En visite chez Deyrolle, la plus célèbre boutique de taxidermie au monde

© Francis Hammond

Deyrolle profite pleinement du succès des animaux naturalisés qui font un tabac dans les galeries d’art et dans l’univers du luxe. Son président, Louis Albert de Broglie, consacre un livre à cette institution parisienne qui veut se réinventer en regardant vers l’avenir, entre partenariats commerciaux et coopération à la préservation de l’environnement.

Il y en a partout. Des petits, des grands, des beaux, des moches, des poilus, des piquants, des exotiques, des familiers. ” Ne pas toucher “, avertissent les écriteaux au premier étage du 46, rue du Bac, à Paris. La tentation est grande, pourtant, dans la boutique de taxidermie Deyrolle, d’effleurer cet extraordinaire bestiaire auquel Flammarion consacre ces jours-ci un ouvrage aussi beau qu’instructif. Deyrolle, un cabinet de curiosités parisien raconte, sur un peu plus de 200 pages, l’histoire et les enjeux futurs de cette enseigne née en 1831. Le magasin-musée de Saint-Germain, tout en parquets et moulures, rassemble des centaines de mammifères et des milliers d’insectes figés pour l’éternité.

De l’ibis (820 euros) à la moufette (1.200 euros), du coyote (2.300 euros) au marabout (4.500 euros), de l’ourson (12.000 euros) au rhinocéros (30.000 euros), il y en a pour tous les goûts, plus que pour toutes les bourses. Deyrolle n’a pas la réputation d’être bon marché, mais la maison – qui fut fréquentée par Dali ou Nabokov et qui a servi de décor au film Midnight in Paris de Woody Allen – a du cachet et vaut bien quelques sacrifices. ” Les clients ont parfois des demandes précises et souhaitent tel ou tel animal, mais chez Deyrolle, on ne raisonne pas en ces termes, explique Francine Campa, la CEO. Sans les pousser à la vente, on leur dit que si une pièce leur plaît, il faut la prendre car si elle est vendue le lendemain, on n’en aura peut-être plus avant plusieurs années, ou peut-être plus jamais. ”

En visite chez Deyrolle, la plus célèbre boutique de taxidermie au monde
© Francis Hammond

5.800 espèces interdites à la naturalisation

C’est que dans le domaine de la taxidermie, l’offre dépend de l’approvisionnement. Depuis les accords de Washington (1973), la convention CITES régit le commerce de 5.800 espèces animales menacées d’extinction. Dans certains pays européens, ce sont jusqu’à 90 % des espèces qui sont protégées et donc interdites à la naturalisation, sauf dérogations et paperasseries administratives. Pas question donc de prendre son fusil et de ramener, comme dans Tintin au Congo, sa proie en toute impunité. Pour respecter la loi, la société Deyrolle se tourne vers les fournisseurs habituels, à savoir les zoos, les parcs animaliers et les cirques qui revendent les dépouilles des animaux défunts. ” Lorsqu’il y a des décès, les taxidermistes avec lesquels nous collaborons un peu partout dans le monde récupèrent les peaux, explique Francine Campa. Une fois qu’elles ont été tannées, elle peuvent se conserver des années dans nos congélateurs. ”

Dans le domaine de la taxidermie, l’offre dépend de l’approvisionnement. Deyrolle rassemble des centaines de mammifères et des milliers d’insectes figés pour l’éternité.

La maison rachète également à des particuliers des collections parfois antérieures à la mise en place des accords de Washington. ” Lorsque des personnes viennent nous vendre des pièces qui sont présentées comme ‘pré-convention’, nous consultons des experts pour nous en assurer et nous délivrer, le cas échéant, un certificat CITES. ”

Les experts se basent sur les règles de l’art du métier et de son évolution. On ne naturalise pas aujourd’hui comme il y a 50 ans. Les socles récents sont métalliques et épurés alors que dans le passé, la mode était aux simili-rochers et aux fausses herbes. Pour les pièces très anciennes, les poses sont moins naturelles car le taxidermiste ne pouvait observer l’animal dans son milieu naturel. ” Il faut aussi envisager l’état de conservation et la qualité du poil qui sont des indices de datation “, poursuit la responsable. Ça, c’est pour l’apparence extérieure. Pour ce qui est invisible à l’oeil nu, la technique a aussi évolué. Les animaux empaillés, comme on les appelait autrefois, ne sont plus rembourrés avec des épis de blé qui avaient tendance à faire craquer les coutures mais sont dotés d’une coque en mousse de polyuréthane, facile à compresser, capable de restituer fidèlement les volumes. Les taxidermistes ont à leur disposition des catalogues entiers de moulages en polymère, prêts à l’emploi.

