Paul Vacca

Et si Netflix était un château de cartes ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Drôle d’âge d’or pour l’amateur de séries. Jamais il n’aura eu à sa disposition autant de merveilleuses séries… qu’il ne pourra pas voir. Devant cette profusion d’offre tous azimuts et tous écrans – streaming, câble, DVD, chaînes classiques – pas étonnant que l’on assiste à l’émergence du visionnage rapide.

Car certains afin d’assouvir leur passion se voient contraints d’accélérer le visionnage une et demie voire deux fois, permettant arithmétiquement d’avaler une fois et demie ou deux fois plus de séries. Nécessité fait loi : le sériephile devient sériephage

En première ligne de cette surproduction, il y a bien sûr Netflix. Engagée dans une course à l’armement, elle investit des sommes pharaoniques dans de nouveaux contenus. Et à chaque nouvelle série ou saison, comme récemment avec Stranger Things 2, elle engrange de nouveaux abonnés qui font monter son cours de Bourse lui permettant en retour de financer l’investissement de nouveaux contenus pour partir à la chasse de nouveaux abonnés. Un cercle vertueux pour Netflix qui a dépassé les 100 millions d’abonnés dans le monde dans 190 pays. Et qui, vu sous un autre angle, pourrait ressembler à une bulle. Et dans le cas de Netflix à trois bulles.

Bulle financière d’abord, car l’objectif de la surproduction de Netflix vise à ubériser le marché. Or on assiste plutôt à une balkanisation. Si Netflix – aidé par Amazon, Hulu et les autres acteurs du streaming – a réussi à assécher le marché du câble en proposant des prix d’appel 10 fois moins chers, il n’y a pas eu pour autant d’effet de hold-up sur le marché. Pas de winner takes all. Au contraire, Disney a dernièrement décidé de retirer ses contenus de Netflix le privant non seulement des productions siglées Disney ou Pixar mais aussi de toutes les franchises de Marvel et de ses super-héros pour proposer sa propre offre. Du coup, c’est une opération à somme nulle pour le consommateur qui auparavant souscrivait un abonnement au câble à 100 dollars – un bouquet – alors qu’aujourd’hui il se voit obligé de cumuler 10 abonnements à 10 dollars pour couvrir le spectre de ses désirs. Netflix, comme Uber, a réussi à déstabiliser le marché mais sans parvenir à le faire à son avantage.

Netflix, comme Uber, a réussi à déstabiliser le marché mais sans parvenir à le faire à son avantage.

Une bulle créative menace également. Car en produisant et en diffusant directement la saison entière d’une série – ouvrant à la pratique du binge-watching – au lieu de la distiller épisode après épisode au fil des semaines, Netflix a révolutionné le mode d’écriture même des séries en créant un nouvel objet culturel : la stream-série. Affranchie de tous les passages obligés et carcans structurants tels que les twists et les cliffhangers pour retenir le spectateur en haleine jusqu’à la semaine suivante. Même le fameux ” Previously on… ” n’a plus sa raison d’être. On peut aussi y voir un processus de désérialisation de la série. A la pulsion rythmique des séries à l’ancienne, la stream-série substitue une forme d’addiction arythmique. Une plongée en apnée dans un long film de six heures… Un état d’apesanteur, une bulle créative qui peut par miracle ouvrir au sublime mais également exploser sous l’effet du “je-m’en-foutisme” narratif. Et se libérer des codes peut conduire à se libérer des spectateurs. C’est ce qui s’est passé visiblement avec Sense8, la sériedes Wachowski qui a exploré toutes les libertés jusqu’à se heurter à celle de Netflix d’arrêter la série…

Une troisième bulle menace enfin : la bulle sociale. Car l’effet de pléthore amplifié par la pression des réseaux sociaux pourrait bien produire un effet pervers : celui de frustration. L’addiction repose avant tout sur une gestion subtile du manque. Ni trop peu – comme ce fut le cas pour certaines séries françaises qui espaçaient trop leur différentes saison faisant décrocher les spectateurs – ni trop. Or aujourd’hui le manque a disparu et c’est l’overdose qui guette. Et avec elle, le rejet des séries. Motivé par un calcul simple : ne pas entrer dans une série, c’est s’offrir six heures de vie supplémentaires… Au plaisir d’entrer dans une série, on préfère la joie de ne pas y céder. C’est pourquoi certains ironisent sur le fait que Netflix qui a débuté la guerre des séries avec House of Cards pourrait finir par le devenir, ce château de cartes.

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