Docks Bruxsel, un pari vert à 210 millions d’euros

© S. SCHMITT - GLOBALVIEW.BE POUR EQUILIS

Equilis a réussi son premier défi. Transformer un chancre urbain situé au bord du canal en un centre commercial qui fait office de modèle sur le plan environnemental. Reste maintenant à attirer 8 millions de visiteurs par an. Tout en pensant déjà à la revente du complexe.

“Dix ans pour aboutir, c’est une bonne moyenne dans le secteur. D’autres projets bruxellois ne peuvent pas en dire autant. ” Casque vissé sur la tête et bottines de chantier aux pieds, Olivier Weets dissimule mal sa satisfaction en contemplant du troisième étage ce site de 4 ha situé à Bruxelles-Ville, en bordure du canal. Equilis, le bras immobilier du groupe carolo Mestdagh, a réussi son pari : reconvertir un véritable chancre urbain en un centre commercial et de loisirs de 58.000 m2, nouveau lieu de vie du nord de la capitale. Son ouverture est programmée ce jeudi 20 octobre. Suivront quelques jours de festivités. Et un peu de repos pour les 1.200 ouvriers qui se sont affairés ces derniers mois à boucler le projet. ” Tout le monde m’a pris pour un fou en 2006 quand j’ai commencé à travailler sur ce dossier, se souvient Olivier Weets, développeur immobilier pour Equilis, en charge de Docks Bruxsel. Il n’y avait rien sur cette zone, à l’exception de quelques squatteurs. Personne ne parlait alors de renouveau pour le canal. On peut aujourd’hui être fier d’y avoir créé un lieu de vie ouvert, qui fait le lien entre passé et présent. ”

Docks Bruxsel, un pari vert à 210 millions d'euros
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Le complexe est, il est vrai, une belle réussite architecturale tant par ses courbes élancées que par sa luminosité naturelle omniprésente. Dessiné par le bureau Art & Build, il mixe les fonctions puisqu’on y retrouve également 6.000 m2 de bureaux, de l’horeca et des espaces de loisirs (cinéma, jeux, espace événementiel, espace muséal). Il s’agit surtout du premier complexe bruxellois à sortir de terre depuis les années 1970. ” Par rapport à Anvers ou à Gand, Bruxelles est en sous offre commerciale de 20 à 30 %, poursuit Oivier Weets. Une étude relevait qu’il manquait près de 200.000 m2 de retail dans la capitale, surtout au nord de Bruxelles. Notre objectif est donc de combler cette évasion commerciale. ” Huit millions de visites sont espérées annuellement.

Le marketing environnemental

Pour y parvenir, Equilis a notamment misé sur le volet environnemental. Une démarche qui mêle bien évidemment opportunisme – c’est dans l’air du temps et cela plaît à certains visiteurs – et réelle volonté de se différencier. ” Il aurait été beaucoup plus simple de construire un centre commercial classique, fait remarquer Olivier Weets. Et cela nous aurait coûté bien moins cher. Rien que l’aménagement des façades végétales grimpe à près d’un million d’euros. Mais nous voulions être novateurs dans l’offre et précurseurs sur le plan environnemental. ”

Docks Bruxsel, un pari vert à 210 millions d'euros
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Docks Bruxsel fait en fait partie de cette nouvelle génération de centres commerciaux européens misant sur la responsabilité environnementale. Une visée qui percole dans la tête de certains développeurs même si elle met du temps à se concrétiser. Outre le shopping bruxellois, seuls trois shopping européens (So Ouest à Paris, Coresi en Roumanie et The Ventury Shopping en Finlande) ont par exemple reçu la mention ” excellent ” de la certification BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method), un modèle d’évaluation de la performance environnementale des bâtiments. ” Docks est donc le shopping belge le plus respectueux de l’environnement, se réjouit Olivier Weets. Et de loin. ”

“Plus aucun shopping ne peut être non écoresponsable”

Pierre Iserbyt
Pierre Iserbyt© PG

Pierre Iserbyt, ex-patron de Redevco et de GIB Immo, est aujourd’hui consultant en développement de centres commerciaux.

