an avec une voiture de société. Rien n’est prévu pour les travailleurs qui n’en ont pas.

Toute la question est d’arriver à une offre suffisamment attractive pour abandonner la voiture de société. Les 125 euros de salaire net mensuel en plus pour l’abandon d’une VW Golf (ou 200 euros pour une BMW 318d) sont insuffisants. ” Si vous échangez votre voiture de société contre un salaire net à coût identique pour l’employeur, vous percevez un montant net qui n’est plus en rapport avec la valeur de la voiture, explique Veerle Michiels, conseiller juridique chez SD Worx. Un travailleur n’a donc aucun avantage à abandonner la voiture de société. C’est pourquoi nous plaidons pour un budget mobilité que le travailleur pourrait dépenser à sa guise dans un large assortiment de solutions de transport proposées par l’employeur : comme un vélo électrique, une voiture partagée, des transports en commun, une voiture de société, etc. Comme le travailleur peut composer lui-même sa palette de mobilité dans le budget établi, un tel système crée une plus-value pour ce dernier sans coût supplémentaire pour l’employeur. ”

Le vice-Premier ministre Didier Reynders avait parlé d’un supplément moyen de 450 euros pour le salaire net, d’autres ont affiné en avançant une fourchette de 300 à 600 euros, selon la valeur de la voiture. Des montants jugés généralement insuffisants pour être des incitants efficaces susceptibles de toucher beaucoup de monde.

Une imposition fiscale stable

Ce projet de budget de mobilité ne change rien, en soi, à la fiscalité de la voiture de société. Un salarié ou un dirigeant d’entreprise qui utilise gratuitement sa voiture de société pour ses déplacements privés est imposé sur un ” avantage en nature “. Par ” déplacements privés “, le fisc entend non seulement l’utilisation du véhicule durant le week-end, pendant les vacances, ou le temps libre… mais aussi les déplacements domicile-lieu de travail. Attention : les déplacements domicile-lieu de travail impliquent que la voiture de société est utilisée pour des déplacements entre le domicile et le lieu fixe de travail. Un dirigeant d’entreprise qui travaille depuis son domicile n’a pas de déplacements domicile-lieu de travail. S’il peut prouver qu’il dispose d’une autre voiture pour effectuer ses véritables déplacements privés, il ne sera pas imposé sur un avantage en nature. L’utilisation privée d’une voiture de société n’est pas présumée. Le fisc doit donc prouver qu’un travailleur/dirigeant d’entreprise utilise effectivement sa voiture de société à titre privé. Mais s’il y parvient, un seul kilomètre de déplacement privé suffit pour justifier une imposabilité totale.

La formule de calcul

Faut-il échanger sa voiture de société contre du cash ?
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Depuis 2012, l’avantage imposable lié à l’utilisation privée est déterminé en fonction de trois paramètres : la valeur catalogue, l’âge et les émissions de CO2 de la voiture de société. L’avantage est donc déterminé chaque année de manière forfaitaire, indépendamment du nombre de kilomètres effectivement parcourus à titre privé, par l’application de la formule : valeur catalogue de la voiture x pourcentage d’âge x 6/7 x pourcentage CO2. Divers sites web effectuent ce calcul pour vous, il suffit de taper dans Google ” calcul ATN ” (ATN = avantage de toute nature).

La valeur catalogue est le prix du véhicule vendu à l’état neuf, à un particulier, y compris les options et la TVA réellement payée, sans tenir compte des remises, réductions et ristournes.

Pour chaque année d’immatriculation de la voiture, la valeur catalogue peut être réduite d’un pourcentage d’âge de 6 %, plafonné à 30 %. Par conséquent, dès qu’une voiture de société a été immatriculée depuis plus de 60 mois – ou cinq ans -, l’avantage en nature est calculé sur 70 % de la valeur à neuf. Ce pourcentage ne baisse plus si la même voiture de société est utilisée durant plus de cinq ans.

Les émissions de CO2 par kilomètre figurent sur le certificat d’immatriculation du véhicule auprès de la DIV. Si aucune donnée n’est connue de la DIV, les émissions de CO2 sont réputées être égales à 195 g par kilomètre pour un véhicule diesel et 205 g par kilomètre dans les autres cas. L’avantage en nature ainsi établi ne peut jamais être inférieur à 1.260 euros par an – montant valable pour l’année de revenus 2016 – y compris donc pour les voitures électriques qui n’émettent pas de CO2. Si le salarié/dirigeant d’entreprise paie une contribution personnelle – comme un montant fixe par kilomètre ou un montant forfaitaire sur base mensuelle ou annuelle – pour l’utilisation privée de la voiture de société, celle-ci peut être déduite de l’avantage imposable. Si le travailleur/dirigeant d’entreprise reçoit également une carte essence de son employeur/ de sa société, l’avantage imposable en nature n’est pas majoré.

