Des “Produits de l’Année” aussi énervants qu’innovants

Accélérateur de ventes pour les uns, appellation douteuse pour les autres, le label “Elu Produit de l’Année” suscite débats et controverses. Enquête à charge et à décharge au coeur d’une institution qui génère surtout un gros paquet d’argent.

Véritable accélérateur de notoriété, la mention “Elu Produit de l’Année” dope incontestablement les ventes des marques concernées et suscite inévitablement la jalousie des concurrents écartés. Mais à quel prix ? La mention d’un tel “macaron” sur l’emballage se paie cher, en effet, et c’est là que le bât blesse.

“C’est juste une pompe à fric !”, tempête une communication director qui connaît bien le concept et tient à garder l’anonymat. Pourquoi donc un tel agacement ? Le principe même du processus de sélection et, in fine, “l’achat” de cette récompense par les marques elles-mêmes dérangent, il est vrai, bon nombre d’acteurs de la grande distribution.

Pour poser simplement leur candidature aux Produits de l’Année, les candidats doivent débourser entre 2.000 et 3.000 euros (selon le secteur) – sans avoir la garantie de remporter la palme – avant de payer au final entre 12.000 et 17.000 euros (toujours selon le secteur choisi) pour pouvoir afficher en magasin le précieux logo décroché. Bref, au total, ce ne sont pas moins de 14.000 euros, voire 20.000 euros pour certains, que les lauréats auront dépensés pour pouvoir jouir, pendant un an maximum, de la mention “Elu Produit de l’Année”.

Pour Michel Vautherin, administrateur délégué de Produits de l’Année Benelux SA, le jeu en vaut la chandelle et le retour sur investissement suffit amplement à balayer toutes les critiques : “L’innovation fait vendre et notre logo est un véritable booster, aussi bien dans la communication des lauréats que dans les rayons des magasins.”

Il estime que, grâce à la mention “Elu Produit de l’Année”, une marque peut espérer une augmentation des ventes de l’ordre de 10 % à 40 %. “S’il s’agit par exemple d’une ixième nouvelle soupe, les ventes n’augmenteront peut-être que de 10 %, nuance-t-il. Mais si l’on est face à un vrai produit inédit, comme la pâte à tartiner Speculoos de Lotus en 2009, on peut s’attendre à un doping des ventes de l’ordre de 40 % !”

“Elu Produit de l’Année” : un sésame précieux…

Difficile de vérifier scientifiquement les statistiques avancées. Directeur de la société Zinafood, Patrick Rolus a décroché le titre “Elu Produit de l’Année” en 2010 pour ses chips Sibell bleues, à la truffe et au wasabi, et il confirme fermement cet état de fait : “Il est tout bonnement impossible de dire clairement dans quelle mesure un tel label dope les ventes. C’est difficilement chiffrable mais il est évident que l’obtention de cette récompense représente un réel avantage. D’une part, cela m’a ouvert des portes dans la grande distribution et a donc facilité les négociations pour faire entrer mes chips dans de nouvelles enseignes ; de l’autre, il faut bien admettre que le logo Produit de l’Année attire inévitablement l’oeil du client.”

Patrick Rolus se révèle beaucoup plus critique quant aux sommes investies pour bénéficier du macaron, d’autant qu’il avait essuyé un refus l’année précédente pour son “dentifrice sans eau” pourtant très innovant : “Pas loin de 3.000 euros à fonds perdus que j’aurais mieux fait d’investir ailleurs !” Quant au label décroché pour ses chips inédites, cela lui aura coûté au total pas loin de 15.000 euros. “C’est une somme énorme pour une PME comme la mienne et il faut en vendre, des chips, pour compenser cet investissement très lourd ! Au bout du compte, je pense que cela peut décourager les petites sociétés de présenter leur candidature, contrairement aux multinationales comme Unilever et Nestlé qui n’auront aucun problème à débloquer cette somme dans leurs immenses budgets marketing.”

Pour l’administrateur délégué de Produits de l’Année Benelux SA, cette somme est pourtant dérisoire en comparaison des avantages récoltés. Car même les perdants, qui n’obtiennent pas le logo écarlate, reçoivent une copie de l’enquête annuelle menée auprès des consommateurs et dont les résultats conduisent précisément à la désignation des Produits de l’Année. “Si les marques devaient mener elles-mêmes leur propre étude de marché, cela leur coûterait beaucoup plus que les 3.000 euros d’inscription demandés, assure Michel Vautherin. Ce genre d’étude peut être justement très précieux pour une PME qui n’a pas les moyens de se l’offrir.”

Cette fameuse enquête est la base sur laquelle repose tout l’édifice du label Produits de l’Année. Mené par le bureau d’études de marché indépendant Dedicated Research, ce sondage on line s’adresse à un échantillon représentatif de la population belge qui élit, in fine, les marques lauréates. “Chaque produit est présenté à l’écran de la même façon et est évalué selon trois critères, l’attractivité, l’innovation et la satisfaction à l’usage, précise Marc Dumoulin, administrateur délégué de Dedicated Research. Ce sont donc 5.000 consommateurs interrogés qui choisissent les Produits de l’Année.”