TRENDS-TENDANCES. Docks Bruxsel sort-il vraiment du lot sur le plan environnemental ?

PIERRE ISERBYT. Oui, clairement. A ce niveau-là, Docks Bruxsel est à la pointe. Uplace et Neo feront certainement mieux s’ils sortent un jour de terre. Mais Docks est un projet up-to-date au niveau écologique : que ce soit l’éclairage en LED, les panneaux solaires, la récupération des eaux usées ou encore la réutilisation de l’eau chaude déversée dans le canal pour chauffer le shopping. Il faut saluer l’investissement en la matière. Rien n’y obligeait les promoteurs.

L’intérêt marketing ne prime-t-il pas ?

Il y a toujours un aspect marketing et un aspect économique dans de tels choix. Vu l’agressivité de la concurrence, il est nécessaire pour les promoteurs de posséder l’outil le plus efficace et qui est le plus apte à diminuer les frais de fonctionnement. Ils ne peuvent de toute façon plus être en marge des tendances générales en matière d’écologie. Mais tout est lié. Le consommateur trouve cela bien d’avoir une toiture verte, cela permet à l’investisseur d’avoir un meilleur coefficient écologique et, pourquoi pas, de mettre un grand potager sur le toit.

Certains centres commerciaux sont-ils en train de faire taire leurs détracteurs en redorant leur image par ce biais ?

Cela ne suffira pas, mais cela va dans le bon sens… (sourire)

Est-ce une tendance en Europe ?

Tout le monde veut désormais obtenir sa certification BREEAM. Il n’y a aucun doute là-dessus. Plus aucun développeur ne peut faire sans. Tout comme le fait que l’on n’aménage plus des centres qui ne sont pas écoresponsables, qui n’ont pas une offre de transports en commun de qualité, un plan de mobilité pour leurs employés. Autant d’éléments incontournables et qui vont encore s’accentuer à l’avenir.

Pour atteindre ce niveau, le centre commercial bruxellois a su tirer profit de la configuration particulière du site. Etant implanté au bord du canal, il a par exemple utilisé la voie d’eau pour évacuer 300.000 tonnes de terre saine – soit une économie de 12.500 camions. On peut également citer le fait que l’eau de pluie sera récupérée et servira à la gestion de l’eau sanitaire, à l’entretien de l’infrastructure et à l’arrosage des plantes. Ou encore la volonté de privilégier l’éclairage naturel et d’installer d’immenses façades végétales sur certains pans de mur.

Docks Bruxsel, un pari vert à 210 millions d'euros
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Mais la réelle innovation est ailleurs. Dans la récupération du trop-plein d’eau chaude de l’incinérateur de Bruxelles-Energie, voisin du site, qui servira à alimenter entièrement le chauffage du centre commercial. Une solution win-win qui est apparue un peu par hasard lors d’une discussion anecdotique entre le patron de Docks et celui de Bruxelles-Energie. ” Ce projet est incroyable, lance Olivier Weets. Nous devons être le seul centre commercial au monde à procéder de cette manière. Nous n’effectuons toutefois pratiquement aucune économie. ” Bruxelles-Energie a installé sous terre de larges tuyaux permettant d’acheminer l’eau vers Docks. Leur diamètre est volontairement plus large qu’exigé pour permettre d’arroser d’autres projets par la suite. Docks ne consommant que 10 % du rejet d’eau chaude. ” Nous souhaitions développer depuis longtemps un réseau urbain, explique le directeur de Bruxelles-Energie, Daniel Van Lathem. Beaucoup de pays du nord de l’Europe procèdent de cette manière. Ce réseau pourrait également être utilisé pour alimenter le projet résidentiel de 2.500 logements souhaité par la Région bruxelloise en prolongement de Docks. ” Au total, ce sont environ 1.600 MWh qui seront économisés par an. Soit les besoins annuels en chauffage de 1.300 maisons.

