Chez Ryanair, la revanche des pilotes

Un moment de honte est vite passé. "On a foiré", a concédé Michael O'Leary. © Belgaimage

Michael O’Leary a sous-estimé la crise du marché des pilotes qui frappe la compagnie. Ryanair devrait s’en sortir, sans remettre en cause son modèle ultra-low cost, en calmant les passagers avec des promos à petits prix et les cockpits avec des primes ciblées.

Un moment de honte est vite passé. C’est ce qu’a dû se dire Michael O’Leary, le CEO de la compagnie irlandaise lorsqu’il a été contraint, vendredi 15 septembre, de défendre sa décision d’annuler 2.100 vols sur six semaines, soit 2 % du trafic. Pour un cafouillage reconnu dans la gestion des pilotes. ” On a foiré là-dessus “, a dit Michael O’Leary. En général ce sont plutôt ses concurrents Air France ou Lufthansa qui embarrassent les passagers avec des grèves de pilotes… et attiraient les railleries du patron de Rynair.

L’impact de cette crise pourrait être moindre que ce que laissaient penser les titres de la presse au moment de l’annonce et ceux qui ont suivi pour parler de grève du zèle des pilotes. Journaux et télés abondaient en récits, des jeunes mariés qui avaient vu leur lune de miel fondre, aux fans de foot qui ont manqué le match de leur équipe. Sans parler des mises en demeure des organisations de consommateurs comme Test-Achats. ” Le choc a surtout été dur pendant ces premiers jours “, note Jean-Jacques Cloquet, patron de l’aéroport de Charleroi, qui a appris l’annulation des vols quasiment en même temps que les passagers. ” Depuis que la liste des annulations a été publiée pour les six semaines, c’est plus calme. ” Les passagers peuvent s’organiser bien à l’avance, changer les vols ou se faire rembourser. Même si la contrariété demeure, il n’y a plus de stress. L’impact à Charleroi devrait rester limité à 40.000 passagers. Cela reste modéré pour un aéroport qui accueillait 7,3 millions de voyageurs l’an dernier, et qui devrait encore connaître une croissance cette année.

Coût modéré de la crise

Les analystes financiers sont eux-mêmes peu stressés sur le sujet. Pénélope Butcher, de Morgan Stanley, parle dans une note du 18 septembre d’un ” impact financier minimal “. Il n’y a pas eu de marée dans le changement de rating. Le cours de Bourse n’a pas connu de chute. Juste quelques points d’érosion. Rien à voir avec le dieselgate pour VW. Quelques analystes, toutefois, notent qu’il pourrait y avoir des effets à moyen terme, avec une petite hausse du coût des pilotes. La facture de la crise devrait être en tout cas nettement inférieure à celles de crises similaires de compagnies comme Lufthansa (lire l’encadré ” Une crise low cost ? “). Ryanair s’est engagé à rembourser les tickets ou à proposer d’autres vols sans frais supplémentaires. Lors de l’assemblée générale de Ryanair, qui se tenait le 21 septembre, Michael O’Leary a indiqué qu’il n’y aurait pas de changement dans la guidance sur le profit net pour l’exercice 2018 (clôturé fin mars), entre 1,40 et 1,45 milliard d’euros, en légère hausse sur 2017.

Cet optimisme tient à la mécanique de la maison : en cas de crise, de coup de mou sur le marché, Ryanair fait le plein en lançant des campagnes à petit prix, des vols à 9,99 euros. A ce tarif, les inhibitions s’envolent. La réputation de la compagnie irlandaise n’a jamais été formidable, sauf sur le chapitre du prix, de l’étendue du réseau et… de la ponctualité. Malgré des conditions de vente très rigides, un service clientèle minimal, une réticence génétique à rembourser ou à verser des compensations en cas de problème (annulation, retard), la clientèle est toujours plus nombreuse : elle est passée de 76 millions en 2012 à 120 millions pour l’exercice 2017 (clôturé fin mars). C’est un peu comme la SNCB : même s’il y a des retards de temps à autre, les voyageurs pestent mais reviennent. Le 15 septembre, le jour de l’annonce des annulations, Ryanair avait, bien à propos, lancé une campagne de promo avec 50.000 tickets à 9,99 euros, d’octobre à décembre, et elle en a lancé une autre, le week-end du 23 septembre.

