Ces chiffres qui font la polémique du cinéma français

La tribune du distributeur et producteur de cinéma Vincent Maraval “Les acteurs français sont trop payés !” a déclenché un débat sur l’économie de l’industrie cinématographique française. Retour en chiffres, sur la controverse.

Depuis que le distributeur et producteur Vincent Maraval a publié sa tribune sur les salaires excessifs que toucheraient les acteurs français, les “contre-tribunes” et autres éditos se multiplient, faisant gonfler la polémique. Les acteurs sont-ils vraiment surpayés ? Le cinéma Français est-il drogué aux subventions ? Le rappel des principaux chiffres du débat.

Dany Boon a touché 3,5 millions d’euros pour Le Plan Parfait

Pour illustrer la folie rémunératrice des acteurs français, Vincent Maraval cite l’exemple Dany Boon, qui a perçu pour son dernier film, Le Plan Parfait, un cachet de 3,5 millions d’euros. Sauf que le film, doté d’un budget de 26 millions d’euros, a fait un four, avec moins d’1,2 million d’entrées. Autrement dit, “les entrées ne seront même pas suffisantes pour payer le salaire de l’acteur français le mieux payé”, affirme le producteur en forçant le trait. Or cet échec n’aurait pas empêché Dany Boon de prétendre à un cachet encore plus important pour son dernier film, Hypocondriaque : 10 millions d’euros. Vincent Maraval voit dans l’importance des cachets des stars françaises une “exception culturelle”, conséquence d’une industrie dopée à coup d’argent public. L’acteur Sam Karmann, dans une tribune rappelle quant à lui les difficultés rencontrées par une grande majorité de comédiens, très loin de percevoir des cachets aussi exorbitants.

Vincent Cassel : 226.000 euros aux USA, 1,5 million en France

Ces rémunérations, Vincent Maraval les juge injustifiées. Il relève ainsi que Vincent Cassel accepte de tourner dans Black Swan pour 226.000 euros, un blockbuster américain qui a généré 226 millions d’euros de recettes, alors qu’il demande 1,5 million pour tourner dans Mesrine qui fait 10 fois moins de recettes. Il préconise donc un plafonnement des cachets des acteurs à 400.000 euros, en ajoutant un intéressement sur le succès du film. D’autant que ces bonus peuvent rapporter gros, comme ce fut le cas pour Omar Sy, qui avait négocié une prime de 10 centimes sur chaque entrée sur le film Intouchables. Ce qui lui a rapporté 1,9 million d’euros. “Maraval prend les plus hauts salaires français et les compare au plus bas salaires américains, sans évoquer les cachets d’un Di Caprio ou d’une Julia Roberts, qui peuvent aller de 10 à 20 millions de dollars”, a pour sa part répliqué Eric Garandeau, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

162 millions d’euros de subventions

Le problème, pour Vincent Maraval, c’est que cette explosion des salaires est alimentée par le système de financement du cinéma français fortement encadré par l’Etat. Quand il dénonce les films subventionnés, le producteur fait d’abord référence à la redistribution des taxes prélevées sur les recettes en salle ou les ventes commerciales (11% du prix d’un ticket de cinéma et 2% de celui d’un DVD ou d’un Blu-Ray par exemple). En 2013, le CNC estime que ces aides représenteront plus de 162 millions d’euros.

“L’argent public est là pour éviter les excès, a répondu jeudi Eric Garandeau. Le CNC récupère de l’argent sur les entrées, qu’il redistribue aux producteurs de manière dégressive”, assure-t-il. “On récompense les succès et on mutualise les risques. C’est un système qui a permis l’émergence de nouveaux talents, comme Maïwenn (“Polisse”), Valérie Donzelli (“La guerre est déclarée”, “Main dans la main”) ou Michel Hazanavicius (“The Artist”), a-t-il ajouté.

