Comment Exki prépare son arrivée à New York

Frédéric Rouvez et Nicolas Steisel, cofondateurs d’Exki et “Managers de l’Année 2009”, se sont rendus, fin juin, à Manhattan dans le cadre de la mission princière. Objectif : préparer le terrain en vue d’y implanter leur concept de “fast-food” sain. Un pari risqué. “Trends-Tendances” les a suivis pendant 48 heures.

Sandrine Vandendooren, à New York
Frédéric Rouvez et Nicolas Steisel, les cofondateurs et administrateurs délégués de la chaîne de restauration rapide de qualité Exki, faisaient un peu figure d’ovni au sein de la délégation d’hommes d’affaires qui s’est rendue, fin juin, aux Etats-Unis sous la présidence du prince Philippe. Et pour cause : la mission économique était, pour la première fois, largement placée sous le thème de la biopharmacie (Trends-Tendances du 7 juillet). Mais qu’importe : participer à une mission princière ouvre des portes. Autant dès lors en profiter. “J’essayais de contacter un grand pâtissier français établi à New York depuis quelque temps. Quand je lui ai dit que je venais à Manhattan avec la délégation du Prince, il m’a immédiatement fixé un rendez-vous”, raconte Frédéric Rouvez. C’est que le temps file : la chaîne, qui fête ses 10 ans d’existence et qui compte à ce jour 55 restaurants en Belgique, au Luxembourg, en France, en Italie et aux Pays-Bas, s’est fixé une grande priorité pour cette année: décider si elle fait oui ou non le grand saut à New York.

A pied d’oeuvre à Manhattan depuis janvier
“C’est un projet que nous avons depuis trois ans mais avec la crise nous l’avions mis au frigo, explique Nicolas Steisel. Depuis janvier, nous avons une personne qui travaille à temps plein sur place pour défricher le terrain et réaliser une étude de marché. Elle est pilotée par Laurent Kahn, notre directeur général, qui est déjà venu ici trois fois en moins de six mois.” Pour les deux compères, le déplacement à New York est d’autant plus important qu’ils seront rejoints sur place, 24 heures plus tard, par les membres de leur conseil d’administration : Arnaud de Meeûs, qui a cofondé l’enseigne avec eux, et les trois frères Dossche (Ndlr :qui possèdent 65 % du capital de la société, le solde étant détenu à parts égales par les trois cofondateurs). Cette famille flamande originaire de Deinze est active dans la fabrication et la distribution de produits végétariens et bio via l’entreprise Biofresh. “Ainsi, nous pourrons décider en meilleure connaissance de cause si nous allons ou non aux Etats-Unis”, estime le duo d’entrepreneurs, élu “Managers de l’Année 2009”. Celui-ci est déjà convaincu d’une chose : pas question de se lancer dans l’aventure américaine via une formule de franchise. Le but étant, à l’image du Pain Quotidien qui cartonne aux Etats-Unis (51 restaurants, dont 29 à New York), de pouvoir garder le contrôle des opérations sur place. Deuxième certitude : il faudra adapter le concept Exki à la sauce américaine.

Encore de nombreuses questions à résoudre
Quant aux incertitudes, elles demeurent nombreuses. A commencer par la question que tout le monde se pose : n’est-il pas trop tard ni trop risqué pour s’imposer au royaume du fast-food et plus particulièrement à New York, où le concept “manger vite et sain”, initié par Exki en Belgique, se décline déjà sous diverses formules à tous les coins de rue de la Grosse Pomme ? Comment la formule belge peut-elle faire mouche à Manhattan ? Trends-Tendances a suivi les deux “Managers de l’Année 2009” dans leurs démarches à New York, pendant 48 heures.

22 juin, 14 h. Arrivée à New York, à l’hôtel Pierre, à deux pas de Central Park. C’est là que le prince Philippe et la princesse Mathilde ainsi que l’essentiel de la délégation belge se posent pour la durée de leur séjour à Manhattan. A peine installés, Frédéric Rouvez et Nicolas Steisel ont déjà rendez-vous avec Laurent Kahn, leur bras droit arrivé quelques jours plus tôt pour préparer le terrain. Première réunion de travail, premier topo sur le travail accompli par leur employée sur place et passage en revue des rendez-vous programmés.

