Ce que les entraîneurs de foot peuvent apprendre aux managers d’entreprise

Ricardo Sá Pinto © BELGAIMAGE

Nous ne pouvons pas juger des qualités managériales des entraîneurs de football sur la seule base de leurs gesticulations parfois étranges en bord de terrain, estiment trois experts en leadership. “Réagir sous le coup de l’émotion n’est pas forcément une mauvaise chose.”

À l’issue d’une rencontre de football, les analystes débattent parfois plus du comportement de l’entraîneur que des performances de l’équipe. Les exemples ne manquent pas: l’attitude parfois loufoque de Ricardo Sá Pinto, l’entraîneur du Standard, récent vainqueur de la Coupe, les petits jeux psychologiques auxquels se livrent lors des interviews le coach de Manchester United, José Mourinho, ou celui d’Anderlecht, Hein Vanhaezebrouck, les exubérances de Jürgen Klopp, l’entraîneur de Liverpool, ou encore les coups de gueule de Michel Preud’homme, qui était à la tête du Club Bruges jusqu’à la saison dernière.

Tous ont remporté des victoires, mais ces tempéraments impétueux le long de la ligne de touche étaient-ils vraiment utiles ? Quel contraste par rapport à la position énigmatique sur le banc de touche du sélectionneur national Roberto Martínez, qui doit mener les Diables Rouges au succès à la Coupe du Monde, ou de Francky Dury, qui officie à Zulte-Waregem.

Les entreprises gagneraient à aller au-delà du comportement managérial courtois que l’on observe actuellement

“Le comportement d’un entraîneur s’inscrit très fortement dans un contexte particulier”, explique Jesse Segers, nouveau recteur de Sioo, l’institut de formation interuniversitaire en sciences de l’organisation et gestion du changement aux Pays-Bas, et professeur à l’Université d’Anvers. “Il est difficile à évaluer. Le leadership fonctionnel vise-t-il à motiver l’équipe ou s’agit-il simplement de la manière dont le coach gère le stress ?” Dans un double entretien avec Ricardo Sá Pinto, le Belge Eric Gerets, ancien entraîneur à succès, a déclaré qu’il faudrait accompagner un coach pendant deux semaines avant de pouvoir le juger.

Des imprévus

La pression qui pèse sur les épaules des entraîneurs de foot a augmenté ces dernières décennies. Il suffit que Neymar, la superstar brésilienne du Paris Saint-Germain, se blesse pour que le travail de son entraîneur Unai Emery soit encore plus remis en cause. Et dans le championnat belge, le jeu de chaises musicales a battu son plein cette saison.

Seules cinq des seize équipes de première division ont entamé les play-offs avec l’entraîneur qui était en poste en début de saison.

Jesse Segers fait référence à une étude dans le cadre de laquelle des entraîneurs de Premier League anglaise ont été suivis pendant douze ans. “Il en est ressorti que les coachs ne peuvent surtout pas décevoir. Ils n’ont pas le droit d’échouer ni de perdre de façon inopinée.”

Pour Koen Marichal, fondateur du Centre d’expertise en leadership de l’Antwerp Management School et coauteur avec Jesse Segers de l’ouvrage intitulé De kleren van de leider, la principale similitude entre les coachs de foot et les chefs d’entreprise est peut-être qu’ils doivent pouvoir faire preuve, plus que par le passé, de flexibilité face aux imprévus.

“Il leur appartient de garder la confiance et la vision intactes. Pour un entraîneur, ces imprévus sont les réactions de la presse et du public, un joueur blessé ou un nouveau président. On a le net sentiment que quelqu’un comme Francky Dury les gère bien parce qu’il s’appuie sur une vision et des valeurs claires tout en ayant le soutien de la direction.”