Docks bientôt vendu

L’autre évolution a trait au positionnement de ce centre commercial qui se veut ouvert vers l’extérieur. Les premières esquisses évoquaient un shopping en plein air où les visiteurs seraient simplement protégés par des auvents installés à front de façades des magasins. Au final, pour des questions de confort, il a été décidé de fermer le centre. Il n’est par contre pas du tout climatisé. Pas question donc d’avoir un choc de température en été ou de suffoquer de chaleur en hiver. ” J’avoue que j’étais sceptique mais les ingénieurs m’ont convaincu, explique Olivier Weets. Et puis les économies ne sont pas négligeables. C’est une nouvelle tendance en Europe de procéder de cette manière. On s’est notamment inspiré des centres commerciaux de Nice, Barcelone (Maquinista) ou encore Birmingham (Bullring). ”

L’investissement d’Equilis s’élève à près de 210 millions d’euros. Il n’entre pas dans les intentions du développeur immobilier de maintenir un actif d’un tel poids dans son portefeuille. En caricaturant, on peut donc dire que le centre commercial sera en vente dès le 21 octobre, au lendemain de l’ouverture. ” Il est vrai que nous ne garderons pas Docks dans notre portefeuille, précise Olivier Weets. Des négociations sont déjà en cours pour revendre l’ensemble. Mais, pour le moment, ce n’est pas notre priorité. Ouvrons d’abord le centre commercial. Nous verrons ensuite. ”

Docks Bruxsel, un pari vert à 210 millions d'euros
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Par Xavier Attout.

Un visiteur sur deux doit venir en transports en commun

Olivier Weets (Equilis)
Olivier Weets (Equilis)© PG

Equilis n’a pas choisi la voie de la facilité en mettent la main sur un site à la localisation difficile. La mobilité pour rejoindre ce nouveau quartier est l’une des épineuses questions du projet. Un recours devant le Conseil d’Etat introduit par des riverains et diverses associations est d’ailleurs toujours pendant. Les risques sont toutefois minimes pour le promoteur : il est évidemment peu probable de revenir à la situation initiale…

Ce volet a en tout cas été bien cadré dans le permis. Un visiteur sur deux doit venir en transports en commun. Il aura le choix entre le tram (deux arrêts “Docks” ont été créés, lignes 3 et 7), le bus, le vélo (240 emplacements avec accès aux vestiaires et douches), le train (gare de Schaerbeek), à pied et même en bateau. Un parking de 1.700 places a également été aménagé. “Venir en transports en commun sera encouragé, note Olivier Weets, en charge de Docks Bruxsel pour Equilis. Au total, il y aura 17.800 places par jour dans les différents modes de transport. C’est exceptionnel ! Avec notamment des trams toutes les deux minutes aux heures de pointe. Pour ce qui est du bateau, un exploitant veut profiter de l’arrivée de Docks pour dynamiser son activité.” Ajoutons que des emplacements spécifiques pour les voitures Cambio sont prévus alors qu’une borne de rechargement Tesla sera disponible. Enfin, les objectifs fixés en matière de mobilité seront contrôlés par un Observatoire de la mobilité, spécialement créé pour l’occasion. Il rassemblera les divers acteurs bruxellois du secteur.

“L’offre commerciale est clairement atypique”

L’idée de départ d’Equilis était de proposer une offre commerciale originale, faisant de Docks un centre commercial d’un nouveau genre mêlant petits indépendants, ateliers de création et grandes enseignes. Au final, le promoteur a été quelque peu rattrapé par les réalités du marché. Même s’il défend son originalité. “La mixité est bien présente, fait remarquer Pascale Govers, en charge de la commercialisation du centre pour Equilis. Il y a des magasins de 4.000 m2 et d’autres bien plus petits de 50 m2. Un mix entre grandes enseignes internationales et indépendants (Peppermint Park, Sole, etc.). Un mix aussi entre enseignes néerlandophones (Nuit de Folie, de GBlooming, Terre bleue) et francophones. Il y a des boutiques qui ne sont absolument pas présentes à Bruxelles ou en Belgique comme Maison Scotch, Kiabi, Koezio, Liu Jo, Terre Bleue, IKKS Kids ou Samsung. Enfin, il y a un mix entre des enseignes de mass market (JBC, Camaïeu, Di, etc.) et des enseignes premium (IKKS, GStar, Michael Kors, Superdry, etc.). Tous ces éléments font de Docks un centre vraiment particulier, d’autant que nous avons une importante offre horeca, gérée par des indépendants (restos grec, libanais, thaï, japonais, belges et espagnols), ce qui est novateur. L’horeca occupe près de 12 % de l’offre alors qu’un centre traditionnel tourne autour de 5 à 7 %. Les restos et bars seront ouverts jusqu’à 22h30, ce qui permettra de recréer l’esprit d’un quartier d’autant qu’il y aura des cafés, des salles de cinéma, des loisirs et des bureaux.” Le courtier Jones Lang LaSalle sera chargé de l’animation du site.

