Du WC public au business de la toilette boutique

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Une start-up néerlandaise, 2theloo, réinvente les toilettes publiques et les transforme en espaces “lounge”. Forte de contrats signés avec Total, Shell, la SNCB ou Burger King, la société vise l’installation de 2.000 toilettes d’ici trois ans.

Les automobilistes ont pu apprécier les changements intervenus dernièrement dans les stations Shell et Total situées le long des autoroutes belges. Les toilettes sont devenues luxueuses, lumineuses, colorées, design, high-tech. Et payantes : 0,5 euro (en général), un montant remboursable en cas d’achat dans la boutique des stations-services. Les deux pétroliers ont décidé de sous-traiter ce service à une start-up néerlandaise, 2theloo (“loo” signifie “cabinet ” ou “petit coin” en anglais), qui a ouvert à ce jour 210 toilettes dans 16 pays.

Les fondateurs de cette entreprise créée à Amsterdam en 2009, Eric Treurniet et Almart Holtz, ont pensé que les toilettes publiques méritaient un coup de jeune. L’idée est partie d’une expérience malheureuse. En visite à Bruges avec ses deux enfants, Eric Treurniet fut surpris de la difficulté de trouver des toilettes propres dans un lieu pourtant fort touristique. De ce constat est née le concept de toilettes boutiques publiques, qu’il a développé avec son ami Almart Holtz, ex-cadre chez Disney.

Une première à Amsterdam

” Nous voulions au départ créer des toilettes publiques dans des rues commerçantes importantes”, explique Almart Holtz, CEO de 2theloo. ” Nous avons donc ouvert le premier 2theloo à Amsterdam, sur la Kalverstraat, en 2011.”

En quoi 2theloo se différencie-t-il ? ” Le concept est de faire des toilettes better than home experience, poursuit Almart Holtz. Avec des toilettes spacieuses, insonorisées, technologiques (lire l’encadré “Vers des analyses médicales”). “Quand je voyageais seul dans le cadre de mes activités pour Disney, je rencontrais toujours ce même souci lorsque j’utilisais les toilettes publiques : où mettre mon bagage et le sac de mon ordinateur portable ? Vous ne pouvez pas les laisser par terre dans l’entrée, faute de quoi vous risquez de vous les faire voler. Dans nos implantations il y a la place pour les loger dans la toilette que vous occupez.” 2theloo prévoit généralement des toilettes pour enfants, une zone de maquillage, parfois un espace allaitement.

Toilette et boutique

Autre particularité : chaque toilette 2theloo est dotée d’un petit magasin qui vend tout ce qui est susceptible d’intéresser les visiteurs (ou visiteuses), tels que des tampons, des boissons, des déodorants, des peluches pour les enfants.

Le concept a décollé avec la signature en 2011 d’un contrat avec Shell pour les stations d’autoroutes. “Pour les pétroliers, notre concept permet de transformer un centre de coût en centre de profit”, défend Almart Holtz. Reprendre les toilettes de pétroliers, de centres commerciaux ou de sociétés de transport s’est avéré plus porteur que l’ouverture en rue commerçante comme imaginé au départ. “L’expérience de Kalverstraat à Amsterdam nous a montré que le loyer pouvait mettre à mal notre modèle. On a dû stopper l’expérience car la location nous coûtait 1.000 euros par jour.” 2theloo vise donc moins les rues commerçantes, sans toutefois les bannir si l’équation financière semble acceptable, comme dans le quartier londonien de Covent Garden.

Pour augmenter les ventes en boutique

Les pétroliers espèrent que l’amélioration du confort compensera le passage à la toilette payante, pas toujours bien perçu. Ils devraient par ailleurs pouvoir tabler sur une augmentation des ventes en boutique. ” Une enquête réalisée antérieurement indique que 90 % des visiteurs des stations-services d’autoroutes n’achètent rien. Ils se rendent uniquement à la toilette, ce qui coûte 5 cents au pétrolier”, avance Almart Holtz. Cela n’encourage guère les gestionnaires à investir dans les toilettes. En revanche, les toilettes payantes peuvent influer positivement sur les ventes en station-service, car chaque usager récupère le coût de son passage aux toilettes s’il fait des achats dans la boutique. “Environ 70 % des bons étaient utilisés dans des achats comme des sandwiches, qui n’auraient pas été acquis autrement.”