22 juin, 18 h. Retour au programme officiel. Frédéric Rouvez et Nicolas Steisel assistent au premier discours que l’ambassadeur belge aux Etats-Unis, Jan Matthysen, prononce devant les membres de la délégation dans une salle de l’hôtel Pierre. C’est l’occasion pour nos entrepreneurs, pour qui il s’agit de la première mission princière, d’écouter attentivement les tuyaux lancés par les attachés commerciaux des trois Régions. En résumé : “soyez ponctuels, ne parlez jamais de politique, de sexe ni de religion avec vos interlocuteurs américains et n’ayez pas peur d’insister pour obtenir un rendez-vous ou un débriefing de votre entrevue !” Message reçu cinq sur cinq.

22 juin, 19 h. Réception à l’hôtel, l’occasion pour les deux hommes de saluer le couple princier. Le prince les reconnaît d’emblée car il leur a remis le prix de l’ “Entreprise de l’Année” décerné par Ernst & Young, à la fin de l’année. Quand la princesse Mathilde réalise qu’elle a en face d’elle les patrons d’Exki, elle les félicite : “Continuez, c’est délicieux ce que vous faites !” Un compliment apprécié par les intéressés car le pari new-yorkais est de taille.

Garder le contrôle sur les opérations américaines
23 juin, 10 h. Le programme commence par une rencontre avec le fameux pâtissier français précité, qui livre déjà une autre chaîne belge, le Pain Quotidien, à Manhattan. Rendez-vous très constructif, conclut Frédéric Rouvez à l’issue de la rencontre. Mais trouver de bons fournisseurs locaux n’est pas vraiment un problème pour les dirigeants d’Exki, qui n’en sont pas à leur première implantation internationale. Ils ont fait leurs armes à Paris, ce qui était loin d’être gagné d’avance. “Le plus dur c’est de trouver le bon concept et la bonne formule !”, souligne le tandem en pointant l’échec de la chaîne britannique “Prêt A Manger” (Ndlr : qui fut l’une de leur source d’inspiration avant de lancer Exki). Celle-ci a raté son premier essai avant de revenir quelques années plus tard avec un concept revu et corrigé. En clair : mieux adapté aux goûts des Américains.

23 juin, 12 h. Les deux hommes sont invités à déjeuner par BNP Paribas Fortis, qui possède une filiale américaine et dont ils sont déjà clients en Belgique. Autour de la table figure entre autres Filip Dierckx, le vice-président du comité exécutif de la banque, qui participe à la mission. Objectif : examiner d’éventuelles possibilités de financement sur place. “J’ai fait la connaissance de Filip Dierckx dans l’ascenseur de l’hôtel. Nous nous rendions tous les deux à la même réception”, remarque Frédéric Rouvez. Ce genre de contacts dans le cadre de missions princières permet de rompre la glace et d’entrer plus facilement dans le vif du sujet. C’est que les responsables de l’enseigne ont d’ores et déjà décidé que s’ils ouvraient une filiale aux Etats-Unis, celle-ci serait gérée par leurs soins. Il faudra donc un apport de fonds non négligeable. “Nous pourrions, tout en gardant le contrôle, nous associer dans le cadre de cette opération à un partenaire local qui pourrait nous apporter de l’expertise et participer à l’investissement. Nous avons déjà des pistes mais pas encore de business plan”, détaille Nicolas Steisel. La mise de fonds initiale serait de quelque 4 millions d’euros au minimum.

L’immobilier trois fois plus cher qu’à Bruxelles
23 juin, 15 h. Rendez-vous avec un expert local du marketing. Première conclusion : le nom et l’identité de l’enseigne verte à la carotte seront dupliqués outre-Atlantique mais il faudra vraisemblablement adapter le slogan (Natural Fresh & Ready) en insistant davantage sur le côté healthy (bon pour la santé), avancent les pères du concept. Il s’agira de se distinguer dans la jungle des snacks new-yorkais, où les termes “Fresh & Natural” sont quelque peu galvaudés. “Même le resto asiatique du coin joue désormais cette carte en placardant sur ses murs, comptoirs et frigos, des affichettes indiquant just made, just cooked, just baked ou encore 100 % natural”, relèvent-ils. “Les Américains accordent de plus en plus d’attention à une alimentation saine et aux produits qui respectent l’environnement. Avec notre offre de produits en partie bio, nous nous inscrivons dans cette tendance”, complète Laurent Kahn, le directeur général d’Exki.