Chez Ryanair, la revanche des pilotes

Un couac dans la gestion des pilotes

On peut cependant se poser des questions sur les origines de cet énorme couac. Le management de Ryanair a fait preuve d’une étonnante légèreté dans la gestion des pilotes. Ils représentent un tiers de l’effectif de la compagnie (4.058 sur un total de 13.026), dont au moins 50 % sont des indépendants. Ryanair a d’abord mal anticipé un changement qui était prévu de longue date dans les congés. L’Irlande était le seul pays de l’Union européenne où les congés des pilotes pouvaient être calculés sur une année à cheval, d’avril à mars. L’Union lui a imposé de respecter la règle européenne de l’année calendaire de janvier à décembre. Du coup, pour 2017, les pilotes devaient prendre leurs congés (un mois d’un seul bloc) juste après l’été, avant fin décembre et non plus avant fin mars de l’année prochaine. Trop confiante dans son habilité à gérer des plannings complexes, la compagnie s’est aperçue trop tard qu’elle avait trop de pilotes en congé en septembre et octobre.

Ce crash (virtuel) a été amplifié par une hausse de la demande de pilotes confirmés sur le marché qui aurait accru le nombre des désertions chez Ryanair. Cette année, 140 pilotes de la compagnie irlandaise sont partis chez un autre low cost, Norwegian, qui se développe dans le long courrier. ” Le marché est très tendu, ça recrute énormément “, confirme Denis Petitfrère, patron d’une école de pilotage basée à Gosselies, New CAG. Celle-ci a formé 35 pilotes l’an passé, dont près de la moitié sont partis chez Ryanair. ” Brussels Airlines recrute, continue Denis Petitfrère. Air France, qui n’avait plus recruté personne pendant 10 ans, a rouvert les vannes, et Lufthansa cherche aussi des pilotes. ” Selon les calculs de l’association irlandaise des pilotes, IALPA, 718 pilotes sont partis de Ryanair sur l’exercice 2017, contre 407 sur l’exercice précédent.

Des primes mal accueillies

Ryanair offre à présent des primes de 12.000 euros aux pilotes (6.000 euros pour les copilotes) qui acceptent de sacrifier 10 jours de congé et de s’engager à ne pas quitter la compagnie avant novembre 2018. Ces primes ont été contestées par des ERC (Employee Representative Councils), des comités d’entreprise représentant le personnel. Sur certaines bases où le problèmes est encore plus aigu, Ryanair accepte de payer une prime inconditionnelle de 10.000 euros. La compagnie recrute aussi des pilotes confirmés en promettant un bonus de bienvenue de 10.000 euros.

Beaucoup a été écrit sur Ryanair et ses pilotes. Elle n’est pas aussi généreuse qu’Air France, mais elle a un avantage pour la profession : elle recrute massivement. Plus de 700 pilotes par an. Or, les jeunes pilotes ont toutes les peines du monde à trouver un employeur qui va leur permettre d’accumuler des heures de vol et devenir ainsi un pilote confirmé, nettement plus attractif sur le marché. Ils paient 60.000 à 100.000 euros dans des écoles privées pour obtenir une licence et ont souvent ramé pour trouver une compagnie. Il y a, en Belgique, des centaines de titulaires d’une licence de pilote qui n’ont jamais trouvé d’emploi. Beaucoup ne font pas les heures de vols et les séances de simulateur nécessaires pour rester ” recrutables “. Ryanair n’a donc aucun mal à trouver des jeunes, malgré des conditions drastiques. S’ils sont sélectionnés, ils peuvent entrer à la compagnie (comme indépendants au départ) mais doivent payer leur qualification sur l’avion utilisé par l’entreprise, le Boeing 737 (plus de 30.000 euros pour une qualification).

