Chiesi, l’entreprise familiale qui résiste aux multinationales de la pharma

Alessandro Chiesi, Ugo Di Francesco et Alberto Chiesi. © Thomas De Boever

Le secteur pharmaceutique est dominé par les multinationales. A une exception près : l’entreprise familiale italienne Chiesi. Une spécialisation ciblée et beaucoup d’attention pour la R&D lui ont permis de devenir un acteur d’envergure mondiale.

L’inauguration de ses nouveaux locaux à Diegem a été l’occasion pour la direction de Chiesi de visiter son site belge. L’entreprise familiale n’est arrivée dans notre pays qu’il y a six ans. ” Au départ, le marché belge nous semblait moins intéressant et nous avions choisi de travailler avec un distributeur local. Mais comme des collaborateurs propres sont toujours de meilleurs ambassadeurs des valeurs et de la philosophie d’une entreprise, nous avons fini par développer une organisation propre ici. La présence de nombreux centres décisionnaires européens à Bruxelles n’est pas non plus étrangère à cette démarche “, explique Alessandro Chiesi, head Europe region et digne représentant de la troisième génération de la famille à la tête de l’entreprise italienne.

Cette gestion autonome de la filiale belge s’est traduite par des taux de croissance remarquables ces dernières années : ” En 2015, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 20,6 millions d’euros, environ 7 % de plus qu’en 2014. La Belgique a ainsi fait un peu mieux que la moyenne du groupe en Europe “, explique le manager général belge, Geert Van Hoof. ” Cette année, nous tablons sur une consolidation de notre chiffre d’affaires. L’objectif est de renouer avec la croissance au cours des années à venir. Nous voulons atteindre les 30 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. ”

Dans le top 5

Il y a eu une époque où chaque semaine, nous avions au moins un acheteur potentiel qui venait prendre le café.” – Ugo di Francesco

La grande percée de Chiesi date de la fin des années 1970. Le Clenil, une préparation à base de cortisone contre l’asthme, le rhume des foins et l’inflammation des voies respiratoires, s’est rapidement imposé comme un produit vedette. Ce succès a incité l’entreprise à se concentrer sur le traitement des maladies des voies respiratoires. Près de 40 ans plus tard, le Clenil est toujours sur le marché. L’an dernier, ses ventes ont augmenté de près de 3 % à plus de 176 millions d’euros. Il reste un des médicaments phares de Chiesi.

Mais la star absolue est le Foster (commercialisé en Belgique sous le nom de Inuvair), avec un chiffre d’affaires de 492 millions d’euros. Les médecins le prescrivent à des adultes comme traitement régulier contre l’asthme ou les symptômes de maladie pulmonaire obstructive chronique grave (MPOC).

” Nous figurons dans le top 5 mondial dans l’important segment des maladies des voies respiratoires , s’enorgueillit le CEO Ugo di Francesco. Nous sommes également actifs en néonatalogie. C’est sans doute un segment beaucoup plus modeste, mais avec une part de marché d’environ 70 %, nous en sommes le leader incontesté. Enfin, nous avons plus récemment développé quelques médicaments pour le traitement de maladies rares. ”

En 80 ans, Chiesi est devenu un acteur d’envergure mondiale. Cette année, le chiffre d’affaires dépassera pour la première fois le cap du 1,5 milliard d’euros. Mais le management ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. ” Nous tablons sur un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros pour 2020, et nous voulons atteindre les 3 milliards d’euros en 2025, explique l’ambitieux CEO. D’un point de vue géographique, les Etats-Unis et la Chine sont nos grandes priorités pour les années à venir. Ces marchés recèlent encore un potentiel énorme. Mais bien entendu, nous ne négligerons pas notre marché domestique européen. Il revêt en effet une grande importance stratégique. ”

Chiesi, l'entreprise familiale qui résiste aux multinationales de la pharma
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Le surcroît de chiffre d’affaires doit provenir en premier lieu de la croissance organique, mais Chiesi ne répugne pas à procéder à des acquisitions. ” Nous recherchons avant tout des entreprises complémentaires dans des segments sur lesquels nous sommes déjà actifs. Mais les acquisitions se négocient souvent à des prix prohibitifs dans le secteur pharmaceutique. Financièrement, il est parfois difficile de se mesurer aux grandes multinationales “, reconnaît Ugo di Francesco.

