Commerce : “L’anarchie n’est pas une bonne solution !”

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La proposition d’autoriser la vente à perte, avancée par le ministre de l’Economie, fait grincer bien des dents du côté des indépendants et du secteur du commerce. Ils dénoncent une “vision archaïque”, y voient au mieux un “bon diagnostic mais un mauvais remède”, voire prédisent des “commerces de proximité dévastés”.

Commerce : “Croire que le gigantisme sert le consommateur est une vision archaïque !” (UCM)

Le SPF Economie a comparé les prix alimentaires dans les supermarchés belges et dans les pays voisins. L’étude conclut que le panier coûte 10 % plus cher dans notre pays qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne, et suggère d’intensifier la concurrence et d’autoriser les ventes à perte.

“Ce n’est pas du tout la voie à suivre”, prévient l’Union des classes moyennes dans un communiqué publié mardi : “Les prix sont plus élevés en Belgique en raison de plusieurs causes objectives dont l’étude fait l’inventaire (taux de TVA, coût du travail, etc.). Elle évoque également les prix différents pratiqués par les producteurs et fournisseurs selon les pays. Ces handicaps ne sont pas et ne seront pas, à l’évidence, surmontés par une multiplication des enseignes et des surfaces commerciales !”

Rien n’indique, selon l’UCM, que les grandes marques de la distribution alimentaire présentes en Belgique s’entendent sur les prix ou réalisent des profits anormaux : “Plaider pour l’ouverture de nouveaux hypermarchés n’est en rien une solution au problème !”

Quant à autoriser les ventes à perte, ce serait une “illusion”, plaide encore la fédération : “Les enseignes se rattraperont sur d’autres produits. Le seul effet concret serait de donner aux grands distributeurs une arme pour éliminer leurs concurrents en utilisant des produits d’appel.”

“Croire que le gigantisme sert le consommateur est une vision archaïque”, assène l’UCM, qui dit “défendre le principe d’une concurrence loyale, réglementée, qui permet au commerce de proximité de vivre, y compris dans le secteur alimentaire. Cela va dans le sens d’une mobilité durable et du maintien d’une vie économique et donc sociale dans les centres-villes.”

Les magasins indépendants sont, à en croire la fédération, “les seuls à assurer l’accueil, le conseil, l’achat de quantités correspondant aux besoins… Ils garantissent la diversité du choix en développant des produits de niche et empêchent les monopoles ou les ententes sur les prix. Ils ont donc toute leur place dans le paysage commercial. Il serait absurde et contre-productif de répondre au problème soulevé par le SPF Economie en encourageant une concurrence sauvage et anarchique.”

Etude sur les prix : “C’est comme si un docteur posait le bon diagnostic – une grippe – et qu’il préconisait une amputation de la jambe !” (Comeos)

Les conclusions de l’étude du SPF Economie “confirment ce que les commerçants eux-mêmes clament déjà depuis longtemps : les concurrents dans les pays voisins peuvent proposer des prix moins élevés pour de nombreux produits”, indique Comeos, la fédération belge du commerce, dans un communiqué.

Avec un bémol majeur : “Les chiffres ne sont pas corrects !, nuance Dominique Michel, administrateur délégué de Comeos. Le rapport prétend que nos supermarchés sont 7 % plus chers qu’en France et même 10 % plus chers que nos concurrents allemands et néerlandais. Mais il n’est pas tenu compte des produits frais. Or, ceux-ci représentent plus d’un tiers de l’assortiment. Et c’est précisément pour ces produits que nos commerçants font beaucoup mieux. Sur la base de nos chiffres, nous arrivons à une différence de prix se situant entre 4 % et 5 %.”

