Epargne-carrière: “Aujourd’hui, l’employé veut pouvoir acheter ou vendre son temps de travail”

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Le prestataire de services RH SD Worx lance son propre système d'”épargne-carrière”. Ses travailleurs pourront désormais économiser leurs jours de congé extralégaux, à savoir les jours de congé en plus des 20 jours légaux, et les prendre plus tard dans leur carrière. Autre option: les échanger contre de l’argent. Alors, effet d’annonce ou vraie nouveauté ? On fait le point avec Sébastion Roger, avocat associé spécialisé en droit du travail au sein du cabinet Younity.

En quoi consistera le système d'”épargne-carrière”?

C’est une mesure qui permettra d’économiser du temps. Il y a quatre types de temps prévus par la loi que l’on peut comptabiliser dans son compte “épargne-carrière”. Le premier, ce sont les quotas d’heures supplémentaires volontaires. Désormais il est possible de prester jusqu’à 100 heures supplémentaires par an sans les récupérer, mais en étant payé. Le travailleur peut aussi dire, “je n’ai pas envie de la rémunération. Ce temps, j’ai envie de le mettre dans mon compte ‘épargne-carrière'”.

Deuxième type de temps, ce sont les jours de congé conventionnels, comme les jours d’ancienneté. Ces congés, aussi appelés extralégaux, peuvent être économisés dans le compte “épargne-carrière”. Cela correspond à la mesure introduite par SD Worx.

Le troisième type de temps ce sont les horaires flottants. Le droit d’arriver entre telle et telle heure et de repartir entre telle et telle heure. Si à la fin d’une année, il se trouve que le travailleur a un solde positif, qu’il a trop presté, soit l’employeur lui paie ces heures, soit il les met dans son compte “épargne-carrière”.

Enfin, le quatrième type de temps ressemble au premier. Depuis une dizaine d’années, une mesure permet aux employés qui ont presté des heures supplémentaires de ne pas les récupérer, mais d’être payés. Pour ces heures-là, l’employé ne veut parfois pas les récupérer de suite, ni qu’on les lui paie, mais bien qu’on les place dans son compte “épargne-carrière” pour qu’ils puissent les utiliser dans un an ou dix ans.

Que propose concrètement SD Worx?

SD Worx surfe sur l’actualité en annonçant mettre en place en interne un système d’ “épargne-carrière”. Ici, on parle uniquement des congés extralégaux. Dans le cadre de ce type de congés, l’entreprise peut en effet négocier ce qu’elle veut. La société veut permettre à ses travailleurs de pouvoir économiser ce temps et de ne pas devoir les prendre dans l’année en cours. En réalité, SD Worx n’a rien inventé, elle introduit une mesure de “Plan Cafétaria” et l’adapte à sa sauce. Ce plan qui existe depuis longtemps en matière de politique de rémunération permet au travailleur de pouvoir choisir son package de rémunération dans un budget déterminé. Par exemple,en plus de son salaire fixe, il lui sera proposé plus d’argent, ou une voiture, ou des chèques-sport, ou encore un vélo de société, une assurance hospitalisation, et même des jours extra-légaux supplémentaires…En résumé, on lui propose un package à la carte.

En focalisant sur la possibilité de reporter des jours de congé extralégaux, SW Worx fait le parallèle avec le compte “épargne-carrière”. Là où c’est innovant, c’est qu’actuellement dans un “Plan Cafetaria”, on n’autorise pas le report de ces congés extralégaux car il y a un problème d’organisation simple. Certaines entreprises ne peuvent en effet pas se passer de leurs employés pendant un mois entier. Ce n’est donc pas un compte d’ “épargne-carrière” au sens propre de la loi car cela ne pourra pas être envisagé avant au moins 6 mois. Cette mesure fait en effet partie des discussions qui seront entamées dans le cadre de la Loi Peeters. On peut y voir un effet d’annonce de la part de SD Worx car des “Plans Cafétaria”, il y en a autant de différents qu’il y a d’entreprises. Mais pouvoir épargner des jours de congé, ça c’est innovant.

Quels sont les problèmes qui pourraient se poser ?

Là où je suis plus sceptique, c’est sur la question de la transférabilité de ces jours de congé. Si un employé d’SD Worx change d’entreprise, que se passera-t-il ? La transférabilité existe pour les jours légaux mais pour le reste, c’est compliqué. Dans le cas d’un employé qui gagne 100 euros par jour dans une entreprise où il a épargné des jours de congé, que se passera-t-il quand il passera ensuite dans une société où sa rémunération est de 250 euros ? Qui va payer la différence ? C’est une mesure intéressante qui va tout à fait dans la mesure d’épargner du temps, mais le Conseil National du Travail et les syndicats sont frileux. Cela est donc peu probable que l’on ait une convention collective nationale dans 6 mois.

Est-ce une tendance actuelle du secteur du travail ?

Je remarque de plus en plus que ce qui intéresse la jeune génération de travailleurs, ce n’est pas d’avoir plus l’argent, mais plus de temps libre. Ils veulent une vie professionnelle et privée très équilibrée et n’ont pas peur de dire que leur confort de vie passe avant. Les jeunes préfèrent épargner leurs heures supplémentaires plutôt que d’être payés. Pour des entreprises avec une population jeune où celles dont les travailleurs préfèrent économiser du temps plutôt que de l’argent, cette mesure est intéressante. Elles mettront alors en place, en concertation avec les syndicats, ce système d'”épargne-carrière”. Le temps constitue vraiment de nos jours un élément très important. Le travailleur veut avoir cette possibilité d’acheter ou de vendre du temps quand c’est intéressant pour lui.

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