2theloo a multiplié les partenariats : Total en Belgique, la SNCF, le RER français, la Ville de Paris, Burger King (pour les Pays-Bas pour le moment), Kaufhof (qui possède les magasins Galeria Inno en Belgique). ” La beauté du concept est qu’en théorie il est possible de développer la plus grande chaîne au monde car il y a des toilettes publiques partout.” Mais la gestion n’est pas simple. La SNCB, par exemple, a panaché la gestion et confie les 15 installations les plus importantes à 15 concessionnaires différents, tel que National Hygiene Group pour la gare du Midi à Bruxelles.

100 millions de visiteurs par an

Pour le moment, le réseau 2theloo est concentré en Europe, dans 16 pays, avec 210 implantations. Les plus grandes toilettes publiques, ouvertes en janvier, sont situées dans la station Shell de Berchem, au Luxembourg, et proposent sur 400 m2 27 cabinets pour dames, 13 pour hommes, 14 urinoirs, deux coins à maquillage et sept douches. L’infrastructure est modulée selon le flux de visiteurs, qui peut atteindre 25.000 clients par jour. Pour croître, la société a racheté en 2014 à Paris PointWC, une autre start-up active dans les toilettes de luxe. Le plan de développement – qui vise tout de même 2.000 implantations d’ici trois ans – a toutefois été ralenti en raison du décès d’un des co-fondateurs, Eric Treurniet, dans un accident de la route en Belgique en 2014.

Le business model ? Dans certains cas, comme les centres commerciaux, 2theloo paie l’installation, la gère et perçoit les revenus. Parfois le modèle est hybride, investissements et revenus sont partagés. L’entreprise, qui occupe actuellement 500 personnes dont 60 en Belgique, annonce un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros en 2015 et espère dépasser les 20 millions cette année. Le volume d’affaires “brut” est plus important puisque 100 millions de visiteurs par an (donnée actuelle) à 0,5 euro (le prix le plus courant) devrait se traduire par 50 millions d’euros de ventes. “Il faut évidemment tenir compte du partage de revenus avec certains partenaires”, précise Almart Holtz, qui assure que les opérations sont rentables pour l’entreprise.

Couac à Paris

Le développement de 2theloo a connu quelques embûches en France. La société a dû faire face à une révolte de “dames pipi”. Lors de la reprise des concessions de la Ville de Paris dans des lieux touristiques, le contrat ne prévoyait pas de reprendre le personnel du précédent concessionnaire, Stem. Une dizaine de personnes s’est retrouvée sans employeur. L’affaire a terni l’image de 2theloo, qui contestait l’obligation de reprise qui prévaut dans le secteur du nettoyage en France. “Nous ne sommes pas une entreprise de nettoyage, nous faisons de la vente”, martèle Almart Holtz, qui a gagné en première instance un procès intenté. “Nous sommes prêts à reprendre des personnes à condition qu’elles suivent le processus du recrutement, car le travail est fort différent.” Il n’y a formellement pas de poste de ” dame pipi” chez 2theloo qui se présente comme un concept retail, comme Starbucks ou le Pain Quotidien.

Analyses médicales ?

Les technologies ont désormais également investi les toilettes publiques. Aussi, la société 2theloo mise beaucoup sur l’électronique pour améliorer la gestion de ses toilettes. Des capteurs détectent le manque de papier WC ou de savon, tandis que des iPad collectent les avis des utilisateurs. Toutes ces données sont transmises sur des écrans télés placés dans le bureau d’Almart Holtz, qui suit en temps réel le fonctionnement des différents sites et peut intervenir dès qu’il détecte un souci. Dans certains endroits en France, 2theloo propose des toilettes japonaises, avec jets d’eau et séchage. “J’en ai chez moi, c’est très bien, convient Almart Holtz, mais souvent les utilisateurs ne connaissent pas cette technologie et n’en maîtrisent pas l’utilisation, il faut donc être attentif.” 2theLoo travaille avec des partenaires fournisseurs comme Roca, société spécialisée dans les sanitaires, pour développer des services. “Nous sommes actuellement en train d’examiner la possibilité de proposer une fonction d’analyse médicale des urines et des fèces”, se réjouit le CEO. Une volonté qui s’inscrit dans la tendance de ces technologies destinées à mesurer soi-même sa pression sanguine ou son rythme cardiaque.

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