Les causes avancées par le ministère sont bien exactes, estime toutefois le patron de Comeos : “La fiscalité, le coût du travail et les coûts des achats sont responsables de différences sensibles. Il est dommage et étrange à la fois que les pouvoirs publics ne puissent pas calculer quelle est la différence au niveau des taxes directes. Alors que ce sont ces mêmes pouvoirs publics qui perçoivent par exemple l’impôt des sociétés. De plus, il n’est à aucun moment tenu compte de la qualité à aucun moment : ni des produits ni des services. Quiconque fait ses achats aux Pays-Bas perçoit immédiatement la différence : assortiment moins large, marques propres de moindre qualité, etc.”

La fédération se réjouit néanmoins “que le rapport souligne clairement à plusieurs reprises qu’il n’y a pas de différence au niveau des marges bénéficiaires entre les pays. La différence ne s’explique donc pas par les bénéfices que percevraient les commerçants.” “Les coûts salariaux et la TVA sont chacun responsables d’une différence d’au moins 2 %, chiffre encore Dominique Michel. Pour la différence de prix d’achat, la même estimation prudente est effectuée. Ce qui signifie donc que, pour des produits identiques achetés auprès des mêmes fournisseurs, nos commerçants paient plus que leurs concurrents étrangers.”

“Nous nous attendions à ce que les pouvoirs publics prennent des mesures pour éliminer les handicaps compétitifs qui sont énumérés dans le rapport – mesures fiscales, pressions salariale, etc. – mais il n’en est rien, déplore encore Dominique Michel. Dans le rapport, les actions recommandées semblent avoir été rédigées par d’autres personnes. Elles vont à l’encontre de l’analyse qui a été réalisée et vont plutôt faire augmenter les prix dans les supermarchés que les faire diminuer. Pour nous, elles sont donc totalement incompréhensibles. C’est comme si un docteur posait le bon diagnostic – une grippe – et qu’il préconisait une amputation de la jambe.”

Pour Comeos, les recommandations qui sont avancées dans le rapport auront des effets négatifs sur le commerce, conclut son administrateur délégué : “Le Belge dépense actuellement déjà 2,5 milliards d’euros – par an ! – dans des magasins étrangers. Le rapport qui nous est présenté aujourd’hui montre clairement pourquoi nos clients franchissent la frontière : dans de nombreux cas, c’est pour bénéficier de meilleurs prix. Or les mesures qui sont proposées ne renverseront pas cette tendance. Nous espérons que les causes et l’analyse avancées par le rapport conduiront quand même à des mesures structurelles, comme une réduction des coûts salariaux et une baisse de la pression fiscale. Sans quoi cet exercice aura été vain.”

Commerce : “Permettre la vente à perte ne favorisera que les grandes chaînes !” (SNI)

Le Syndicat neutre pour indépendants estime, de son côté, que la vente à perte doit rester ancrée dans la loi : “Si la vente à perte devenait permise, les commerces de proximité seraient dévastés par les grandes chaînes qui peuvent toujours mettre quelque chose en promo pour attirer le consommateur !”, réagit Christine Mattheeuws, présidente du SNI.

Le SNI conseille de ne pas toucher à la loi sur la vente à perte, “dans l’intérêt du commerce de détail” : “Les grandes chaînes disposent d’une grande machine de marketing qui leur permet d’attirer des clients. Si l’interdiction de vendre à perte est abrogée, ces chaînes pourront encore vendre plus de produits à des prix dérisoires. Les commerces de détail et les superettes franchisées n’ont pas la possibilité de faire pareil.”

Le syndicat des indépendants craint que la permission de vendre à perte élimine beaucoup de commerces de proximité. “Cette permission se fera également au détriment du consommateur qui ne pourra plus disposer que d’une offre limitée, plaide-t-il encore.

Quant au système d’autocollants pour les marques de distributeur, cette proposition se ferait également au détriment des magasins d’alimentation locaux, conclut l’organisation des entrepreneurs indépendants. Des magasins “qui ne vendent que des marques, étant donné qu’ils ne sont pas liés à une chaîne particulière”.

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