Des prix en trompe-l’½il

Une barquette de glace qui s’amincit, une brique de jus d’orange qui rétrécit, un rouleau de papier toilette qui raccourcit… Soucieux de préserver leurs marges, certains fabricants de produits alimentaires sont passés maîtres dans l’art de camoufler les hausses de prix.

Des formats qui fondent discrètement pour des prix identiques… Force est de constater que cette stratégie actionnée par les fabricants de produits alimentaires est vieille comme le pain et qu’elle tourne à plein régime. La réflexion de départ est évidente : comment préserver les marges face aux hausses des matières premières et à la baisse du pouvoir d’achat ? Très simple : en utilisant trois procédés différents et/ou en les combinant. D’abord, en changeant l’emballage, un procédé qui ouvre la voie à de très jolies augmentations. Ensuite, en modifiant la recette : on remplace des ingrédients onéreux par des matières premières moins chères. Enfin, en augmentant le prix au kilo, sans que cela soit visible sur l’étiquette.

Ce dernier tour de passe-passe est facile à réaliser puisqu’il suffit de modifier – réduire – le poids du produit ! Le consommateur n’y voit que du feu : son produit préféré n’est pas plus cher, il y en a juste un peu moins. Et il faut être un consommateur sacrément avisé pour remarquer cette “inflation masquée”. Car vendre du beurre en plaquette de 126 g, des pâtes en paquet de 428 g ou du shampoing en bouteille de 653 ml, c’est possible depuis près de deux ans, suite à une directive européenne qui autorise les industriels à conditionner leurs produits sans règle de poids ni de volume. Et si les magasins sont obligés d’afficher les prix à l’unité de mesure – par exemple au kilo ou au litre – pour permettre la comparaison des produits, les consommateurs n’ont pas toujours le réflexe de s’attarder sur ces chiffres inscrits en petites lettres…

Six mois après l’entrée en vigueur de la directive européenne, le quotidien suisse Le Temps avait comparé les emballages des produits agroalimentaires. Au cours de cette enquête, le journal avait remarqué que la barquette de glace Mövenpick était passée du litre à 0,9 l ou qu’une bouteille de boisson gazeuse ne contenait plus 1,5 l mais 1,4 l, ou encore qu’un dessert lacté avait maigri de 125 g – ces deux derniers conservant leur prix d’origine. Un mensuel français de défense des consommateurs s’était également penché sur cette problématique et avait observé que les biscuits Prince de Lu coûtaient toujours autant mais qu’ils ne pesaient plus que 300 g contre 330 g quelques mois plus tôt.

Plus récemment, de l’autre côté de l’Atlantique, le magazine de défense des consommateurs américains Consumer Reports s’est penché sur la taille des produits vendus en grande surface. En comparant les emballages des produits agroalimentaires sur un an, Consumer Reports a remarqué que certains produits avaient diminué de volume sans que les prix ne bougent ( voir infographie). Ainsi, le pot de glace Häagen-Dazs est passé de 453,6 g à 396,9 g, soit une baisse de quantité de 12,5 % pour le consommateur, autrement dit : un gain similaire pour l’industriel. Plus fort encore : la marque Ivory a fait passer sa bouteille de lessive de 850 ml à 680 ml sans changer l’emballage. Une diminution de 20 % !

Un gendarme alimentaire

Chez nous, Test-Achats et le SPF Économie n’ont enregistré aucune plainte de consommateurs à ce sujet même si certains exemples existent. “Un producteur de poudre de pudding a effectivement réduit son emballage sans diminuer le prix”, confie-t-on au SPF Économie. Notons aussi que le dernier rapport annuel de l’Observatoire des prix pointe une augmentation des prix des produits alimentaires plus rapide chez nous que dans les pays voisins.

Si les professionnels du marketing de l’industrie agroalimentaire ne semblent pas rivaliser d’astuces au niveau des formats, l’Observatoire remarque néanmoins que ce secteur répercute logiquement la flambée des matières premières auprès du consommateur mais que… l’inverse n’est pas vrai. “En cas de baisse du prix de revient, les prix à l’étalage ne bougent pas”, affirme-t-on au sein de l’Observatoire. Autrement dit, les intermédiaires en profitent pour augmenter leur marge brute. Cette situation ne devrait pas changer dans les prochains mois : “Au premier trimestre 2011, la progression des prix des produits alimentaires transformés s’est encore accélérée sous l’impulsion de denrées telles que le chocolat et le café”, explique Peter Van Herreweghe, président de l’Observatoire.

Pour apporter plus de transparence, le Conseil de la concurrence mène actuellement une enquête sectorielle sur les prix des produits alimentaires dans les supermarchés. De son côté, l’Observatoire veut se profiler comme un gendarme des produits alimentaires, quitte aussi à créer un “indice matière première” plus affiné en obligeant les enseignes à dévoiler leurs prix d’achat. De quoi permettre ensuite à l’Observatoire de définir un indice à porter en pied de facture. Pas sûr que ces initiatives enthousiasment les enseignes d’hypermarchés et leurs fournisseurs.

Valéry Halloy

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