… Mais aussi une méthodologie contestée

Honorable, le procédé fait pourtant grincer les dents de plusieurs organismes dont, paradoxalement, les associations de consommateurs qui dénoncent le fait que l’enquête ne soumet aux gens interrogés que les produits qui se sont réellement portés candidats pour l’obtention du fameux logo.

“On pourrait presque dire qu’il y a tromperie sur la marchandise, s’insurge Jean-Philippe Ducart, porte-parole de Test-Achats. On demande au public de voter non pas pour le meilleur dentifrice ou la meilleure confiture de l’année, mais bien pour un produit qui a monnayé sa candidature et qui se retrouve dans une sélection finalement très réduite. Cela entraîne la confusion des genres puisque le consommateur croit acheter, en magasin, le produit le plus innovant du rayon alors que ce n’est pas toujours le cas !”

La méthodologie est d’autant plus contestable, aux yeux de certains commentateurs, que les personnes qui participent à l’enquête n’ont jamais eu tous les produits entre les mains et qu’il ne s’agit donc pas de vrais tests comparatifs. Difficile, dans ce cas, de juger de l’attractivité et de la réelle innovation d’une marchandise !

En outre, l’enquête se fait par écran interposé et, dans cette logique, les marques connues et largement diffusées en grandes surfaces ont un avantage certain de visibilité sur les produits issus des petites sociétés, moins distribués et donc moins connus du grand public : “En allant au bout du raisonnement, on pourrait même parler de concurrence déloyale, car les PME n’ont tout simplement pas les moyens des grands groupes pour participer à cette compétition payante”, conclut le porte-parole de Test-Achats.

Histoire de modérer quelque peu le flux des critiques, l’administrateur délégué de Produits de l’Année Benelux SA ne cesse de souligner l’indépendance de sa structure, renforcée encore par un comité d’éthique et de parrainage “qui statue sur la validité des candidatures et la pertinence des innovations produits”.

Contrairement aux 5.000 consommateurs interrogés par le bureau d’études de marché, ce comité – composé d’une vingtaine de membres issus de plusieurs associations professionnelles – dispose du privilège de palper les produits mis en compétition avant de les retenir ou pas pour l’enquête en question. “Il s’agit d’un premier filtre, même si nous ne contrôlons pas, au final, la bonne réalisation de l’enquête, commente l’un de ces membres. A vrai dire, nous ne recevons aucune communication à ce sujet.”

Produits de l’Année : un business définitivement juteux

Selon nos informations, le travail d’enquête annuelle réalisé par Dedicated Research pour le compte des Produits de l’Année Benelux SA serait facturé entre 30.000 et 40.000 euros. Une paille dans la comptabilité du prestigieux label lorsque l’on sait que les 26 produits lauréats de 2011 auront versé chacun la somme de 17.000 euros en moyenne – plus de 440.000 euros au total – à la société détentrice du logo, sans compter évidemment les quelques milliers d’euros provenant des dossiers de candidature non retenus au second tour.

Juteux s’il en est, le business model des Produits de l’Année est une affaire qui marche et qui va certainement encore prospérer. “Notre croissance est spectaculaire, confirme Michel Vautherin. En 2010, le chiffre d’affaires consolidé s’élève à 3 millions d’euros avec une marge bénéficiaire de 50 % après investissement, alors qu’il n’était que de 232.000 euros en 2005. Et nous comptons bien augmenter ce chiffre d’affaires d’au moins 40 % dans les prochaines années.”

Pour ce faire, l’administrateur délégué de Produits de l’Année Benelux SA a déjà mis au point une stratégie implacable : l’élargissement des catégories en compétition. D’une vingtaine de catégories actuellement, le label pourrait en compter une cinquantaine dans les quatre ans à venir, selon Michel Vautherin, qui vient d’inaugurer cette année les catégories bricolage, décoration et jardinage aux côtés des traditionnelles sections de la grande consommation (alimentation, soins du corps, produits d’entretien, etc.).

“Plus de catégories, cela signifie plus de candidats et donc à terme plus de fric pour la société, analyse froidement un spécialiste du marketing. En outre, cet élargissement dopera la visibilité du logo des Produits de l’Année et renforcera donc encore la crédibilité de la marque aussi bien aux yeux du grand public qu’aux yeux des annonceurs. Et dans ce jeu-là, c’est un peu comme à L’Ecole des Fans : finalement, tout le monde est gagnant !”

Ce n’est pas tout. Non contente d’orchestrer la compétition sur les marchés belge et néerlandais, la structure Produits de l’Année Benelux SA veille désormais sur le business de huit autres pays européens (de l’Allemagne à la Norvège en passant par la Roumanie), déclinant ainsi le précieux concept à l’envi. De quoi susciter de nombreuses jalousies pour quelques années encore.

Frédéric Brébant

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