Eurostar s’offre un coup de jeune

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Près de 23 ans après son lancement, le train transmanche cherche un nouveau souffle. Il modernise ses rames et va ouvrir une liaison Amsterdam-Londres, via Bruxelles. Objectif : grimper au-dessus des 10 millions de passagers. Et redevenir rentable.

Les trains Eurostar se sont sérieusement modernisés depuis le 28 mai, avec la mise en service de nouvelles rames sur Bruxelles-Londres. Intérieurs clairs, espace pour les passagers, wi-fi gratuit et même infotainment comme dans les avions (films, etc.) : le changement est très marqué. Un rafraîchissement qui est le bienvenu, l’aménagement des rames commençant à dater.

” Nous fonctionnons depuis 23 ans, ces nouveaux trains font partie du renouvellement des actifs que nous organisons pour les 20 années à venir “, explique Nicolas Petrovic, CEO de la société Eurostar International Limited (Londres). Les 17 nouvelles rames commandées, dont la livraison s’étale jusqu’en 2018, forment l’élément principal de l’investissement de 1 milliard de livres (1,15 milliard d’euros) consenti pour moderniser l’offre. Eurostar, fililale du groupe SNCF (1), a également lancé la rénovation d’anciennes rames, construites par Alstom, et refait ses installations dans les gares, comme le contrôle de sécurité à Bruxelles-Midi notamment.

Malgré une année 2016 difficile

Eurostar s'offre un coup de jeune
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Ces innovations interviennent malgré le coup de mou qu’a connu Eurostar l’an dernier, avec une érosion de la fréquentation de 10,4 à 10 millions de passagers, due aux attentats en France et en Belgique. ” Nous avions surtout perdu la clientèle américaine, chinoise ou encore japonaise, continue Nicolas Petrovic. Depuis le début de l’année, celle-ci revient. Sur le long terme, je suis confiant, le tourisme est à la hausse. ” Le CEO estime que le Brexit ne devrait pas freiner la demande de voyages.

Eurostar International Ltd a dû absorber le trou d’air : recul du chiffre d’affaires de 847,5 à 794 millions de livres entre 2015 et 2016, et une perte opérationnelle de 25 millions de livres l’an dernier. Il a fallu prendre des mesures d’économie, notamment la suppression temporaire de certaines fréquences sur Bruxelles. Hors les crises, la rentabilité de ce service non subsidié peut néanmoins être confortable : en 2012 et 2013, le bénéfice net était en effet de 60 et 93 millions de livres. Car le train est le moyen plébiscité quand il s’agit de se rendre à Londres (80 % des part de marché sur Bruxelles-Londres et Paris-Londres), et la concurrence ferroviaire est inexistante. Autant d’éléments qui permettent de tenir des tarifs confortables pour la société : 91 euros de ticket moyen par trajet l’an dernier, soit 182 euros l’aller-retour.

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Un renouvellement anticipé

Eurostar s’est montré audacieuse avec les nouvelles rames. La société a commandé 17 trains à Siemens (12 circulent actuellement), en prenant de l’avance sur le cycle de renouvellement dans le secteur – où un train est exploité entre 30 et 40 ans en moyenne. Eurostar a donc anticipé sa décision de sept ans minimum, pour au moins deux raisons. Un : Deutsche Bahn avait, vers 2010, promis d’ouvrir un service Francfort-Londres et Amsterdam-Londres, via Bruxelles, pour 2013, avec des nouvelles rames Siemens – projet qui a ensuite été reporté indéfiniment. Mais aussi parce qu’Eurostar ne pouvait desservir de nouveaux pays faute de matériel adapté.

” Le nouveau train permet d’ouvrir des marchés comme celui des Pays-Bas par exemple, continue Nicolas Petrovic. Avec le matériel existant, il aurait fallu faire des adaptations compliquées. Autre avantage : les nouvelles rames proposent plus de sièges – 900 au lieu de 750, et sont plus fiables et faciles à entretenir. ” Le service sera assuré, en vitesse de croisière, avant tout par les 17 nouvelles rames, avec, en complément, quelques rames anciennes rénovées, peut-être huit.

