Et si l’avenir du vin était sur le Net ?

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Les Belges font partie des plus gros consommateurs de vin en Europe. Pariant sur la poussée des achats sur Internet, des cavistes d’un nouveau genre proposent leur sélection de bouteilles en ligne. Ils ont chacun leur propre “business model”. Découverte.

“Le Belge boit beaucoup”. C’est avec une satisfaction évidente que Charly Azoulay, patron d’Exclusive Wine Company, énonce ce constat. Sa société, une PME familiale basée à Uccle et active dans le vin depuis 20 ans, espère continuer à se tailler une (modeste) part du gâteau, estimé à 2,4 millions d’hectolitres de pinard consommés annuellement en Belgique. Pour résister à la grande distribution, qui réalise plus de 90 % des ventes aux particuliers ( voir graphique “Ventes de vin sur le marché belge”), ce marchand de vin a décidé de se lancer dans l’e-commerce. Son site internet, ouvert en février dernier, ne lui rapporte actuellement que 5 % de son chiffre d’affaires. Mais il espère atteindre rapidement 25 à 30 %. “C’est devenu une présence obligatoire, complémentaire à mon activité classique de dégustation et de participation à des salons, explique Charly Azoulay. Vu les frais engagés, il me faudra un an pour en faire un site rentable.” Le développement de la plateforme web a coûté au patron environ 5.000 euros. L’achat de mots-clés à Google, primordial pour s’assurer une visibilité sur Internet, lui demande un investissement mensuel compris entre 500 et 1.000 euros.

300 cybermarchands de vin en France

Il n’est pas le seul caviste à tenter de profiter de la percée de l’e-commerce, un secteur en plein essor dont le chiffre d’affaires en Belgique progressait de 23 % en 2011, pour dépasser le milliard d’euros ( voir graphique “Transactions e-commerce en Belgique”). Notre pays embraye avec un peu de retard sur la France, qui compte plus de 300 cybermarchands de bouteilles. La vente de vin en ligne y progresse de 30 % par an depuis 2007 et atteignait 410 millions d’euros en 2011, selon une étude menée par l’école de management de Bordeaux. Au niveau mondial, la vente de nectar sur Internet génère 3,4 milliards d’euros, ce qui représente 3,2 % du chiffre d’affaires du secteur, tous circuits de distribution confondus. En Belgique, on en est encore loin : d’après le spécialiste des études de marché GfK, moins de 1 % des achats de vin par les particuliers sont conclus sur Internet.

Cela n’empêche pas une série d’entrepreneurs de s’intéresser à ce créneau amené à prendre de l’essor dans les prochaines années. Thierry Durand, patron de The Wine Agency, a décidé de réorienter son business vers l’e-commerce. Depuis 2007, cet ancien responsable de la distribution pour le groupe hôtelier Conrad proposait à ses clients des concepts événementiels autour du vin. Son activité de vente aux particuliers ne représentait que 25 % de son chiffre d’affaires. En novembre 2011, il refond son site internet pour le transformer en plateforme marchande et se lancer à fond dans la vente en ligne. The Wine Agency a conclu un accord avec GVB, un distributeur de vins établi à Bruxelles, ce qui lui permet de proposer plus de 500 références exclusives pour la Belgique.

Le caviste sous-traite la logistique et les livraisons et établit la sélection de vins avec le distributeur. Mais à terme, l’objectif de Thierry Durand est de traiter en direct avec les vignerons. “Je fais le pari que les producteurs chercheront progressivement à contourner les intermédiaires, avance-t-il. Pour leurs exportations, ils feront appel à des pure player Internet comme The Wine Agency.” Pour être rentable, le patron estime que son chiffre d’affaires doit atteindre 500.000 euros sur base annuelle. A la fin de sa première année, il devrait arriver à la moitié de cet objectif. Sa cible est un panier moyen tournant autour de 140 euros, pour une commande de 12 bouteilles, ce qui situe le prix médian d’une bouteille au-delà de 11 euros. Un bon score, quand on sait qu’en Belgique le flacon de 75 cl s’échange en moyenne en- dessous de 4 euros.