Notons que les pouvoirs publics peuvent modifier les données de calculs, et le font généralement tous les ans. Pour éviter que la baisse des émissions de CO2 des voitures n’entraîne une baisse des recettes fiscales.

Et pour l’employeur ?

De même, aucune modification ne sera apportée à la déduction fiscale des frais liés à la voiture de société dans le chef de l’employeur/de la société, hormis la taxation de la carte de carburant annoncée. Les frais de carburant sont déductibles à 75 % (25 % ne sont donc pas déductibles). Les frais propres à la voiture de société – comme les frais de leasing – sont déductibles en fonction des émissions de CO2 et du type de carburant de la voiture. Les frais d’une voiture diesel qui émet 110 g de CO2 sont par exemple déductibles à 80 % (20 % sont donc non déductibles). L’employeur/société doit ajouter 17 % de l’avantage imposable dans le chef du salarié/dirigeant d’entreprise – l’avantage brut moins l’éventuelle contribution personnelle – à son bénéfice imposable. Ces 17 % de l’avantage imposable seront donc en principe soumis à 33,99 % d’impôt des sociétés.

Un risque d’érosion de la base taxable

EMMANUEL DEGRÈVE, DIRECTEUR DU BUREAU DE CONSEL DEG & PARTNERS:
EMMANUEL DEGRÈVE, DIRECTEUR DU BUREAU DE CONSEL DEG & PARTNERS: “C’est vrai qu’il s’agit une opération délicate, il y a un risque d’effet d’aubaine, un peu comme avec les intérêts notionnels, et de destruction de la base taxable.”© ISOPIX

Je connais la mesure, nous l’avions proposée en 2009″, déclare Emmanuel Degrève, directeur du bureau de conseil Deg & Partners et qui était chef de cabinet de Bernard Clerfayt (DeFI, ex-FDF), lorsqu’il était secrétaire d’Etat aux Finances. “Nous avons proposé une formule appelée ‘écoproximité’, qui prévoyait la faculté d’obtenir une augmentation du salaire net en échange de l’abandon de la voiture de société. L’idée a été abandonnée sous l’opposition du PS et du CD&V, qui craignaient une érosion de la base fiscale”, se souvient-il.

“C’est vrai qu’il s’agit d’une opération délicate, il y a un risque d’effet d’aubaine, un peu comme avec les intérêts notionnels, et de destruction de la base taxable. Aujourd’hui, une des réponses, pour éviter des pertes fiscales, est de réserver ce dispositif à ceux qui bénéficient déjà d’une voiture de société, mais c’est un peu farfelu. D’autant qu’il n’est pas certain que les candidats vont abandonner totalement la voiture. Une enquête menée à Anvers indique que 80 % des personnes intéressées comptent acheter une voiture à titre personnel. Dans ce contexte, les 300 ou 500 euros mensuels ne suffiront pas. Mais il est délicat d’aller plus haut. Je crains aussi qu’on ne se lance dans un dispositif complexe, avec des tas de conditions, ce qui signifierait des contrôles, de l’administration supplémentaire…”

“Je me demande si ce ne serait pas plus efficace de freiner l’adhésion à la voiture de société en étudiant un budget mobilité pour ceux qui n’en ont pas, continue Emmanuel Degrève. Pour encourager l’usage de transports alternatifs, mais il y a aussi un risque d’érosion de la base taxable à maîtriser, car les budgets mobilité deviendront une manière d’augmenter un salarié.”

L’employeur/société ne doit pas payer de cotisations sociales ordinaires sur l’avantage en nature imposable, mais une cotisation de solidarité sociale forfaitaire mensuelle calculée selon les émissions de CO2 et le type de carburant de la voiture de société, avec un minimum de 25,55 euros par mois. Pour une voiture diesel dont les émissions de CO2 sont évaluées à 110 g, cela revient à 39,87 euros par mois ou 478,44 euros par an. Ce montant peut cependant être déduit du bénéfice imposable.

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