Quant aux passagers, ils profiteront de nouveaux services dans les nouveaux trains, comme le wi-fi tant attendu. Les performances demeurent toutefois modestes : 0,5 à 0,6 Mb/seconde en classe Standard, trois fois plus en Business Premier, soit de quoi échanger des e-mails, mais pas d’aller sur Netflix. Le dispositif va chercher Internet sur les réseaux mobiles GSM (Orange en France et en Belgique) et fonctionne dans l’Eurotunnel.

Un service vers Amsterdam en 2018

L’extension vers Amsterdam est prévue dans les mois à venir. Le train passera par Bruxelles-Midi. Un voyage inaugural est programmé pour décembre, et une mise en service commerciale interviendra début 2018. Objectif : deux trains quotidiens pour le printemps 2018. Eurostar reste discret sur le marché escompté. Les Néerlandais aiment Londres, qui est quasi uniquement couvert par l’avion, à hauteur de 3 millions de passagers par an. Si l’on prend la part prise par Eurostar sur Bruxelles-Londres, soit plus de 80 %, cela donne un marché théorique, à long terme, de 2,4 millions de passagers par an. Toutefois le potentiel est sans doute un peu moindre, sachant que le gain de temps de l’Eurostar Amsterdam-Londres par rapport à l’avion est moins important qu’au départ de Bruxelles ou encore Paris. ” Je ne donne pas de prévision chiffrée, on verra ça d’ici un an, avance prudemment Nicolas Petrovic. C’est pour nous un engagement à long terme, comme pour Bruxelles, on doit laisser le temps aux gens de s’habituer. On ne va pas venir pendant un an puis arrêter. ”

L’ouverture d’une nouvelle ligne pour Eurostar est bien plus complexe que pour Thalys. Il s’agit en effet de gérer des rames plus grandes, plus difficiles à remplir et de mettre en place une sécurité nettement plus lourde, imposée par le passage dans le tunnel sous la Manche. Les rames Thalys, de 377 places, offrent une plus grande souplesse commerciale : elles roulent seules ou couplées (744 sièges), selon la demande, alors que la rame Eurostar e320 contient 900 places. Ce qui représente 3.600 places par jour ou encore 1,3 million par mois si l’on tient compte d’un service de deux trains aller-retour par jour.

Concurrencer le Thalys

Nicolas Petrovic, CEO de la société Eurostar International Limited
Nicolas Petrovic, CEO de la société Eurostar International Limited

Eurostar a fait preuve d’imagination pour remplir au mieux ces rames Amsterdam-Londres dès le démarrage. Les sièges non vendus entre les Pays-Bas et Londres pourront être commercialisés pour Bruxelles-Londres. Eurostar annonce même des tickets Bruxelles-Amsterdam, en concurrence avec Thalys (une autre filiale de la SNCF). Si la demande néerlandaise grimpe vite, il sera toujours temps d’ajouter de nouvelles fréquences.

A noter cependant que les trains n’accepteront pas de passagers dans toutes les gares où il passe. L’Eurostar prendra ainsi des passagers à Amsterdam et Rotterdam, pas à Schiphol (aéroport) ni Anvers, où il passera pourtant. En cause : l’investissement nécessaire aux dispositifs de sécurité dans les gares où le train prend des passagers. Côté bagages, ils devront subir un contrôle de type aéroport, ce qui implique que les gares doivent être équipées en zone de sécurité, en matériel de détection et dotées de personnel ad hoc, y compris des représentants de la police des frontières britannique. Les trains eux-mêmes doivent être confinés dans des zones inaccessibles aux passagers non contrôlés, entourées de grillages ou de vitres.

Mais toutes ces lourdeurs ont au moins un avantage pour l’Eurostar : elles découragent la concurrence. Dans l’aérien, quelques mois, voire quelques semaines suffisent pour lancer de nouvelles liaisons. Pour les trains passant par le tunnel sous la Manche, il faut bien cinq à 10 ans pour fabriquer, tester, certifier des rames, avant de les mettre en exploitation. Personne ne s’y est encore concrètement risqué. L’Eurostar devrait ainsi bénéficier de nombreuses années sans concurrence directe.

(1) La SNCF est l’actionnnaire de contrôle d’Eurostar International Limited, avec 55 % des parts. La SNCB en possède 5 %. Le solde est détenu par des investisseurs : la Caisse de dépôt et placement du Québec (30%) et Hermès (10%).

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