Terroir ou grands crus ?

Bonne nouvelle donc pour les cavistes en ligne : l’internaute semble plus dépensier que le client de supermarché. Stéphane Beckers, un informaticien liégeois qui a lancé le site internet Aux Bons Vins en août 2011, constate lui aussi que ses clients sont prêts à “mettre le prix”. “J’avais visé un prix moyen d’achat tournant autour de 8 euros la bouteille, indique-t-il. Au final, il est de 10,57 euros très exactement.” Le marchand constate cependant qu’au-delà de 15 euros l’unité, les bouteilles ont du mal à s’écouler. “C’est sans doute la limite pour des appellations peu connues”, estime Stéphane Beckers. Ce dernier est en contact direct avec des petits producteurs, qui façonnent des crus “de terroir”, plutôt confidentiels. Les appellations célèbres et les grands millésimes constituent un marché tout à fait différent, que l’entrepreneur a décidé, pour l’instant, de ne pas attaquer.

Charly Azoulay (Exclusive Wine World) a une autre stratégie. A côté de cuvées méconnues, il propose régulièrement des maisons prestigieuses, comme Mouton-Rothschild. Cette démarche marketing lui permet d’attirer des visiteurs à la recherche d’une bouteille bien précise. Tout bon pour la visibilité de son site internet.

“Il y a deux types d’acheteurs sur Internet, analyse Thierry Durand (The Wine Agency). Le connaisseur, qui cherche une appellation bien précise et qui traque le meilleur prix. Et le novice, qui a besoin d’être guidé.” L’avènement des marchands de vins sur Internet, en France notamment, a facilité le travail du connaisseur. Celui-ci peut désormais aisément comparer les tarifs et dénicher la meilleure offre. Pas étonnant dès lors que les cavistes en ligne que nous avons rencontrés surveillent attentivement leurs concurrents. Tous sans exception assurent proposer le meilleur prix en Belgique pour les crus qu’ils ont en magasin. Quand il s’agit d’une exclusivité (souvent confidentielle), c’est facile. Quand d’autres vendent la même bouteille, la guerre des prix s’engage, au détriment de la marge du caviste.

Convaincre l’oenologue du dimanche

Voilà pour le connaisseur. Le novice, en revanche, est incapable de différencier la piquette du nectar. Il est peu au fait de la valeur des crus, grands ou petits. Pour attirer et fidéliser le novice, le caviste en ligne doit développer une interface conviviale et, surtout, proposer du conseil à cet £nologue du dimanche. Sur Internet, forcément, pas question de dégustation. Les sites développent dès lors des fiches d’information, des newsletters, des suggestions d’accords mets-vins, voire du conseil par téléphone.

En offrant ce type de service, les cavistes digitaux espèrent siphonner la clientèle des cavistes physiques. Certains estiment cependant que le modèle online a comme un goût de bouchon. Chez Espacevin Pirard, enseigne familiale possédant quatre magasins, la dernière génération se montre plutôt sceptique : “Je ne suis pas sûr que la vente en ligne puisse décoller, réagit Simon Pirard. Cela paraît peut-être anachronique, mais nos clients cherchent un contact humain. Cela dit, le jour où l’e-commerce décolle, nous serons certainement bien placés.” Le caviste a en effet développé un site marchand dès… 2003 ! Pourtant, malgré les efforts de conception et de référencement, les ventes en ligne ne représentent pour l’instant que 3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Le site est surtout utilisé par les clients des boutiques, à la recherche de renseignements complémentaires. “C’est un site vitrine”, conclut Simon Pirard.

Travail de présélection

La cible de ces marchands numériques est aussi (surtout ?) la grande distribution. Le constat est simple : le client lambda est parfois bien démuni dans les rayons de son supermarché. Comment le consommateur profane choisit-il son jus de raisin fermenté parmi des centaines de bouteilles ? En fonction du prix censé refléter une certaine qualité, des différentes récompenses et médailles arborées par certains flacons, ou tout simplement en fonction de l’attrait de l’étiquette. Ce jeu s’apparente parfois au vogelpik. Et au moment de déguster, la satisfaction n’est pas toujours au rendez-vous.