L’important, c’est surtout ce que fait l’entraîneur le lendemain du match

Zulte-Waregem a été une exception la saison dernière. Si de nombreuses équipes remercient leur coach après de mauvais résultats, l’entraîneur et la direction du club ont gardé la tête froide. Ils ont analysé ce qui n’allait pas et enrôlé de nouvelles recrues de façon ciblée pendant le mercato hivernal, ce qui s’est ressenti sur le terrain.

Le rôle de chacun

“Ce n’est pas parce qu’une personne est en mesure de gérer les choses dans une optique axée sur les tâches qu’elle possède les compétences nécessaires pour être un leader social”, explique la professeure Katrien Fransen, qui a mené des recherches sur les quatre rôles de leadership dans les équipes sportives au département des sciences de la motricité de la KU Leuven. “Au sein d’une équipe, il est important d’attribuer à chacun un rôle fondé sur ses points forts et de désigner ce rôle officiellement. À défaut, les acteurs concernés n’osent pas l’endosser.”

En général, les entraîneurs de foot sont de bons chefs de projet qui définissent les lignes stratégiques pour leur équipe, mais ils sont souvent assistés d’un adjoint agissant en tant que leader social auprès des joueurs. “Il est essentiel de désigner des leaders au sein de l’équipe également pour remplir les différents rôles, car c’est sur le terrain que les choses se jouent”, précise Katrien Fransen.

“Le coach a un impact limité pendant le match, surtout dans des situations difficiles. Par ailleurs, il faut désigner plusieurs joueurs pour chaque rôle, sinon le transfert d’un joueur dans un autre club ou une blessure de longue durée peut poser problème.”

En entreprise, les équipes de la direction ne prennent absolument aucune décision rationnelle, pas plus que les CEO

C’est une chose que les entraîneurs de foot réagissent sous le coup de l’émotion, mais pourquoi les chefs d’entreprise, habitués à prendre des décisions rationnelles dans leur travail, se laissent-ils gagner par les émotions du football quand ils prennent les rênes d’un club ? Pour Jesse Segers, cette question est erronée.

“En entreprise, les équipes de la direction ne prennent absolument aucune décision rationnelle, pas plus que les CEO. De nombreuses études ont été menées à ce sujet. Il est illusoire de croire que les êtres humains agissent de manière rationnelle. Les dirigeants narcissiques auront plutôt tendance à réaliser de gros rachats, que ceux-ci s’accompagnent ou non d’un business case rationnel. En revanche, les leaders humbles obtiennent souvent de meilleurs résultats parce qu’ils acceptent que leur processus décisionnel soit ponctué d’erreurs.”

Une relation intense

Nous devons accepter le comportement étrange des entraîneurs de foot en bord de terrain et, surtout, ne pas trop nous y arrêter. C’est secondaire, à condition qu’aucune limite ne soit franchie.

“En entreprise, nous ne tolérons pas le leadership émotionnel fondé sur la peur et la pression. En y recourant, on se met hors-jeu”, affirme Koen Marichal.

“Pourtant, réagir sous le coup de l’émotion n’est pas forcément une mauvaise chose. Aux États-Unis, une réaction émotionnelle d’un entraîneur est bien accueillie, alors qu’en Asie, on la considère comme un aveu d’impuissance. “L’important, c’est surtout ce que fait l’entraîneur le lendemain du match.”

Et qu’il obtienne de bons résultats. Ricardo Sá Pinto s’est jeté par terre dans une scène digne d’un vaudeville après qu’un gobelet a échoué à quelques centimètres de ses pieds, certes, mais ses joueurs le respectent et il a gagné la Coupe de Belgique avec le Standard.

Ce n’est pas le football qui peut tirer des leçons de leadership des entreprises, c’est plutôt le contraire. Selon Koen Marichal, les équipes de la direction peuvent s’inspirer de la relation intense, souvent émotionnelle, qui prévaut dans les équipes sportives. “Les entreprises gagneraient à aller au-delà du comportement managérial courtois que l’on observe actuellement.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

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