De l’eau dans le Gaz(prom)

Alexei Miller, CEO de Gazprom, et le président russe Vladimir Poutine. © AFP

Brouillé avec les Européens, concurrencé en Russie et désormais dans le viseur des Etats-Unis: les nuages s’amoncellent au-dessus du géant russe du gaz Gazprom, au point que l’idée d’un démantèlement devienne de moins en moins tabou.

Simple trou d’air ou déclin irréversible? Selon le ministère de l’Economie, la production de l’héritier du ministère du Gaz soviétique devrait s’élever cette année à 414 milliards de mètres cubes. Il s’agit du plus bas niveau de production de la période post-soviétique pour le groupe public assis sur les plus importantes réserves gazières au monde, dont le tiers des capacités restent ainsi à l’arrêt.

Et dans la course au gigantisme, Gazprom, qui valait avant la crise de 2008 plus de 300 milliards de dollars en Bourse et visait ouvertement les 1.000 milliards, pèse actuellement autour de 50 milliards, loin derrière les multinationales énergétiques.

“Gazprom se trouve confronté au plus grand défi de son histoire”, résume l’économiste Chris Weafer, du cabinet de conseil Macro Advisory. “La question, c’est de savoir s’il devient un simple appendice gazier du ministère des Affaires étrangères ou s’il évolue vers une compagnie énergétique d’échelle mondiale”, poursuit l’analyste, interrogé par l’AFP.

Les mauvaises nouvelles se multiplient pour la société: les livraisons sont coupées depuis début juillet vers l’Ukraine, un gros acheteur, la Commission européenne la poursuit pour abus de position dominante, elle perd des parts de marché en Russie face à ses concurrents…

Ambitions asiatiques

Un nouveau coup est venu de Washington, via une discrète publication dans le journal officiel de l’administration américaine, qui sanctionne le gisement Ioujno-Kirinskoïé au large de l’Extrême-Orient russe.

Or, ce projet de Gazprom doit servir de base à l’augmentation de la production de gaz naturel liquéfié (GNL) sur l’île voisine de Sakhaline, voire selon la presse entrer dans un échange d’actifs avec la major anglo-néerlandaise Shell. Son exploitation, à grande profondeur, semble compromise sans technologies étrangères.

Au delà de Gazprom, “c’est une mauvaise nouvelle pour la Russie car le développement du GNL constitue un objectif stratégique” avec pour objectif le marché Asie-Pacifique, observe Valéri Nesterov, analyste de la banque Sberbank Investment CIB.

Gazprom cherche de longue date à se tourner vers l’Asie alors que les relations se tendent entre l’Union européenne et l’entreprise, accusée régulièrement d’agir en suivant davantage les intérêts géopolitiques de Moscou que la seule logique commerciale. La crise ukrainienne n’a fait que renforcer la volonté de chaque côté de réduire sa dépendance à l’autre… sans pouvoir se passer l’un de l’autre.

Car le groupe russe ne cesse de le répéter: la demande en gaz augmente en Europe et les ressources russes restent les plus accessibles et compétitives face aux projets concurrents. Pour Gazprom, les exportations vers l’Europe, attendues en hausse cette année, continuent de générer de confortables bénéfices, encore en hausse au premier trimestre malgré la chute des cours des hydrocarbures.

TurkStream retardé

Bruxelles semble faire la sourde oreille, allant jusqu’à bloquer le projet de gazoduc russe South Stream vers le sud de l’Europe. En réaction, Vladimir Poutine a annoncé un autre tuyau, cette fois vers la Turquie. Les pays européens qui s’alimentent via l’Ukraine devront, à partir de 2019, aller y chercher le gaz russe dont ils ont besoin.

Gazprom veut donc aller vite. Mais le démarrage du chantier de “Turkstream”, prévu en juin, se fait attendre faute d’accord définitif avec Ankara, peu probable avant de nouvelles élections prévues en Turquie. Pour Mikhaïl Kortchemkine, du cabinet East European Gas Analysis, les chances du gazoduc d’aboutir sont même “proches de zéro”.

Pour ses détracteurs, Gazprom a réagi trop tard à l’évolution considérable au marché du gaz ces dernières années, en s’accrochant à ses contrats à long terme liés aux cours du pétrole.

Certains experts pensent que la Russie gagnerait à découper le mastodonte actuels en morceaux plus efficaces, réactifs et transparents. Ses concurrents verraient d’un bon oeil une libéralisation accrue du secteur gazier, tel le groupe pétrolier Rosneft, dirigé par l’influent Igor Setchine. Selon la presse russe, il a demandé au gouvernement d’ouvrir davantage les exportations de gaz à la concurrence et proposé de scinder le groupe en deux, séparant production et transport.

L’expert Mikhaïl Kortchemkine prédit un tel démantèlement “d’ici à quelques années”.

Avec l’AFP

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