23 juin, 18 h. En attendant devant l’hôtel le bus qui emmène la délégation à l’hôtel Waldorf Astoria où le consul général donne une réception belge en l’honneur du couple princier, Frédéric Rouvez croise le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt. C’est l’occasion de lui toucher un mot de l’investissement que l’entreprise bruxelloise a l’intention de réaliser en Wallonie. “Nous voulons agrandir l’atelier que nous avons à Nivelles. La Région wallonne accorde-t-elle des primes pour ce genre d’investissement ?”, l’interroge-t-il. “Bien sûr. Mon chef de cabinet va vous donner les renseignements”, lui répond le ministre en le présentant à son collaborateur. Voilà un gain de temps précieux pour le responsable d’Exki, qui sait désormais à qui s’adresser.

24 juin, 10 h. Rencontre avec un expert immobilier. “Un des gros points à régler, observe Nicolas Steisel, c’est le côté immobilier. Ici, les loyers peuvent aller du simple au triple par rapport à Bruxelles. On parle de 40.000 dollars par mois minimum, soit près de 500.000 dollars par an… Il faut déjà en faire, du chiffre, pour rentabiliser un point de vente !”

Le conseil d’administration dans les rues de Manhattan
24 juin, 14 h. Retour à l’hôtel : les quatre autres membres du conseil d’administration – Arnaud de Meeûs, Peter et Filip Dossche ainsi que Francis Ampe (le conseiller financier de la famille, qui représente les intérêts du troisième frère, Frederik) – viennent d’atterrir. Première réunion autour d’un café au bar de l’hôtel.

24 juin, 15 h. Visite de la concurrence à Manhattan. Premier arrêt : Dishes, sur Park Avenue, un nouveau concept américain au décor très design. Ici tout est blanc. “La chaîne a une excellente image de marque. Elle fonctionne uniquement le matin et le midi avec une réelle offre pour le petit-déjeuner”, explique Laurent Kahn aux administrateurs avant d’entrer dans le point de vente. Au menu : soupes, sandwichs, noodles… et surtout un comptoir où le client peut faire préparer sa salade à la carte, une spécialité très new-yorkaise alors que chez Exki, les salades composées sont toutes vendues emballées. C’est qu’ici ça grouille de personnel, les charges patronales étant bien moins élevées que chez nous. Premier constat : il faudra augmenter les portions car les Américains prennent généralement un plat consistant et n’en combinent pas plusieurs petits comme chez nous. Deuxième conclusion: il faudra faire de la restauration encore plus rapide. “Les Américains n’aiment pas attendre !” Et, vu le prix des loyers, les places assises dans le restaurant seront chères. 75 % des achats sont, en effet, des produits à emporter. Autre certitude : ici, on ne fera pas deux prix différents pour les produits consommés sur place (plus chers) et les plats à emporter. L’offre sera différente.

La décision finale sera prise fin septembre
La tournée des enseignes se poursuit par la visite d’un Prêt A Manger et d’un Fresh & Co, un concept également imprégné de vert. “C’est un copié-collé de ce que l’on a sur notre site”, relèvent nos managers. Puis, c’est au tour de Chipotle – une chaîne mexicaine cotée en Bourse et qui vient de débarquer à Paris – , de Chop’T, un bar à salades au décor vert et orange, et de Cosi Café. “C’est l’un des premiers concepts que l’on est venu voir avant de lancer Exki, rappellent les deux hommes. C’est le seul qui arrivait à changer les ambiances comme on voulait le faire en fonction des moments de la journée.” Dernière halte: Au Bon Pain, une enseigne qui, contrairement à ce que son nom indique, n’est pas française. Ici, les calories sont indiquées en dessous de chaque produit. “C’est une obligation aux Etats-Unis dès que l’on a cinq restaurants”, expliquent-ils, déjà bien au fait du marché américain.

Alors que la délégation belge emmenée par le prince Philippe met doucement le cap sur Washington, le week-end des responsables et administrateurs d’Exki reste studieux. Il est consacré à des réunions de travail où il sera question de marketing, de positionnement, des forces et faiblesses d’Exki par rapport à la concurrence… La décision finale sera prise lors du prochain conseil, qui se tiendra fin septembre. Wait and see…

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