Des loyers en dessous du marché

Docks connaît en tout cas un beau succès commercial. Les 111 cellules sont louées depuis le mois de mai. Après des débuts compliqués, dus notamment à la concurrence de Neo et d’Uplace, la commercialisation a réellement démarré lorsque les grandes locomotives sont montées dans le train. Permettant de rassurer les petits commerçants et indépendants sur l’attractivité du centre. Une liste d’attente est même en train d’être constituée. Parmi les locomotives, on retrouvera les cinq enseignes du groupe Inditex (Zara, Massimo Dutti, Bershka, Pull and Bear, Zara Home) et les classiques H&M (dont H&M maison), Guess, Di et Rituals. Notons que ce positionnement spécifique a eu un impact sur les loyers, plus bas que la moyenne (Equilis ne veut communiquer sur le montant moyen pour des raisons de concurrence). L’explication tient au fait que les grandes marques ont loué des cellules plus grandes alors que les petits indépendants ne pouvaient s’aligner sur les montants des chaînes internationales. D’où des tarifs tirés vers le bas.

“1.200 direct seront bien créés”

Actiris, l’agence bruxelloise de l’emploi, a signé une convention de collaboration avec Equilis pour coordonner l’engagement des 1.200 nouveaux emplois créés dans le cadre de l’ouverture de Docks. Son directeur, Grégor Chapelle, a récemment estimé que seuls 600 emplois seront créés. Bien moins qu’annoncé donc. “C’est totalement faux, précise Olivier Weets d’Equilis. Il y aura bien 1.200 emplois directs qui seront créés avec Docks. La différence, c’est que la plupart des enseignes ne sont pas passés par Actiris pour engager leur personnel. Elles n’avaient aucune obligation de traiter avec l’agence bruxelloise. ”

UPLACE et NEO ont perdu la première manche

Docks, Neo et Uplace se sont livrés une véritable course contre-la-montre depuis 2006, date à laquelle la Région bruxelloise a révélé, schéma de développement commercial à l’appui, que le nord de Bruxelles manquait d’un shopping. Equilis a remporté la première manche en sortant son projet bien avant les deux autres développements situés en bordure du ring. Neo, piloté par la Ville de Bruxelles et la Région et financé par Unibail-Rodamco-Besix, tente actuellement de se dépêtrer des griffes du Conseil d’Etat alors que Uplace enchaîne les mésaventures, la dernière datant de juillet avec l’annulation de son permis d’urbanisme par le conseil flamand du contentieux des autorisations urbanistiques. Les observateurs estiment que seul un des deux projets pourra voir le jour. “Je ne me prononcerai pas sur leur timing ou sur l’opportunité de développer deux autres projets, lance Olivier Weets d’Equilis. Vu leur état d’avancement, nous disposons maintenant d’au moins cinq ans avant de voir la concurrence apparaître. Il faut, en moyenne, trois ans pour qu’un centre commercial s’exprime complètement et deux ans pour le stabiliser. Je suis donc serein.” Reste que les conséquences seront indéniables. Une étude de GEO Consulting dévoilée l’an dernier révélait que le développement des centres commerciaux Uplace, Neo et Docks pourrait se solder par une perte de clientèle de 23 % pour les commerçants de la capitale.

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