Jadis ringards, aujourd’hui chouchous des galeries

Louis Albert de Broglie:
Louis Albert de Broglie: “Deyrolle est la plus ancienne nouvelle start-up.”© Renaud Callebaut

Taxés de ringards il y a 15 ans encore, les chevreuils, paons et autres mammifères naturalisés ont aujourd’hui la cote dans l’art contemporain. Omniprésents dans la photographie et les installations, ils sont les chouchous des foires et galeries d’art. La récente exposition au Kasteel d’Ursel, The Beauty of the Beast, qui s’est achevée en octobre dernier, a fait la part belle à la taxidermie avec les images grand format de la Belge Frieke Janssens ou les oeuvres du Bruxellois Pascal Bernier qui, dans les années 1990, fut l’un des premiers à s’intéresser au sujet. La star du marché qu’est Jan Fabre utilise des milliers de scarabées dans ses compositions, tout comme Wim Delvoye recourt aux cochons – morts ou vifs – dans ses oeuvres hautement polémiques.

Les ventes aux enchères ne sont pas épargnées. Les belles pièces s’arrachent avec des adjudications presque deux fois supérieures aux estimations hautes. En 2013, chez Cornette de Saint-Cyr Bruxelles, un ours polaire fut cédé sous le marteau pour 20.000 euros. Désormais tendance, les pièces fleurissent chez les particuliers et les spécimens les plus spectaculaires sont loués pour le théâtre, l’opéra, l’événementiel ou les boutiques de renom. ” Les prêts pour les grandes marques de luxe ont lieu quatre ou cinq fois dans l’année et se font parfois jusqu’au Moyen-Orient, pour des sommes assez importantes “, mentionne sans autre précision Francine Campa.

Le succès des chimères

 Un monde de chimères. Le
Un monde de chimères. Le “jackalope”, croisement entre un lièvre et une antilope.© Francis Hammond

Deyrolle, qui affiche un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros, entretient un lien étroit avec le monde de l’art. Certaines pièces sont réalisées en partenariat avec des plasticiens (Damien Hirst, Jean-Luc Maniouloux, etc.) ou des institutions comme la Fondation Gala-Salvador Dali qui, en 2014, initia l’édition limitée de 21 agneaux transformés en tables d’appoint à tiroir. Cette oeuvre à mi-chemin entre la taxidermie et les arts décoratifs, inspirée par une toile du célèbre maître catalan, est vendue au prix de 62.000 euros.

Si naturalisation rime parfois avec imagination, la vogue de la rogue taxidermy repousse plus loin encore les frontières du réel. Des créatures mythologiques mêlant sculptures de différentes techniques et éléments de taxidermie font un tabac. Le jackalope, croisement fantasque entre un lièvre et une antilope, issu du folklore américain, est l’un des exemples de ce travail sur l’hybridation proposé par Deyrolle. La collaboration avec les plasticiens n’est pas qu’une question de valeur ajoutée. En 2008, au lendemain du terrible incendie qui ravagea une partie des locaux de la rue du Bac, une foule d’artistes s’était mobilisée pour créer des pièces à partir de la faune endommagée par les flammes. Vendues aux enchères par Christie’s, elles ont permis à Deyrolle de récolter 260.000 euros et de participer à la restauration des lieux.

Désormais tendance, les pièces fleurissent chez les particuliers et les spécimens les plus spectaculaires sont loués pour des événements.

A la tête de Deyrolle depuis 2001, Louis Albert de Broglie, ancien financier qui a travaillé pour Paribas, a insufflé une nouvelle dynamique à l’établissement bicentenaire en ouvrant la voie aux partenariats commerciaux. Après la marque Petit Bateau, c’est Veja qui distribuera l’année prochaine une collection de chaussures de sport éco-responsables, griffées au nom du taxidermiste. Les sneakers seront décorés de motifs de papillons tirés des planches pédagogiques de l’illustre maison. ” Deyrolle est la plus ancienne nouvelle start-up, explique Louis Albert de Broglie. Elle fut pionnière en son temps de la promotion de sciences naturelles. Deyrolle a diffusé son matériel pédagogique dans les écoles du monde entier jusque dans les années 1970. Cent-vingt pays étaient concernés. Il faut retrouver l’ADN de cette fibre scientifique. C’est le sens de notre engagement Nature-Art-Education. Nous rééditons en effet depuis plusieurs années nos anciennes planches éducatives, mais nous en concevons aussi de nouvelles sur les enjeux bioclimatiques et la préservation de la Terre avec le concours d’Engie (ex-GDF Suez) ou Veolia. Et depuis peu, nous sommes conseillers sur les questions énergétiques et environnementales pour les villes et les musées en France, au Portugal et en Chine “. Et en attendant que Deyrolle devienne une marque globale, les curieux de tout poil continuent à se presser au 46, rue du Bac. Jusqu’aux plus inattendus, comme ce designer envoyé par la marque chinoise Huawei, venu observer de près la courbure des ailes d’un papillon pour travailler l’arrondi d’un futur téléphone portable…

“Deyrolle, un cabinet de curiosité parisien”, Louis-Albert de Broglie, éd. Flammarion. 29,9 euros.

Par Antoine Moreno.

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