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“Dominique Leroy vs le système”

Fin juin, j’ai été invité à donner une conférence sur mon livre L’entreprise immortelle dans le magnifique pavillon du Zwin à Knokke. Dans la foulée, j’ai eu l’honneur d’interroger quelques captains of industry sur leurs expériences et leurs recettes de survie à long terme. Dominique Leroy figurait parmi eux.

Au cours des cinq dernières années, elle a accompagné Proximus dans sa transformation, tant interne qu’externe. Son passage n’est certainement pas passé inaperçu. Dominique Leroy a fait de Proximus une entreprise plus performante et plus orientée client. Et les actionnaires en ont profité aussi : un rendement de plus de 65% sur cette période (soit 9% par an en moyenne ! ). Selon le journal De Tijd, c’est la deuxième entreprise de télécommunications qui a le mieux performé en Europe.

Mais quand je lui ai demandé ce soir-là si Proximus n’avait pas aussi changé Domique Leroy, elle a bien pesé ses mots avant de répondre. Elle ne pouvait cependant cacher une certaine émotion. Elle a admis que, contrairement à une entreprise classique, le CEO d’une entreprise comme Proximus est particulièrement soumis à la pression de nombreux stakeholders, appelons-les belles-mères ou beaux-pères. Et il n’est jamais vraiment maître de son propre agenda. C’était inédit pour elle (certainement en comparaison avec les années qu’elle a passées chez Unilever), et ce ne fut pas toujours facile de s’en accommoder.

Sans donner de nom, elle faisait référence à sa relation difficile avec son ancien ministre de tutelle, Alexander De Croo, qui s’était érigé en protecteur des intérêts des consommateurs. Envoyant ainsi Dominique Leroy, la ” marketeuse “, dans les cordes de ce vieil opérateur historique, qui ne s’occupe que de lui. Et tout cela alors que, chaque année, cette même autorité passe volontiers à la caisse enregistreuse chez Proximus pour percevoir un important dividende. Difficile parfois de trouver le respect et la reconnaissance du travail accompli.

Les initiés savaient aussi depuis un certain temps que la nécessaire transformation interne s’essoufflait et que le pouvoir des syndicats au sein de l’entreprise demeure très important. En outre, le gouvernement fédéral souhaitait éviter les conflits sociaux (c’est-à-dire, les grèves) à l’approche des élections. Par moments, Dominique Leroy devait se sentir bien seule dans les tours de Proximus.

Ce soir-là, à Knokke, j’ai eu le sentiment que Dominique Leroy avait déjà abandonné la bataille mentalement. Elle se heurtait de plus en plus aux limites – et aux murs – d’un système (politique et syndicaliste) profondément enraciné qui semble conjuré à première vue mais qui, à des moments cruciaux, continue à faire la loi dans l’entreprise. Et elle n’avait aucune prise sur lui. Dans ce cas, de deux choses l’une, soit le CEO accepte la situation (pour gagner sa croûte ou pour avoir la paix), soit son honneur prend le dessus, et il ou elle s’en va. C’est le choix qu’a fait Dominique Leroy. Un choix qui l’honore.

Son départ illustre une fois de plus la thèse que je défends dans mon livre au sujet des conditions de succès d’une transformation ( et qui met en avant le paradigme de sociologie ” AGIL “, Ndlr). Dominique Leroy a dû constater qu’il ne suffit pas de s’adapter à l’environnement extérieur (fonction A) ou d’atteindre des objectifs financiers (fonction G, comme goal- attainment). Il ne s’agit là que de la moitié de la mission, et peut-être même de la plus facile. En fin de compte, la réussite ou l’échec d’une transformation dépend de la capacité – ou de l’incapacité – à rassembler les troupes et à les unir (fonction I, comme intégration) et, en définitive, à renforcer et à affiner l’identité ainsi que la culture de l’entreprise (fonction L, comme latency). Il y a lieu de trouver un équilibre évolutif, un équilibre très délicat, entre changement, stabilité et continuité.

Duco Sickinghe, président de KPN et ancien CEO de Telenet, kingmaker inné, réussit un coup de maître en transférant Dominique Leroy. Proximus et l’Etat belge en tant qu’actionnaire principal sont les grands perdants de l’histoire. La recherche d’un successeur ne sera pas chose aisée. Une tâche impossible attend ce dernier pour concilier les intérêts contradictoires de l’actionnaire, du consommateur et du collaborateur. Et ce dans le contexte d’un marché qui n’est qu’à l’aube de sa révolution. Dans ces circonstances, qui pourrait bien vouloir se jeter dans la fosse aux lions ?

Par Fons Van Dyck.

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