Un travail de présélection et des conseils judicieux pourraient convaincre les clients désabusés, espèrent les vendeurs de vin en ligne. Le site My Winebox pousse le principe à l’extrême. Créé en décembre 2011 par deux professionnels de la finance, il propose une sélection de vins minimaliste. Le client souscrit un abonnement et reçoit chaque mois – ou tous les deux mois – une caisse “découverte” de six bouteilles de vin : soit six rouges, soit quatre rouges et un blanc. L’assortiment change tous les mois et coûte 50 euros. “Nous visons les clients des grandes surfaces, qui ne veulent plus se poser la question du choix de leurs vins, explique Yves Lacomble, cofondateur de My Winebox. C’est un produit citadin.” En limitant le nombre de références, le duo d’entrepreneurs offre la garantie aux producteurs de vendre des volumes plus élevés, ce qui lui permet de négocier de meilleures marges.

Vin en solde

A ce petit jeu-là, personne ne peut cependant égaler la grande distribution. Les centaines de milliers d’hectolitres écoulés en supermarché permettent aux grandes enseignes de négocier au cordeau avec les producteurs. Les sites marchands des grands distributeurs leur offrent encore une plus grande amplitude. Delhaize Wine World, par exemple, présente un catalogue comptant 1.300 références. Environ 700 sont identiques à celles proposées en magasin. Les 600 autres ne sont disponibles que sur le site. “Ce sont des cuvées de petits vignerons, que l’on ne pourrait pas distribuer en magasin, explique Jan Van Heel, manager de Delhaize Wine World. Il arrive aussi que l’on teste un vin sur le site, avant de décider si on l’achète pour les magasins. Enfin, certains très grands crus, comme du Petrus ou du Cheval Blanc, qui coûtent parfois plusieurs milliers d’euros, ne sont proposés que sur Internet, pour des raisons de sécurité.” Le site est aussi une plateforme idéale pour les offres promotionnelles. Toutes les deux semaines, Delhaize propose de nouvelles ristournes sur certains crus ou assortiments. “Sur le site, la stratégie prix est plus flexible”, commente Jan Van Heel.

Les nouveaux cavistes numériques en profitent aussi. “Cela marche très fort, constate Thierry Durand (The Wine Agency) : 50 % de nos ventes sont réalisées sur des actions promotionnelles.” Certaines plateformes se spécialisent même dans la vente de vin au rabais. C’est le cas par exemple de Chineur du Vin, qui se présente comme le premier site hard discount de vente de vin en Belgique.

D’autres se lancent dans la vente privée, un concept qui a fait ses preuves dans le textile. Le site français Vente Privée a ainsi réalisé 20 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le vin en 2011. De ce côté-ci de la frontière, le site belge Sacriana, récemment mis en ligne, surfe sur la tendance en organisant des ventes privées de vin, à durée limitée (cinq jours). “Nous proposons des réductions de minimum 30 %, indique son fondateur Aymeric de Hemptinne. Notre volonté est d’être le moins cher sur le marché belge et sur Internet.” Les crus placés sur Sacriana répondent à différents besoins, explique-t-il : “Un producteur veut faire un coup marketing sur un vin peu connu. Ou alors il souhaite faire de la place dans un assortiment pour un nouveau millésime. Un importateur peut aussi vouloir tester un vin, qu’il prévoit d’écouler en grandes quantités : la vente privée lui permet de réaliser une sorte d’étude de marché grandeur nature.” C’est sûr, la vente de vin en ligne ne manque pas de débouchés…

>>> Retrouvez le dossier complet Cavistes numériques (avec les adresses, les avis de l’expert, etc) dans le Trends Tendances du 2 août 2012.

GILLES QUOISTIAUX

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