Dell quitte la Bourse: les dessous d’un “tour de passe passe de génie”

En légère baisse, la fortune du fondateur et patron de Dell se chiffre à 14,6 milliards de dollars. Sa richesse a pâti du mauvais parcours en Bourse, depuis le mois de mars du titre Dell. Mais la majeur partie de la fortune de Michael Dell est liée à sa société d'investissement MSD Capital présente notamment dans la banque, l'immobilier, et les cabinets dentaires. © Reuters

Michael Dell rachète l’entreprise qu’il a créée pour éviter d’en être viré. Voilà résumé de manière un peu provocatrice la spectaculaire opération qui doit voir Dell et le fonds d’investissement Silver Lake organiser le retrait du groupe informatique de la cote boursière.

Un rachat d’actions qui devrait mobiliser 15 milliards de dollars, selon Bloomberg, et valoriser le n°3 mondial de l’informatique à plus de 24 milliards. Soit la plus grosse opération de LBO (rachat avec effet de levier) depuis depuis l’acquisition du groupe Hilton par Blackstone à l’été 2007. Pour convaincre les actionnaires de céder leurs titres, ces derniers se verront proposer une prime de 25% par rapport au dernier cours précédant l’annonce. Un deal apparemment alléchant mais qu’ils doivent encore approuver.

La sanction d’un échec

Ils pourraient d’autant plus y être tentés que la volonté de quitter la Bourse trahit bien l’échec du milliardaire texan qui a raté le virage de l’après PC et celui de la diversification dans les services. Comme HP, il a du mal à s’adapter à la nouvelle donne informatique. “Devant son incapacité à relever le cours de l’action et faire croître son entreprise, Michael Dell était devenu de plus en plus nerveux à l’idée de voir un actionnaire activiste comme Carl Icahn venir dans le capital et lui imposer une stratégie à laquelle il ne croirait pas, ou pire, demander son départ”, explique l’analyste Rob Enderle.

Depuis que Michael Dell a repris les rênes du groupe informatique en janvier 2007 (après les avoir abandonnées en 2003), son action en Bourse s’est effondrée de moitié. Il faut dire que Dell n’a cessé de perdre des parts de marché qui désormais inférieure à 11% au niveau mondial. Au point que l’ex n°1 mondial est désormais devancé par le chinois Lenovo.

Son chiffre d’affaires a stagné (autour de 61 milliards de dollars), tout comme ses profits (environ 3 milliards). Alors que dans le même temps, Apple a sextuplé ses ventes et vu ses profits multipliés par 12. “Michael Dell s’était moqué de Steve Jobs en 1997 et lui suggérait de fermer boutique et de rendre l’argent aux investisseurs. L’ironie de l’histoire fait que c’est lui qui est obligé de le faire pour sauver sa peau”, ajoute l’analyste.

L’achat de temps et d’indépendance

Une comparaison d’autant plus difficile à avaler pour les investisseurs que le groupe a dépensé pour près de 13 milliards de dollars en acquisitions pour rien. “La transformation de Dell en un fournisseur de solutions informatique pour les grandes entreprises mondiales, à l’instar d’IBM ou de HP, prend plus de temps que prévu. En la privatisant, Michael Dell se donne ainsi le temps de poursuivre sa stratégie à l’écart des regards court termistes de Wall Street”, insiste Roger Kay, analyste chez Endpoint Associates.

Cette impatience des marchés financiers commençait d’ailleurs à irriter sérieusement le fondateur. Interrogé lors de la dernière conférence Dell World sur le temps nécessaire pour achever cette transformation en un Dell 2.0, Michael Dell répondit ironiquement, “encore 5 ans!”.

Un tour de passe-passe de génie

Une fois l’opération de rachat finalisée, Michael Dell possèdera la majorité des parts de l’entreprise, contre 15,7% aujourd’hui et n’aura de compte à rendre a personne. “C’est un tour de passe-passe de génie, financé en grande partie par de la nouvelle dette, estime Pat Moorhead de Moor Insights. Une dette qui n’est d’ailleurs pas un danger pour l’entreprise car elle sera facilement financée par le cash-flow généré des ventes”.

L’aide surprise de Microsoft

Le dernier volet de l’opération est le prêt “à taux préférentiel” de 2 milliards de dollars par Microsoft qui aide Dell à racheter ses actions. Ce n’est pas la première fois que le géant du logiciel s’implique directement dans le matériel. Outre son activité de consoles de jeu, il a investi dans les liseuses de Barnes & Noble, a noué un partenariat avec Nokia et s’est lancé dans les tablettes. Cela n’en est pas moins une surprise, même si cette somme n’est que de l’argent de poche pour un groupe qui possède plus de 68 milliards de dollars en réserve. “Si Microsoft a sorti sa propre tablette Surface, c’est parce qu’aucun constructeur ne voulait prendre le risque de le faire. Ce petit investissement évite que cette mésaventure ne se reproduise et lui assure un canal de distribution pour ses produits”, estime Rob Enderle.

Au-delà c’est bien sûr son système de Windows 8 que Microsoft entend promouvoir, face à la concurrence d’Android. Désormais son obligé, Michael Dell sera naturellement moins porté à lui faire des infidélités pour équiper ses machines. Coïncidence ? Dell a justement annoncé en décembre dernier qu’il abandonnait les smartphones Android pour se concentrer sur les tablettes Windows 8…

Jean-Baptiste Su, dans la Silicon Valley

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