Recherche et développement

De nombreux gouvernements se serrent la ceinture. Une des stratégies les plus populaires pour éviter tout dérapage du budget de santé est de peser sur les prix des médicaments. ” Nous apprenons à vivre avec cette réalité , soupire le docteur Alberto Chiesi, président du groupe. La population s’accroît et les gens vivent de plus en plus longtemps. Il est logique que les coûts de la santé augmentent et que cela ait un impact important sur le budget, mais on ne peut pas économiser à l’infini. La science a réalisé de grands progrès ces dernières années et on dispose de très nombreuses nouvelles molécules prometteuses qui exigent encore des recherches. Il est dommage que les pouvoirs publics se concentrent exclusivement sur le facteur coût et ne tiennent pas compte des avantages des nouveaux médicaments, notamment en termes de qualité de vie pour la population. ”

Nous ne ressentons pas la pression d’investisseurs ou d’analystes, ce qui nous permet de prendre toutes nos décisions dans l’intérêt de notre entreprise.” – Alessandro Chiesi

La famille Chiesi ne se laisse pas décourager et investit lourdement dans la recherche et développement chaque année. L’an dernier, l’entreprise y a consacré 302 millions d’euros, soit 1,6 % du chiffre d’affaires. Selon les provisions internes, ce montant devrait atteindre 340 millions d’euros cette année. Sur les quelque 5.000 collaborateurs que compte le groupe, 150 environ travaillent dans un des cinq centres R&D.

Les efforts de recherche se concentrent toujours sur les maladies des voies respiratoires. Pour les maladies graves, Chiesi mise surtout sur des partenariats avec des universités et d’autres entreprises. L’acquisition de l’entreprise scandinave Zymenex s’inscrit dans cette stratégie. En absorbant cette entreprise biotechnologique, Chiesi a acquis un savoir-faire et une expertise dans le traitement de maladies rares à l’aide de thérapies enzymatiques de substitution. En outre, Chiesi a créé l’institut de recherche sur les cellules souches Holostem, en collaboration avec l’Université de Modène.

Tous ces efforts se traduisent par un pipeline impressionnant de plus de 40 programmes de recherche, dont quelques produits sont proches d’une mise sur le marché. A court terme, Chiesi attend beaucoup du programme Triple, une combinaison de trois médicaments dans un seul inhalateur qui améliorera sensiblement le traitement et la qualité de vie des patients souffrant de MPOC.

Les avantages d’une entreprise familiale

Ce pipeline de grande qualité et ces bons résultats financiers ne sont naturellement pas passés inaperçus dans le petit monde de l’industrie pharmaceutique. ” Il y a eu une époque où nous avions chaque semaine au moins un acheteur potentiel qui venait prendre le café, sourit Ugo di Francesco. Et nous avons chaque fois expliqué que nous étions très jaloux de notre indépendance. Aujourd’hui, tout le monde l’a compris et on ne fait plus la file devant notre porte. ”

Quand nous demandons à Ugo di Francesco si ce caractère familial n’est pas un inconvénient au milieu de géants comme GlaxoSmithKline et AstraZeneca, la réponse fuse. ” Nous n’avons pas d’accès direct au marché des capitaux, et c’est peut-être un handicap. Mais nous avons quand même atteint une certaine échelle qui nous offre la possibilité de financer de grands projets. Une entreprise familiale présente surtout de nombreux avantages. Première grande différence : nous pouvons nous concentrer sur un seul domaine, contrairement à la plupart des multinationales. En outre, une entreprise familiale est par définition plus flexible et permet de privilégier une vision à long terme. Nous ne ressentons pas la pression d’investisseurs ou d’analystes, ce qui nous permet de ne prendre que des décisions qui profitent à notre entreprise. ”

La gouvernance est aussi une priorité chez Chiesi. A l’exception du CEO externe, le conseil d’administration se compose exclusivement de membres de la famille. ” Mais nous avons un conseil consultatif très actif où siègent des pointures internationales dans différentes disciplines : des médecins, des scientifiques, des juristes, des banquiers, etc. Pour nous, c’est une caisse de résonance précieuse, que nous écoutons avec attention “, précise le président Alberto Chiesi.

La famille en 80 ans

1935 : Giacomo Chiesi commence son aventure d’entrepreneur avec l’acquisition d’un laboratoire pharmaceutique à Parme.

1955 : Après la Seconde Guerre mondiale, Chiesi lance sa première pommade à la pénicilline. La gamme de produits s’étend rapidement et l’entreprise inaugure un site de production flambant neuf en 1955. Chiesi compte déjà 50 travailleurs.

1966 : Avec Alberto et Paolo, la deuxième génération reprend le flambeau. Sous leur direction, l’entreprise amorce son internationalisation.

1979 : Le lancement du Clenil, le produit vedette de Chiesi, constitue un moment charnière. Son succès pousse le groupe à se concentrer sur les maladies des voies respiratoires.

1987 : Avec l’ouverture de nouveaux sites en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique du Nord, en Asie et en Chine, Chiesi constitue un réseau international étendu qui lui permet d’être aujourd’hui actif dans plus de 60 pays. La troisième génération a fait son entrée dans la direction au début du siècle.

2010 : Chiesi ouvre son site belge

2013 : En acquérant l’entreprise danoise Zymenex, Chiesi fait ses premiers pas dans la biotechnologie.

Par Dirk Van Thuyne.

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