Ces distributeurs français qui délocalisent leurs achats en Belgique

Michel-Edouard Leclerc © BELGA
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

D’après l’hebdomadaire économique Challenges, qui a pu recueillir des témoignages de fournisseurs, le distributeur français Leclerc a implanté une centrale d’achat à Bruxelles pour échapper aux contraintes du droit commercial français et bénéficier de conditions fiscales avantageuses. Michel-Edouard Leclerc dénonce sur son blog “des accusations aussi fausses que malveillantes”.

C’est une petite phrase postée la semaine dernière sur son blog par le patron de Nestlé France qui a, semble-t-il, délié les langues. “Que penser ainsi de la création de la grande centrale d’achat Eurelec Trading à Bruxelles, au travers de laquelle un distributeur français négocie, commande, fait livrer et facture depuis la Belgique des produits français à destination d’entrepôts français, de magasins français, pour des consommateurs français, tout en s’affranchissant des contraintes du droit et de la fiscalité française?”, écrit Richard Girardot. Et l’industriel de poursuivre: “La manoeuvre est habile pour acheter à des prix toujours plus bas. Elle est injuste pour tous ceux qui respectent le droit et en assument le coût. Elle est indigne si elle pousse ceux qui ne peuvent pas répondre aux injonctions de baisse de prix permanente à aller s’approvisionner au moins cher, au risque d’acheter des produits issus de pratiques peu scrupuleuses.”

Notre droit commercial moins contraignant qu’en France

Le distributeur français en question n’est autre que Leclerc, leader de la distribution dans l’Hexagone. Avec l’allemand REWE, le groupe a créé l’année dernière une société basée à Bruxelles, au travers de laquelle il négocie les contrats et les prix avec les multinationales. “L’objectif est d’échapper à la loi de modernisation économique, explique Kira Mitrofanoff, rédactrice en chef adjointe du magazine économique Challenges, qui révèle l’information. Cette loi prévoit notamment des contraintes plus pointilleuses en ce qui concerne les contreparties aux baisses de prix.” D’après l’hebdomadaire, plusieurs multinationales auraient été invitées par le groupe à venir négocier leurs tarifs français à Bruxelles. “Les industriels français auxquels j’ai pu parler en off étaient ulcérés”, affirme la journaliste. “Les acheteurs de Leclerc nous ont demandé de nous aligner sur les prix pratiqués en Allemagne et donc de baisser fortement nos propositions sans aucune compensation comme l’exige pourtant la loi française”, témoigne l’un d’eux, sous couvert d’anonymat. Pepsi, qui aurait refusé, a vu la sanction tomber rapidement, indique Challenges. Les produits Tropicana ont été déréférencés pendant un trimestre. Et l’inquiétude est en train de monter parmi les fabricants car, toujours selon le magazine, d’autres distributeurs français comme Casino et Intermarché réfléchiraient à mettre en place des structures similaires.

Comment expliquer une telle démarche? Dans l’Union européenne, lorsque deux parties à un contrat se trouvent dans des pays différents, elles peuvent choisir le droit applicable ainsi que les tribunaux compétents. Et notre droit commercial est moins contraignant qu’en France. “C’est le droit des contrats classique qui régit les rapports entre distributeurs et fournisseurs, explique Patrick Kileste, avocat spécialisé en droit de la distribution commerciale. Nous n’avons pas, comme en France, de loi sur l’abus de position économique.”

“Une coopérative ne fait pas de bénéfices”

Leclerc n’a pas souhaité répondre aux nombreuses sollicitations de Challenges en vue d’un commentaire, explique sa rédactrice en chef adjointe. Après publication de l’information, le big boss de l’entreprise a préféré répondre via son blog. “Richard Girardot a porté des accusations aussi fausses que malveillantes à l’égard d’une société européenne d’achat créée par E.Leclerc et son partenaire allemand REWE, écrit Michel-Edouard Leclerc. Pas la peine de raconter de fausses histoires et d’agiter le drapeau noir, Eurelec n’a jamais eu vocation à négocier quoi que ce soit avec des PME françaises ou allemandes. C’est une société qui doit permettre aux magasins des deux enseignes, répartis dans quinze pays d’Europe, de bénéficier de l’expertise et de la massification issues de regroupements de commandes auprès des grandes marques internationales des secteurs de l’alimentaire, de l’hygiène, de la beauté, de l’électroménager, ou des produits techniques. On fait en plus petit ce que Nestlé fait pour ses approvisionnements, sur chaque continent!”

En ce qui concerne les accusations de détournement de la loi ou de recherche de l’avantage fiscal, le patron de Leclerc se veut très clair: “Tout le monde peut savoir qu’une coopérative (c’est le statut d’Eurelec Trading, Ndlr) ne fait pas de bénéfices et que les magasins sont les seuls centres de profit. En conséquence, quel que soit le lieu où ils effectuent leurs achats, les centres E.Leclerc français paient la totalité de leurs impôts et taxes en France. Voilà une réalité qui a dû échapper au PdG de Nestlé France, tant il doit être plongé dans la renégociation du énième accord fiscal franco-suisse permettant à sa société de rapatrier, sous les auspices de la fiscalité helvète, de succulents montants réalisés grâce aux consommateurs français. Et toc! Quant au contournement de la loi, faudrait savoir. A plusieurs reprises, Challenges, comme beaucoup de journaux, a relayé l’idée que j’aurais tenu la plume de Nicolas Sarkozy pour rédiger la loi de modernisation économique qu’ils se sont plu à rebaptiser la ‘Loi MEL’, tant elle serait favorable à E.Leclerc.”

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