40% du financement des films assuré par les TV

A cela s’ajoute à la coproduction de l’industrie cinématographique par les diffuseurs : chaînes de télévision, fournisseurs d’accès à internet ou encore opérateurs de câble et de satellite. Ces acteurs ont l’obligation d’investir une part de leur chiffre d’affaires pour financer des films. En 2013, ces investissements devraient s’élever à hauteur de 537 millions d’euros, pouvant peser jusqu’à 40% du budget des films, estime Le Figaro. Ce qui, indirectement, pousse très haut la part du financement public de certains films en cas de co-financement par des chaînes publiques. Le système permet en tout cas à la France d’avoir une production particulièrement dynamique, unique en Europe.

Selon Les Echos, le gouvernement souhaiterait modifier le mode de financement de l’industrie cinématographique. “On ne peut pas tenir indéfiniment avec un système qui surfinance un secteur. On est au bout d’un modèle permettant d’annoncer chaque année une hausse des moyens”, a confié une source gouvernementale. Il ne serait en revanche pas question de revenir sur le mécanisme en lui-même.

293 films français produits en 2011

Dans sa contribution sur Slate.fr, le critique cinéma, écrivain et historien Jean-Michel Frodon explique que ces aides présentent un réel effet pervers. Elles causeraient une surproduction de longs-métrages, au détriment de la qualité. “Ce sont quelques 100 films en plus, films inutiles, fictions qui auraient mieux fait de se diriger d’emblée vers la télévision, qui sont venus engorger la machine, et d’abord les écrans”, explique-t-il. En 2011, 293 films ont été distribués dans les salles de cinéma et 220 en 2012 selon Vincent Maraval.

Un seul film rentable sur le top 10 des films français ?

Le problème pour Vincent Maraval, c’est qu’une infime partie de ces productions seraient rentables. Il avance que dans le top 10 des films français en 2012, un seul y serait parvenu. Télérama nuance : “Vincent Maraval fait un peu l’innocent quand il limite la rentabilité des films à leur sortie en salles”. Se pose ici la question du cycle de vie d’un long-métrage, et de sa rentabilisation via les revenus commerciaux des diffusions télévisées, ventes de DVD, etc.

En 2011, d’après l’enquête annuelle menée par le magazine Le film français, seuls quatre films ont été rentabilisés sur les seules entrées. Il ajoute cependant que sur le long terme, un film “réalise une performance honorable s’il atteint dans les salles un taux d’amortissement de 25 à 30%”. En prenant le bas de la fourchette, ce sont ainsi 31 films qui auraient été rentabilisés en 2011. Ce qui reste faible comparé à l’inflation du nombre de productions.

5,4 millions d’euros, le coût moyen d’un film français en 2011

Vincent Maraval s’indigne aussi du coût moyen des films français : 5,4 millions d’euros en 2011, selon les chiffres communiqués par le CNC en avril dernier, ” alors que le coût moyen d’un film indépendant américain tourne autour de 3 millions d’euros “. Une comparaison vide de sens pour Jérôme Clément, l’ancien président du CNC, qui écrivait dans une tribune à nouveau publiée par Le Monde. ” Il faut comparer les films d’une même catégorie : les films d’auteur français ont un coût moyen de production environ 3 fois inférieur à leurs équivalents américains, c’est-à-dire celui des films indépendants. Le coût moyen d’un film américain “normal” est 5 à 6 fois supérieur à son équivalent français “.

6 points de parts de marché gagnés en presque dix ans

L’autre objectif attendu de la redistribution, c’était de redonner du poids au cinéma français face aux films américains. Il y a bien eu une progression depuis 2003, de 6 points sur la période, pour atteindre 40,2% en 2012. Les films américains restent cependant devant, avec plus de 45% de parts de marché.

Mais pour le CNC, l’objectif est atteint. Parce que les aides allouées aux productions auraient permis de sauvegarder les films français face à l’invasion américaine. Reste une limite, puisque ces résultats sont obtenus grâce au succès d’une poignée de films. En 2010 en effet, 41% des parts de marché française était concentrés par dix films. Et en 2010, 60% des productions nationales n’avaient pas franchi les 50 000 entrées, indique un rapport de la Cour des Comptes publié l’an dernier.

Ludwig Gallet

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