Chez Ryanair, la revanche des pilotes

Une compagnie tremplin

Après cette formation, les jeunes copilotes gagnent environ 55.000 euros annuels brut, deviennent commandant de bord assez rapidement, en tout cas plus vite que dans les compagnies traditionnelles. Ensuite, c’est à eux de voir s’ils vont voir ailleurs pour gagner tout de suite 10.000 euros (et plus) par mois, ou s’ils restent chez Ryanair, avec l’espoir de dépasser les 100.000 euros par an. ” C’est une bonne voie d’accès au métier, confirme Denis Petitfrère. Beaucoup partent, mais certains restent car le rythme de travail chez Ryanair est très régulier et c’est pratique pour la vie de famille. Vous savez des mois à l’avance quand vous serez en service et quand vous partirez en congé, selon le rythme de quatre jours libres après cinq jours de vol. Ce n’est pas le cas partout. ”

La crise actuelle donne l’espoir à certains pilotes d’améliorer leurs conditions. Aux primes proposées par la direction de la compagnie, les ERC (comités d’entreprise) demandent plutôt une négociation pour obtenir un changement des contrats. En transformant les contrats irlandais en contrats conformes au droit des pays de chacune des 83 bases de la compagnie. Les ERC surfent sur un avis récent de la Cour de justice européenne concernant un conflit avec d’anciens salariés navigants présenté devant la cour du travail de Mons. Cette dernière se demandait si elle était compétente pour juger un conflit portant sur un contrat d’emploi irlandais. La Cour européenne a répondu positivement, sans préciser quel droit devrait s’appliquer, belge ou irlandais (Ryanair estime bien sûr qu’il s’agit de l’irlandais).

L’impact de la grève du zèle

Les moyens de pression des pilotes restent très limités. Ils ne sont pas syndiqués et sont éparpillés sur des dizaines de bases. Beaucoup sont indépendants, donc vulnérables. D’où une approche soft : une grève du zèle annoncée le 22 septembre. Au moment où nous clôturons cet article, le 25 septembre, il s’agissait surtout d’un effet d’annonce, le trafic a été très peu impacté durant le week-end de l’action. La compagnie, qui a ignoré la demande des ERC, table sur ses primes ciblées pour calmer la situation et un tassement de la mauvaise humeur.

Il est donc prématuré de parler de la fin du modèle low cost à l’irlandaise. Il s’agit plutôt d’un ajustement douloureux. Même si Ryanair devait lâcher plus de lest, la compagnie peut absorber sans difficulté une hausse du coût du cockpit. La société d’analyse Bernstein évalue à 10 % l’augmentation des coûts opérationnels qui pourrait survenir. ” Même le doublemement de cette augmentation ne devrait pas affecter la position de Ryanair de compagnie low cost la plus pingre “, estime le Financial Times. A fortiori, elle restera encore hyper compétitive face à la concurrence des compagnies régulières traditionnelles (Air France, Lufthansa) dont le coût par siège au kilomètre est au moins le double de celui de Ryanair.

Norwegian et Charleroi

L’aéroport de Charleroi espère toujours que la compagnie low cost Norwegian vienne ouvrir des vols longs courriers à Gosselies. Pourtant, la crise des pilotes de Ryanair pourrait indirectemement mettre à mal cette espérance. Ryanair a longtemps discuté avec Norwegian pour associer leurs business. La compagnie irlandaise aurait apporté des passagers pour les vols longs courriers que Norwegian lance un peu partout en Europe. Notamment à Charleroi, une de plus grosses bases de Ryanair, qui serait devenu un aéroport de correspondances. La crise des pilotes a toutefois tendu les relations entre les deux compagnies. Ryanair n’a pas apprécié que Norwegian recrute en masse dans ses rangs. Le CEO de la compagnie irlandaise a même cherché à déstabiliser son partenaire potentiel en déclarant qu’il était en difficulté : ” Norwegian va s’effondrer d’ici quatre ou cinq mois. Elle arrive en crise de liquidités”, a-t-il déclaré à la revue Travel Weekly. Il avançait que la compagnie n’avait pas l’argent pour payer les livraisons de ses commandes massives (plus de 200 avions). Norwegian a contesté cette accusation…. et les négociations entre les deux compagnies ont été rompues.

Norwegian relie désormais Londres à Las Vegas. Bientôt à Charleroi ?

Ce clash ne perturbe pas l’aéroport de Charleroi, où l’on estime que des vols Norwegian pourraient s’organiser avec ou sans accord avec la compagnie irlandaise. Il ne serait même pas nécessaire d’attendre

l’allongement de la piste en 2021 car Norwegian se fait livrer des avions de capacité moyenne, des Boeing 737 en version adaptée au long courrier, qui peuvent décoller d’une piste de moins de 3.000 mètres, comme celle de Charleroi. Norwegian s’est montrée intéressée par Charleroi mais n’a encore rien décidé.

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