Comment licencier son CEO?

© Image Globe/Dirk Waem

L’affaire Bellens a mis cette question sur le devant de la scène : licencie-t-on son CEO comme n’importe quel autre travailleur ? Si les règles juridiques sur le contrat de travail s’appliquent à tous, quelle que soit l’épaisseur des responsabilités et de la rémunération, il n’en reste pas moins que le renvoi d’un dirigeant s’opère généralement en respectant certaines spécificités…

Ce genre de discussions ne dépasse habituellement pas les murs feutrés d’une salle de réunion, entre costumes trois pièces s’efforçant de pratiquer la règle tacite du gentlemen’s agreement. Rares sont les affaires de ce type qui emplissent les salles d’audience des tribunaux du travail. Et, a priori, encore moins les colonnes des journaux.

Le “cas” Didier Bellens aura été l’exception qui confirme la règle, étalant en première page des médias la problématique du licenciement des CEO. Quoi qu’à y regarder de plus près, le patron de Belgacom n’est pas le seul exemple récent de ce genre de rupture de contrat. Jean-Claude Tintin, ex-boss de Belgocontrol, a lui aussi défrayé la chronique en septembre dernier en réclamant une indemnité de départ de 700.000 euros. On se souviendra également de l’éviction de Pierre-Eric Evrard de l’opérateur low cost Scarlet par Belgacom, ou encore celles – plus anciennes – de Marcel Buelens de l’aéroport de Charleroi ou d’Axel Miller chez Dexia.

Finalement, peut-on licencier un CEO comme n’importe quel autre employé ? Au regard du droit, la réponse semble positive. Avec toutefois, dans les faits, quelques nuances de taille. La première d’entre elles concerne le statut du patron en question. Officie-t-il sous contrat de travail ou en tant qu’indépendant ? Dans la première situation, les clauses de sorties sont déjà clairement indiquées dans le contrat, même si elles peuvent prêter à discussion. Dans la seconde, les choses peuvent se corser quant au calcul du montant des indemnités.

Une chance sur deux d’obtenir plus ? Mais au final, dans un cas comme dans l’autre, les questions de gros sous restent les plus épineuses. Certes, en négociant leurs contrats, les dirigeants avisés insistent habituellement pour que le document contienne des clauses financières complémentaires à l’indemnité légale. Le fameux parachute doré. Une sécurité confortable pour les patrons, souvent débauchés de leur précédente société. “Or en cas de licenciement, cela entraîne pas mal de discussions, souligne Gaël Chuffart, avocat associé chez CMS DeBacker. Quand on décide de se séparer de quelqu’un, c’est en général qu’on n’est pas content de lui et on n’a dès lors pas envie de lui verser un bonus…”

S’entament alors d’habiles négociations, au cours desquelles chacun avancera ses arguments pour faire pencher la balance de son côté. “Dans 50 % des cas, les personnes licenciées peuvent obtenir plus”, affirme l’avocat. Les discussions peuvent aussi tourner autour d’autres avantages, comme les stock-options. Le CEO devra-t-il garder ou revendre ses actions ? L’entreprise qui le remercie préférera souvent la seconde solution, même si elle ne peut contraindre à la revente. A charge pour elle de proposer une valorisation adaptée pour racheter les actions en question.

Quant au poste d’administrateur que le directeur occuperait en parallèle de ses fonctions opérationnelles, les choses sont claires : le mandat peut être révoqué ad nutum. “Soit sans donner aucune justification ni aucune indemnité”, résume Jean-François Goffin, avocat associé chez CMS DeBacker.

Une p’tite pièce pour le taxi Cela peut sembler anecdotique, mais la problématique liée à la voiture de société peut revêtir une importance non négligeable. “Imaginez un cadre qui se rend sur son lieu de travail le matin au volant de sa berline puis qui se fait licencier avec effet immédiat, étant obligé de rendre sur-le-champ sa véhicule, son ordinateur et son téléphone. S’il est contraint de reprendre le tram pour rentrer chez lui, cela risquera de crisper les futures négociations”, décrit Gaël Chuffart.

D’où ce conseil, habituellement prodigué par les cabinets d’avocats consultés en pareille situation : mieux vaut donner l’opportunité à la personne licenciée de conserver sa voiture encore au moins une semaine, le temps pour lui de prendre ses dispositions. “Le problème, c’est que de moins en moins d’entreprises l’envisagent, car elles récupèrent au final le véhicule dans un état lamentable. On recommande alors d’avoir au moins l’élégance de payer le taxi !”

Le diable est dans les détails. Tout comme dans les statuts de l’entreprise, qu’il vaut mieux relire avant de congédier quiconque “afin de vérifier qui est compétent pour mettre fin au contrat de travail, remarque Jean-Philippe Cordier, avocat associé chez Younity et maître de conférences à l’ULB et l’UCL. En général, ce sera le conseil d’administration représenté par deux administrateurs. Mais cela peut varier.” En cas d’erreur de “casting” au moment de l’annonce fatidique, le boss destitué pourra s’en servir comme argument en sa faveur si un litige se présente par la suite.

Quant à la motivation du licenciement, la loi ne diffère pas qu’il s’agisse d’un CEO ou de n’importe quel autre travailleur. Un cadre supérieur peut, comme tout le monde, être renvoyé sans que son employeur ne justifie sa décision. Sauf en cas de faute grave. “Si le dirigeant est sous contrat, l’employeur devra réagir dans un délai de trois jours à partir de la connaissance des faits, détaille Jean-Philippe Cordier. Mais s’il s’agit d’un indépendant, il n’y a pas de disposition analogue.”

Bonus à la transition Heureusement, toutes les ruptures de contrat ne se terminent pas sur une note de rupture de confiance définitive et immédiate. Dans un contexte moins houleux, une autre question épineuse peut se poser : quid du préavis ? En théorie, c’est à l’employeur de décider si celui-ci devra être presté ou non. “Dans les faits, il est très rare qu’il soit effectivement presté”, remarque Jean-Philippe Cordier. Difficile, en effet, d’imaginer un futur ex-CEO apprendre les ficelles à son remplaçant…

Quoique : “Pour assurer une bonne transition, on peut prévoir des bonus, des incitants financiers qui seront accordés si le passage de témoin se déroule de manière efficace”, suggère Gaël Chuffart. Qui conclut sur un conseil plutôt surprenant : “Celui qui envisage de licencier un CEO aurait intérêt à attendre le premier janvier 2014.” Point par charité, mais par intérêt financier. La loi sur l’harmonisation des statuts employés/ouvriers, qui doit entrer en application à cette date, devrait avoir des conséquences sur la durée du préavis. En la raccourcissant et en faisant passer la fameuse grille Claeys à la trappe, rendant les employés gagnant plus de 32.000 euros par an moins bien protégés face au licenciement qu’actuellement. “Les employeurs n’ont pas encore réalisé que ça allait être plus intéressant pour eux en cas de renvoi”, affirme l’avocat. Pourvu que cela dure, doivent espérer certains…

MÉLANIE GEELKENS

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